Albert Kouinche, député à l’Assemblée nationale, ne bénéficiera finalement pas de l’immunité parlementaire dans la procédure judicaire qui l’oppose depuis 2012 à Lawrence Tasha Loweh, ancien banquier, qui le poursuit pour trouble de jouissance, atteinte à la propriété foncière et destruction des biens, devant le juge correctionnel du tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé – centre administratif (CA). La demande formulée par l’avocat du parlementaire le mois dernier a été rejetée par le tribunal jeudi, 18 février 2021. Et pour la seconde fois seulement en neuf années de procès, M. Kouinche a comparu devant le juge, prenant en marche une audience qui avait démarrée quelques minutes avant son arrivée. Le juge a finalement ouvert les débats en engageant l’audition du plaignant. Un rebondissement important au regard du sort réservé à cette procédure judiciaire depuis le début.
Il y a un mois, le 21 janvier 2021, ce procès avait connu un incident de procédure spectaculaire qui n’est sans doute pas étranger au rebondissement de la semaine dernière. En l’absence du parlementaire à l’audience des citations directes des particuliers, son avocat avait demandé au tribunal de suspendre le procès, en brandissant une lettre de Gaston Nkomba, secrétaire général de l’Assemblée nationale, invitant le tribunal à tenir compte de l’immunité du député. Et le juge avait curieusement annoncé une décision formelle en mettant l’affaire en délibéré, suscitant alors la contestation véhémente des avocats de l’adversaire de M. Kouinche. Redoutant que la procédure judiciaire soit ainsi définitivement enterrée, quelle que fut la décision annoncée dès lors qu’un rejet de la demande aurait aussi ouvert la voie à des recours interminables, l’un des avocats avait dénoncé des soupçons de corruption. Et les parties s’étaient séparées avec des éclats de voix.
En appelant le dossier jeudi dernier, le juge a d’abord renoncé à sa décision formelle annoncée, en rabattant le délibéré. Puis, par une simple mention faite dans le registre de l’audience, il a annoncé que la demande du député était rejetée. Il a ensuite ouvert les débats après avoir donné du temps aux parties présentes pour faire venir les avocats et les mis en cause absents. M. Kouinche, qu’on disait très occupé par ses fonctions parlementaires, et son principal avocat, Maître Piendjo, sont arrivés en salle d’audience. Ils ont alors assisté à l’audition du plaignant, premier témoin de l’accusation, aussi bien par le procureur de la République que par ses propres avocats. Le témoin a ensuite été contre-interrogé par l’avocat de la défense, avant que le tribunal décide de renvoyer la suite des débats à son audience du 4 mars 2021.
Arrêt des travaux…
Dans cette procédure, M. Tasha reproche à M. Kouinche d’avoir frauduleusement accaparé, via la Société civile immobilière (SCI) Nofic dont il est le promoteur, ses deux immeubles contigus dans le célèbre quartier Bastos de Yaoundé. Il avait acquis le premier de ces terrains en août 1990 auprès de la collectivité Mvog Mballa Atangana et s’y était fait délivrer un titre foncier (N°22781) en son nom quatre ans plus tard. Alors qu’il a encore en sa possession l’original du titre foncier, c’est-à-dire le Duplicatum N° 1, il dit avoir découvert qu’un certain Chedjou Jean Marie, propriétaire de l’Imprimerie Saint John, simulant une perte du Duplicatum N°1, avait frauduleusement obtenu des services domaniaux le Duplicatum N°2, sur la base duquel son terrain avait été vendu à la SCI Nofic de M. Kouinche. Bien qu’informée de la fraude, par divers actes notamment des sommations d’arrêt de travaux, la SCI Nofic a érigé un imposant immeuble sur le site querellé.
L’histoire du second terrain n’est pas très différente. Il s’agit d’un lopin de terre acheté auprès de la Biao Cameroun, peu avant que cette banque soit mise en liquidation. Alors que le Duplicatum N°1 du titre foncier N°7761 avait été transmis à M. Tasha pour qu’il engage la procédure de mutation en son nom, il découvrira que M. Chedjou, encore lui, l’avait fait frauduleusement muté en son nom, toujours sur la base d’un Duplicatum N°2, en trompant le liquidateur de la Banque Méridien Biao Cameroun (Bmbc qui est différente de la Biao). Bien que ce dernier ait reconnu son erreur, par écrit, en renonçant à la cession faite en faveur de M. Chedjou, qui répond aujourd’hui d’escroquerie foncière, l’immeuble avait ensuite été vendu à un certain M. Jueya Zachée, dont la succession conduite par une certaine Mme Payong Florence a revendu le site une fois de plus à M. Kouintche, en bravant tous les obstacles dressés contre cette vente.
- Tasha n’a jamais réussi à faire muter le titre foncier du terrain acquis auprès de la Biao à son nom, l’accès au site ayant été empêché aux géomètres par les gros bras de M. Kuintche pour les levées topographiques requis. La Société de Recouvrement des Créances (SRC), liquidateur de la Biao Cameroun, lui reconnaît bien la propriété de ce terrain. Les deux titres fonciers en sa possession n’ont jamais été contestés, dit-il avec force. Mais il dit ne pas être en mesure de disposer de ses biens par la faute de M. Kouintche et de M. Chedjou, tous présents dans le box des mis en cause pendant l’audience, à la différence de Mme Payong Florence, qui a brillé par son absence. L’ancien banquier demande au tribunal de déguerpir M. Kouintche de ses deux terrains et de lui reconnaître la propriété des immeubles qu’il y a bâtis sans indemnisation, ce dernier s’étant entêté pour construire en dépit de tous les signaux qu’il avait reçus. Plusieurs documents ont été remis au juge par les avocats de M. Tasha, comme preuves à conviction au soutien de ses déclarations.
Propriété contestée ?
Dans la phase du contre-interrogatoire, Maître Piendjo a demandé au témoin de dire qui de M. Kouintche, l’un de ses deux clients, et la SCI Nofic, l’entreprise de ce dernier, faisait l’objet des poursuites. M. Tasha a répondu qu’il poursuivait le député et la société, dont il ignore le numéro d’immatriculation, le titre foncier portant le nom de cette dernière. L’avocat de la défense a demandé si le titre foncier N° 22781 avait connu des changements de propriétaires depuis 1990. «Le Duplicatum N°1 n’a jamais été muté. Mais, à la suite du faux, il y a eu un Duplicatum N°2. Il a été annulé par le ministère des Domaines», a répondu le témoin.
D’autres procédures judiciaires concernant les parties ont été évoquées par l’avocat de la défense, notamment devant le tribunal administratif et la Cour suprême, pour montrer que la propriété proclamée par le plaignant sur le site querellé n’était pas totalement acquise. Mais ce dernier a insisté pour dire que les titres fonciers originaux en sa possession n’ont jamais été attaqués, ni contestés par qui que ce soit, mais que les contestations concernent les copies obtenues frauduleusement par M. Chedjou. Maître Piendjo a alors annoncé de nombreux documents dans la suite de la procédure, qui devraient battre en brèches les déclarations du témoin, selon lui. Le procès n’est pas allé à son terme, le représentant du ministère public ayant sollicité un renvoi pour la suite des débats. Ce sera le 4 mars prochain.
Rappelons que M. Tasha Loweh Lawrence poursuit également M. Chedjou devant le Tribunal de grande instance du Mfoundi pour faux et usage de faux. C’est en effet sur la base d’une fausse carte nationale d’identité fabriquée avec le nom du plaignant, mais avec de nombreuses mentions erronées, notamment sur la filiation de l’ancien banquier, que le Duplicatum N°2 de l’un des titres fonciers querellé avait été établi. Dans cette autre procédure pénale, l’affaire a plusieurs fois fait l’objet de débats jusqu’au bout devant des juges distincts, mais la décision n’a jamais été rendue. «Cela fait six fois qu’ils ont obtenu le rabattement du délibéré», se désole M. Tasha, convaincu qu’il y a des pressions négatives sur la justice concernant son dossier. Cette affaire sera encore appelée le 9 avril 2021.