Par Emile Kitong – ekitong@gmail.com
Mme Mandoki Ribouem Dorette épouse Nyazoke se sent traquée. Femme au foyer, elle a reçu, le dimanche, 9 février dernier, de M. Moussa Jorababel, inspecteur de police principal en service au commissariat de sécurité publique de la ville de Guider, une convocation pour une comparution prévue le 10 janvier 2025 dans cette unité de police. Consciente du caractère curieux d’un rendez-vous avec la police un jour férié, Mme Nyazoke dit s’être abstenue de l’honorer. Ça fait quelques semaines qu’elle s’attend à subir des foudres de la Justice. Et pour cause : une source crédible, a-t-elle confié à Kalara, l’a prévenue depuis un moment qu’un collectif d’enseignants imaginaire a déposé une plainte contre sa personne dans ce commissariat. Et ce serait en représailles à «l’activisme» dont fait montre la dame pour obtenir le démantèlement d’un réseau présumé de proxénètes et pédophiles qui séviraient impunément dans la localité de Guider.
L’épouse Nyazoke est en effet en désaccord avec le traitement que le Tribunal de grande Instance (TGI) du Mayo-Louti (Guider) accorde à de graves accusations qu’elle porte contre une foultitude de personnes présumées avoir abusé sexuellement de sa progéniture, soit trois enfants mineurs âgés respectivement de 8, 6 et 4 ans. Déjà victimes d’abus en famille depuis quasiment le berceau, les enfants Nyazoke seraient devenus la proie de certains présumés pédophiles, parmi lesquels des enseignants de leur école. Les faits se sont déroulés au cours de l’année scolaire 2023-2024. Le pot aux roses ayant été découvert par les parents de ces enfants lors des vacances scolaires, ces derniers ont saisi la justice pour dénoncer les faits. Mais, pendant l’enquête policière, les déclarations des enfants laissent-croire que le périmètre des prédateurs sexuels qui les ont abusés s’étend au-delà des seuls enseignants de l’Ecole publique de Guider. Chose curieuse : la justice serait sourde devant ces dénonciations.
Dans cette affaire, reconnaît la mère des mineurs sexuellement abusés, l’enquête policière menée par le commissariat de sécurité publique de la ville de Guider avait démarré sous des chapeaux de roue. Le coup de filet lancé dès le premier jour de la rentrée scolaire 2024-2025, le 9 septembre 2024, avait permis de mettre aux arrêts trois personnes : le directeur de l’un des groupes de l’Ecole publique de Guider, le nommé Adamou David, 42 ans, l’un de ses instituteurs, M. Guessinsa Todou Cyprien, 26 ans, et un autre instituteur en service dans un autre groupe de cette école, M. Wamberbe Benoît, 42 ans aussi. Après 48 heures de garde à vue, la police les déférait le 11 septembre 2024 chez le procureur de la République près les tribunaux de Guider, qui ne tardait pas à saisir le juge d’instruction pour l’ouverture d’une information judiciaire.
Le directeur en action
Selon le récit de l’aîné des enfants sexuellement abusés, M. Adamou David avait été le premier à lui faire des attouchements puis à le pénétrer, par son orifice annal, après lui avoir donné son organe génital à sucer dans ses toilettes. Quelques jours avant cette première expérience, le directeur avait surpris son élève et son cadet s’embrassant sur la bouche. S’étant informé auprès du mineur sur son inclination sexuelle, M. le Directeur aurait profité de la pluie pour se soulager dans le torrent. Après plusieurs rencontres sexuelles du même type, le deuxième enseignant serait entré en scène. Puis le troisième. Et plus tard, sur les initiatives de M. Adamou David, l’enfant aurait été entraîné en dehors de l’établissement, dans «un endroit rocheux», où d’autres acteurs seraient entrés en scène par groupe de trois, en bénéficiant des mêmes plaisirs ignobles du mineur. La chaîne se serait poursuivie ainsi avec d’autres personnes, selon le témoignage constant de l’enfant. Ce sont des déclarations qu’il a renouvelées devant le juge d’instruction.
Les problèmes de Mme Mandoki Ribouem Dorette épouse Nyazoke avec la justice commencent le jour de l’inculpation des trois enseignants, le 11 septembre 2024, date du démarrage de l’information judiciaire. Bien qu’inculpés «[d’]outrage à la pudeur en présence d’une personne mineure de 16 ans suivi de viol et d’homosexualité», une infraction qui les expose à la peine de prison à vie compte tenu de leur qualité de fonctionnaires (lire encadré), M. Adamou et ses deux collègues vont être immédiatement remis en liberté par le juge d’instruction, M. Yogo Thomas Alain, sur présentation des garants. La relation entre la mère des enfants abusés et le juge d’instruction se détériore rapidement sur ce fait, ce dernier étant suspecté de partialité.
Pour la maman, le juge d’instruction accorde une faveur aux inculpés qui méritent pour elle de rester en prison étant donné leur dangerosité pour les autres élèves. Le 4 octobre 2024, Mme Mandoki Ribouem sollicite du président du TGI du Mayo-Louti que le dossier de ses enfants soit retiré des mains de M. Yogo Thomas Alain. En effet, explique-t-elle, elle estime que le juge d’instruction a affiché sa partialité dans l’examen du dossier de ses enfants. Il se serait montré sceptique à plusieurs reprises devant la version des faits donnée par l’aîné des enfants abusés. Pour illustrer son accusation envers le magistrat, la mère dit se souvenir d’une question qu’il lui a posée devant témoin : «Madame, vous croyez réellement que si tout ce beau monde avait pénétré votre enfant, il marcherait encore ?», lui aurait-il dit.
«Anus peu tonique…»
La dame dit aussi avoir appris des tiers, notamment d’un responsable local de la Commission des Droits de l’Homme du Cameroun (Cdhc) intervenu dans le dossier, les confidences «péremptoires» du juge d’instruction selon lesquelles les enfants victimes des abus sexuels «racontent des bêtises». Dans le dossier judiciaire, se trouve pourtant un certificat médico-légal établi par l’homme de l’art sur réquisition de la police qui ne laisse planer aucun doute sur les lésions subies par l’aîné des victimes. Le médecin requis par la police a fait le constat de la «présence d’une cicatrice au niveau de la marge annale» de l’enfant, en soulignant que «le sphincter anal [est] hypotonique». Il s’agit, selon le dictionnaire «d’un anus peu tonique ou se contractant mal». La mère des enfants estime dès lors qu’il est impossible d’espérer qu’elle bénéficie «d’une information judiciaire équitable si le juge d’instruction n’est pas remplacé».
Mme Nyazoke va d’ailleurs plus loin dans les reproches qu’elle fait au juge d’instruction : «Durant l’enquête à la police, des traits particuliers figurant sur les corps des mis en cause avaient été relevés par mon fils (preuve que l’enfant avait eu accès à la nudité de ces individus), j’ai même appris par des sources indiscrètes que leurs corps avaient été filmés à la police. Or, cet élément du procès-verbal d’enquête préliminaire a été soigneusement soustrait de ce dossier si j’en crois Me Lazabo, l’avocat qui me représentait dans cette affaire», explique-t-elle encore. Mme Mandoki Ribouem dit s’être battue pour que le juge d’instruction élargisse le périmètre des mis en cause au-delà des trois enseignants inculpés conformément aux révélations de son fils aux enquêteurs. Elle aurait elle-même cité des noms de personnes suspectes à ses yeux, sans que le magistrat y prête attention.
L’épouse Nyazoke reproche d’ailleurs au juge d’instruction d’avoir conservé le dossier d’instruction de l’affaire de ses enfants, en bénéficiant de la complicité de certains de ses collègues, alors qu’il avait déjà été formellement récusé, c’est-à-dire invité à s’en dessaisir. Elle l’accuse d’avoir rusé pour rédiger rapidement l’ordonnance de renvoi, c’est-à-dire le rapport de son enquête sommaire, sans procéder à quelques confrontations. Cela, dans le but non avoué de circonscrire à la portion congrue l’impact de son enquête. Bien que le juge d’instruction ait décidé de renvoyer en jugement le directeur d’école et ses deux coaccusés, la dame a relevé appel de son ordonnance de renvoi. Et l’affaire est désormais pendante devant la chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’appel du Nord, à Garoua.
Mandat d’amener
Dans la requête d’appel de la dame contre l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction que Kalara a consultée, Mme Nyazoke ne baisse pas la garde. «Il est à noter, écrit-elle, qu’à la survenue d’éléments nouveaux concernant l’affaire contre Adamou David et autres plus précisément les infractions de proxénétisme, d’autres noms ont été cités (…) devant le juge d’instruction par moi et la demande a été faite par mon conseil que ces personnes soient convoquées au moins dans un premier temps en qualité de témoins. Ce qui n’a pas été fait. En outre, comme je l’ai souligné dans ma requête aux fins de renvoi adressée au président de la cour d’appel le 31 janvier 2024, les derniers développements de cette affaire font croire que certaines personnes travaillant au Tribunal de Guider et parmi lesquels le juge d’instruction Yogo ont utilisé ce réseau de proxénètes pour abuser sexuellement de mes enfants.» Elle demande en conséquence que «tous les actes d’instruction passés par le juge Yogo Alain Thomas soient annulés». Le prochain rendez-vous des protagonistes devant la chambre de contrôle de l’instruction est programmé pour le 26 février prochain.
La convocation adressée par la police à Mme Mandoki Ribouem Dorette épouse Nyazoke pour le 10 février dernier est-elle étrangère à l’affaire de ses enfants devant la justice ? La dame n’y croit pas. D’ailleurs, elle estime que ce n’est pas la première tentative de représailles que sa famille connaît de la part des milieux judiciaires depuis qu’une plainte a été déposée pour dénoncer les abus sexuels subis par ses enfants. La dame révèle, par exemple, que le tribunal de Guider «a même poussé le vice plus loin toujours dans le désir de nous faire taire en délivrant un mandat d’amener contre mon mari (chef d’un bureau de douane à l’Extrême Nord) suite à une plainte déposée contre lui sans qu’il n’ait jamais reçu de convocation et refusé de se présenter.»
N’ayant obtenu aucune réponse favorable aux requêtes qu’elle a déposées, notamment sur le bureau du président du TGI du Mayo-Louti, pour obtenir que le dossier de ses enfants soit retiré au juge Yogo, la mère des trois enfants abusés n’a plus confiance en aucun responsable de cette juridiction. Raison pour laquelle elle a adressé au président de la Cour suprême, le 10 janvier 2025, une requête en «suspicion légitime» contre le Tribunal de grande instance de Guider. Elle souhaiterait que le président de la Cour suprême disqualifie totalement cette juridiction pour connaître de l’affaire des enfants Nyazoke en désignant une autre juridiction pour en connaître. Elle a également adressé une correspondance au contenu similaire au ministre de la Justice. Dans l’un et l’autre cas, elle n’a encore reçu aucune réponse.
En dehors des responsables judiciaires dont elle a sollicité l’intervention dans le cadre de son combat pour la vérité au sujet du phénomène d’abus sexuels subis par ses enfants, l’épouse Nyazoke a saisi la Commission nationale des Droits de l’Homme du Cameroun, mais aussi le ministre de la Justice. Pour le moment, hormis la chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’appel du Nord, elle n’a senti aucun soutien en faveur de la cause qu’elle défend. Mais elle ne désespère pas. Elle refuse de céder à l’intimidation, convaincue que toutes les pressions qu’elle subit visent à l’amener à abandonner son combat. Elle se sent traquée mais refuse de craquer.
Ce que dit la loi en matière de détention provisoire…
Selon l’Article 218, alinéa 1, du Code de procédure pénale «la détention provisoire est une mesure exceptionnelle qui ne peut être ordonnée qu’en cas de délit ou de crime. Elle a pour but de préserver l’ordre public, la sécurité des personnes et des biens ou d’assurer la conservation des preuves ainsi que la présentation en justice de l’inculpé. Toutefois, un inculpé justifiant d’un domicile connu ne peut faire l’objet d’une détention provisoire qu’en cas de crime».
L’alinéa 2 de cet article stipule que «le juge d’instruction peut décerner mandat de détention provisoire à tout moment après inculpation, mais avant l’ordonnance de renvoi, pourvu que l’infraction soit passible d’une peine privatise de liberté. Il prend de suite une ordonnance motivant sa décision de mise en détention provisoire. Cette ordonnance est notifiée au procureur de la République et à l’inculpé.»
Pour sa part, l’Article 224 du même code de procédure pénale indique que «(1) Toute personne légalement détenue à titre provisoire peut bénéficier de la mise en liberté moyennant une des garanties visées à l’article 246(g) et destinées à assurer notamment sa représentation devant un officier de police judiciaire ou une autorité judiciaire compétente. (2) Toutefois, les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux personnes poursuivies pour un crime passible de l’emprisonnement à vie ou de la peine de mort.»
Notons que l’Article 246(g) du Code de procédure pénale ci-dessus évoqué prévoit, pour «garantir sa représentation en justice», que l’inculpé désireux de bénéficier d’une remise en liberté fournisse «soit un cautionnement dont le montant et les modalités de versement sont fixés par le juge d’instruction compte tenu notamment des ressources de l’inculpé ; soit un ou plusieurs garants conformément aux dispositions des articles 224 et suivants». Manifestement, le directeur d’école et les deux enseignants inculpés d’outrage à la pudeur, de viol et d’homosexualité sur mineur, ont bénéficié de cette disposition.
Le problème, c’est que selon l’Article 346 du Code pénal «celui qui commet un outrage à la pudeur en présence d’une personne mineure de seize (16) ans» s’expose aux sanctions ci-après :
- Est puni d’un emprisonnement de deux (2) à cinq (5) ans et d’une amende de vingt mille (20.000) à deux-cent mille (200.000) francs,
(2) Les peines sont doublées si l’outrage est commis avec violence ou si l’auteur est l’une des personnes visées à l’article 298 du présent code.
(3) La peine est un emprisonnement de dix (10) à quinze (15) ans si l’auteur a eu des rapports sexuels même avec le consentement de la victime.
(4) En cas de viol, l’emprisonnement est de quinze (15) à vingt-cinq (25) ans. L’emprisonnement est à vie si l’auteur est l’une des personnes énumérées à l’article 298.
(5) Dans tous les cas, la juridiction peut priver le condamné de l’autorité parentale, de toute tutelle ou curatelle pendant les délais prévus à l’article 31(4) du présent code.
A préciser que parmi les personnes énumérées à l’Article 298 du code pénal, qui traite des cas où les peines «sont doublées» en cas de culpabilité concernant certaines infractions, il y a le «fonctionnaire» ou le «ministre du culte».
Alors la question est incontournable : le directeur d’école et les deux enseignants sont-ils des fonctionnaires au sens de la loi ? La réponse est oui. Ils sont donc passibles d’un emprisonnement à vie s’ils sont déclarés coupables selon l’alinéa 4 de l’article 346 du Code pénal. Devraient-ils bénéficier d’une remise en liberté contre garant ? La réponse est non selon l’alinéa 2 de l’Article 224 du Code de procédure pénale déjà cité. Il est donc clair que ces trois enseignants ont bénéficié d’une largesse illégale de la part du juge d’instruction du TGI de Guider.
On sait qu’officiellement, la remise en liberté de ces trois inculpés serait justifiée par le fait qu’il ne fallait pas handicaper leurs élèves. A-t-on songé à cet instant à la protection des mineurs qui sont ainsi exposé aux personnes sur qui pèsent des soupçons d’actes ignobles et criminels ?