Quand une filiale de la SNH accuse l’ancien DG de la Sonara en catimini

Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com La société Hydrac (Hydrocarbures-Analyses-Contrôles) a-t-elle savonné la planche à M. Charles Metouck, ancien Directeur général (DG) de la Société nationale de raffinage (Sonara), à travers une accusation de détournement de 5,3 milliards de francs dont répond l’ingénieur chimiste lors de son procès devant le Tribunal criminel spécial (TCS) ? C’est ce qui semble ressortir des arguments déployés par M. Metouck devant cette juridiction le 14 janvier dernier. Lors de l’avant-dernière audience de son affaire, l’ancien DG de la Sonara s’est en effet encore employé à démontrer son innocence en fragilisant les arguments d’une accusation bâtis notamment autour du témoignage lors de l’enquête policière des représentants de la société Hydrac, filiale de la SNH. Il s’est aussi insurgé contre la dénaturation de ses propres déclarations par le juge d’instruction et le recours aux contrevérités pour l’accabler. En fait, le point N°30 de l’ordonnance de renvoi de l’affaire Metouck en débat porte sur un prétendu paiement par l’ancien DG de la Sonara «d’importantes quantités de barils de pétrole brut» jamais réceptionnés dans les bacs de la raffinerie. M. Metouck Charles est précisément accusé d’avoir cumulé les postes de Directeur commercial et de Directeur général pour faire perdre «4.772.083.706 francs» à l’entreprise publique entre 2007 et 2010, en s’abstenant, pendant les approvisionnements de la raffinerie en pétrole brut, de faire des réserves sur des «dépassements récurrents du seuil de coulage toléré», c’est-à-dire des pertes de pétrole brut au-delà du taux contractuel de 3%. L’accusation soutient que l’ancien a violé le Code des marchés publics et volontairement écarté, lors des opérations querellées, l’intervention des inspecteurs de la société Hydrac, chargée à l’époque de veiller à la facturation des quantités de brut effectivement livrées à la Sonara par ses fournisseurs. Chiffres de la Sonara Au cours de sa défense, l’ancien DG s’est étonné, d’entrée de jeu, sur l’origine du montant de 5,3 milliards de francs du détournement de fonds publics qui lui est reproché, alors que la valeur financière des «coulages» cumulés querellés est de presque 4,8 milliards de francs, selon les chiffres retenus dans l’ordonnance de renvoi elle-même. M. Metouck a aussi questionné la méthode de calcul de la valeur desdites pertes de produits pétroliers retenue dans le rapport du Contrôle supérieur de l’État (Consupe) à l’origine du procès. Les inspecteurs d’État s’étaient basés sur un «prix moyen» qu’ils avaient appliqué aux volumes prétendus des coulages sur quatre ans. En relevant la fluctuation constante des prix, en fonction des différents types bruts livrés, des prix de cotation flottants sur le marché international et d’autres paramètres retenus pour le calcul de ces prix, l’ingénieur chimiste a mis en exergue l’impossibilité du recours à un prix moyen. Par ailleurs, l’ancien DG a contesté la validité des chiffres des taux de coulage annuels retenus par l’accusation pour l’incriminer, en les comparant aux «calculs faits par la Sonara mois par mois», lors de ses approvisionnements en pétrole brut à l’époque des faits, tel que cela ressort de ses archives. Si les taux retenus par l’accusation oscillent entre 0,57% et 0,84%, ceux de la Sonara varient de 0,23% et 0,39%, ce qui entraîne un gap important. Selon l’ordonnance de renvoi, les chiffres de l’accusation proviennent de la société Hydrac, qui était liée contractuellement à la Sonara pour l’assister, comme inspecteur indépendant, notamment lors des chargements et des déchargements des pétroles bruts afin d’attester à chaque fois les volumes réellement réceptionnés par l’entreprise publique et lui éviter des paiements en trop. Posant un problème éthique, M. Metouck s’est étonné que Hydrac ait pu transmettre clandestinement les données querellées à la mission de vérification du Consupe sans informer la Sonara. Et donc, sans donner la possibilité à la Sonara de vérifier que les données transmises correspondaient bel et bien aux chiffres établis à l’époque des faits par les représentants de la société Hydrac. Pour éviter tout quiproquo sur sa déclaration, l’ancien DG a insisté sur le fait que la société Hydrac était bien fondée à transmettre à la mission du Consupe les informations sollicitées par cette dernière, mais qu’elle était tenue d’en rendre compte à la Sonara, conformément aux bonnes pratiques industrielles et pour lui permettre de vérifier la conformité des renseignements transmis par rapport aux différents rapports dressés à l’époque des contrôles par Hydrac. Déclarations inexactes Dans sa lancée, l’ancien DG de la Sonara n’a pas épargné le juge d’instruction. Mme Bahounoui Batende Annie Noëlle avait écrit dans son ordonnance de renvoi que «M. Metouck Charles a contesté le taux de coulage toléré de 0,3% utilisé par la mission (du Consupe)» . L’ancien DG a déclaré au collège des juges qu’il s’agit d’une déclaration inexacte. Il a rappelé avoir expliqué au juge d’instruction que le taux de coulage de 0,3% était appliqué aussi bien lors du chargement de la cargaison de brut pétrolier chez le fournisseur que lors du déchargement de la livraison dans les bacs de la Sonara. Cette explication pour dire que le taux de coulage toléré en fin de compte se faisait par addition des deux taux relevés au chargement et au déchargement, soit un cumul de 0,6%. M. Metouck a insisté pour que les juges notent qu’il n’a jamais contesté le taux de tolérance des coulages éventuels. L’accusé a ensuite convoqué les déclarations des deux cadres de la société Hydrac, entendus par le juge d’instruction comme témoins, pour enfoncer le clou. M. Ela Minlo Patrick et M. Nguidjol Etienne, les deux cadres en question, avaient déclaré que leur entreprise n’assistait pas au chargement des pétroles bruts destinés à la Sonara à l’époque des faits, contrairement au contrat liant les deux entreprises. Les deux cadres de Hydrac expliquaient aussi que leur absence à cette phase des livraisons du pétrole brut à la Sonara était due au fait «que le vendeur n’acceptait pas de façon systématique Hydrac comme inspecteur indépendant et nommait d’autres inspecteurs» . Selon leurs explications, cette situation était due à la «diversification des fournisseurs» . Or, M. Ela Minlo et M. Nguidjol ont aussi affirmé qu’en ce qui concerne la période des faits, «Hydrac n’avait pas été nommée (par la Sonara) et sans nomination, Hydrac n’avait pas le droit d’accéder à un terminal» , le lieu de chargement des navires en pétrole brut. L’ancien DG a fait observer, à l’attention des juges, que les deux témoins de Hydrac ont fait des déclarations contradictoires : tantôt, ils ont témoigné qu’ils ne pouvaient pas assister au chargement parce que «le vendeur n’acceptait pas de façon systématique Hydrac comme inspecteur indépendant et nommait d’autres inspecteurs» ; tantôt parce que «(la société) Hydrac n’avait pas été nommée (par la Sonara)» . Le «vendeur» ici est le fournisseur de brut à la Sonara. Et à l’époque des faits, la Sonara achetait ses bruts au Nigeria, en Guinée Équatoriale et ailleurs. M. Metouck a expliqué aux juges que la vraie raison de l’absence de Hydrac lors des chargements des navires était due au fait que Hydrac n’avait pas d’agrément pour exercer au Nigéria, avec la précision que la Sonara n’était en rien concernée par cette situation. Directeur commercial Il se trouve que dans l’argumentaire du juge d’instruction développé pour renvoyer l’ancien DG de la Sonara en jugement sur ce point N°30 de l’accusation, il est écrit que «c’est sciemment que Metouck Charles a omis de nommer Hydrac, prestataire attitré, pour certifier l’exactitude des quantités de pétrole brut portées dans les connaissements au chargement» . Et que «Metouck Charles cumulait les fonctions de Directeur général et celles de Directeur commercial» . Et pour couronner le tout, le juge d’instruction a retenu que M. Metouck s’est rendu aussi coupable de la violation de l’article 106(g) du Code des marchés publics par «la certification et la liquidation des dépenses sans exécution de la prestation de service ou la fourniture des biens» . Après avoir encore expliqué, comme lors de ses précédentes sorties devant le TCS, que le DG de la Sonara n’intervient dans aucune étape de la certification et de la liquidation des dépenses, ces obligations revenant à la direction financière et aux directions techniques concernées, M. Metouck a révélé aux juges que la nomination de l’inspecteur indépendant relève de la responsabilité directe du chef du service commercial de la Sonara, épargné des poursuites. Il a indiqué que le recours à la réglementation des marchés publics pour l’incriminer était abusif, aucun marché public n’étant concerné par les faits. Enfin, il a encore rappelé aux juges n’avoir jamais occupé le poste de Directeur commercial de la Sonara, une clarification déjà faite dès ses premières prises de parole dans le box des accusés du TCS, organigramme de la Sonara à l’appui. Devant les explications détaillées de M. Metouck, le Tribunal ne s’est pas empêché de lui demander pourquoi il ne les a jamais portées à la connaissance de la mission du Consupe et au juge d’instruction. Et l’accusé a répondu que la personne de M. Metouck, DG de la Sonara, n’a jamais été personnellement et directement mise en cause par la mission du Consupe lors de son séjour à la Sonara. Il a expliqué que la mission adressait au DG des demandes d’informations qu’il transmettait aux services compétents pour recueillir leurs réponses et les mettre à la mission de contrôle. Il n’a donc jamais su au moment de l’audit du Consupe qu’il était accusé de cumuler les fonctions de DG et de Directeur commercial. Il ne pouvait se défendre sans savoir qu’il était accusé. 39 accusations Le 26 février 2025, date de la prochaine audience, après le rendez-vous manqué du 16 janvier dernier dû à un empêchement du représentant du ministère public pour cause de maladie, l’ancien DG entamera sa défense sur les infractions pour lesquelles il est poursuivi en coaction ou en complicité avec d’autres accusés. Rappelons encore que ce procès avait démarré à la suite d’une mission d’audit de la Sonara réalisée par le Contrôle supérieur de l’État pour les exercices 2007 à 2010. L’information judiciaire menée au lendemain du limogeage de M. Metouck a conclu au renvoi en jugement de l’ancien DG et de quatre de ses anciens collaborateurs. 39 chefs de poursuite ont été retenus à la suite de cette enquête contre les accusés, dont 18 pour lesquels l’ingénieur chimiste répond tout seul. Depuis l’ouverture du procès, les inspecteurs d’État auteurs du rapport d’audit ont refusé de témoigner. Le procès a connu de longs temps morts, les dirigeants de la Sonara éprouvant des difficultés à certifier les documents sollicités par l’ancien DG.

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