La construction d’une maison sur un terrain appartenant à une autre personne suffit-elle pour en réclamer la propriété ? C’est l’interrogation au centre du procès qui oppose Honorine Bota, la plaignante, à Françoise Sélé, le 5 octobre 2021, devant le Tribunal administratif du Centre. Les deux femmes réclament chacune un terrain laissé par Lambert Nimeli, objet du titre foncier N° 49388/ Mfoundi. Le litige survient après la mort de ce dernier qui considérait les deux adversaires d’aujourd’hui comme sa famille. Le tribunal tranchera en faveur de Françoise Sélé.
Pour Honorine Bota, représentée par son avocat à la barre, le terrain querellé, situé au quartier Etoudi à Yaoundé, devrait lui revenir. Son conseil a expliqué qu’en 1984, alors qu’elle venait de perdre son mari, Lambert Nimeli, un parent éloigné de son ex-conjoint a proposé de l’aider en lui trouvant un espace où vivre. Les deux hommes étaient très proches et M. Bota lui avait confié sa famille au cas où quelque chose lui arriverait. C’est ainsi qu’ayant acquis une parcelle au quartier Etoudi, Lambert Nimeli va la libérer et la mettre à la disposition de Mme Bota. Au fil des années, la veuve aménage l’espace confié et finit par y construire une maison. C’est à la mort de Lambert Nimeli, en 2013, qu’Honorine Bota va apprendre qu’il avait déjà obtenu un titre foncier sur le terrain convoité. Le document sera établi en son nom et celui de Françoise Sélé. C’est le nom de cette dernière qu’elle conteste.
Selon l’avocat de la plaignante, le défunt n’avait pas de lien de parenté avec cette présumée copropriétaire pour qu’elle se présente comme son ayant-droit, encore moins qu’elle se retrouve sur son titre foncier. Le document est d’autant plus contesté qu’il a été délivré en 2016, soit cinq années après le décès de Lambert Nimeli. Mme Bota qui semble se considérer plus proche du défunt que Françoise Sélé, qu’elle décrit comme la concubine intéressée d’un homme qui a profité de sa mort pour accaparer son terrain. Pour soutenir son argumentaire, l’avocat a présenté la carte nationale d’identité de leur présumée faussaire sur laquelle n’existe pas le nom du père. Un élément qui remettrait en doute la filiation de Françoise Sélé avec le défunt.
De plus, cette dernière n’aurait pas la qualité pour se retrouver sur le titre foncier car née en 1975, soit un an avant la loi sur le régime foncier et domanial de 1976, qui permettait aux personnes exploitant ou occupant un terrain avant 1974 de pouvoir prétendre à une immatriculation de la parcelle. De ce fait, elle ne pouvait donc pas avoir mis en valeur le terrain de Lambert Nimeli soutient l’avocat.
Faute du Mindcaf ?
Le ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (Mindcaf) est par ricochet impliqué dans une supposée fraude puisque selon l’homme en robe noire, le titre foncier a été délivré sans que la commission consultative du Mindcaf ne fasse une descente pour constater que la maison sur les lieux n’appartenait pas à celui qui demandait l’immatriculation. En n’effectuant pas cette vérification, les fonctionnaires du Mindcaf refusaient à sa cliente de révéler le vrai auteur des mises en valeur. Le plaideur révèle aussi que ce problème foncier a déjà été porté devant le Tribunal de première instance de Yaoundé- Centre administratif. Une descente sur le terrain du tribunal, avait conclu que la maison était la seule mise en valeur du site et appartenait aux Bota. «Même si c’est le nom d’une personne de sa famille, l’administration avait-elle le droit de lui attribuer les mises en valeur d’une autre personne ?» conclut-il.
Du côté du ministère public, ce raisonnement ne tient pas la route puisque Françoise Sélé a été désignée par Lambert Nimeli comme seule héritière avant sa mort, le 6 mai 2013. En tant qu’ayant droit et se retrouvant sur le titre foncier, régulièrement obtenu, Françoise Sélé se présente comme légitime copropriétaire du terrain. Quant à la maison sur laquelle se base Honorine Bota, elle n’aurait pas existé si le défunt n’avait pas permis qu’elle vienne s’y installer. Cette femme prête à accaparer l’héritage du défunt est intéressée au même titre que la copropriétaire qu’elle dénigre selon le magistrat, car elle n’est pas disposée à respecter les dernières volontés d’un mort, qui pouvait librement disposer de ses biens. «Il a cru sauver une veuve en détresse et aujourd’hui elle se retourne contre ses ayant-droits», s’indigne le magistrat. C’est pour ces raisons qu’il considère irrecevable la demande de Mme Bota.