Le DG de la SNH fait condamner l’ancien PDG de IBC SA à la prison à vie

Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com De son exil américain où il se trouve actuellement, M. Léopold Ekwa Ngalle doit déjà savoir qu’il a perdu tout droit de jouir de sa liberté d’aller et venir sur le territoire du Cameroun pour le reste de sa vie. Le Tribunal criminel spécial (TCS) lui a appliqué la peine d’emprisonnement la plus lourde pour les faits qui lui étaient reprochés. Le vendredi 25 septembre 2025, cette juridiction l’a en effet reconnu coupable du détournement de la somme de 617,6 millions de francs au préjudice de la Société nationale des Hydrocarbures (SNH) et de son personnel. En plus de l’emprisonnement à perpétuité prononcé contre lui par la juridiction, le promoteur de l’entreprise industrielle IBC SA a aussi été condamné à indemniser l’entreprise publique à hauteur de la somme en cause. La SNH réclamait, par la voix de ses avocats, une réparation de 1 milliard de francs, que le TCS a jugée excessive. Dans la procédure judiciaire qui a connu son dénouement en fin de semaine dernière, M. Léopold Ekwa Ngalle était poursuivi en compagnie de M. Mendim Me Nko’o, un ancien haut-cadre de la SNH aujourd’hui à la retraite. Le parquet général leur reprochait d’avoir agi de concert, c’est-à-dire en coaction, pour subtiliser les fonds au cœur du procès à l’entreprise publique. Contrairement à son coaccusé, qui ne s’est jamais présenté devant l’instance de jugement, M. Mendim Me Nko’o a ardemment défendu sa cause devant les juges. Ces derniers ont acquiescé à ses arguments en rendant leur décision, le déliant de toutes les charges qui pesaient sur lui. Résultat des courses : M. Mendim Me Nko’o a été acquitté pour fait non établi. La sentence a été prononcée alors qu’il se trouve interné à l’Hôpital du Mans en France, comme l’a indiqué son avocat. Née d’une plainte du 8 octobre 2012 déposée par la SNH et son personnel contre M. Léopold Ekwa Ngalle pour un prétendu détournement de 2,24 milliards de francs, la procédure judiciaire vidée le 25 septembre dernier par le TCS est le point d’aboutissement d’une mésentente née entre l’entreprise publique et le promoteur originel d'IBC SA (International Business Corporation) autour d’un projet industriel commun qui n’a jamais abouti. Dans le cadre de la diversification de ses activités, la SNH s’était liée en 2007 par un partenariat à la société IBC SA pour la construction d’une usine de transformation de l’acier et d’autres métaux dans la zone industrielle de Bassa, à Douala. En fait, la SNH et son personnel avaient souscrit à l’augmentation du capital social de M. Ekwa Ngalle, le portant de 700 millions à 1,7 milliard de francs. Pacte d’actionnaires Par ce mécanisme, la SNH prenait le contrôle de 51 % du capital social d'IBC SA, le personnel de la SNH acquérant 10 % des parts, et le reste, 39 % du capital social, restait entre les mains des actionnaires fondateurs de l’entreprise (M. Ekwa Ngalle, Mme Hélène Njandjo Ngalle, sa sœur, et la société LEN Holding). Le 18 septembre 2007, un pacte d’actionnaires était signé par les propriétaires d'IBC SA reconfigurée, maintenant l’ancien PDG d'IBC SA aux manettes de l’entreprise. En dépit d’un prêt actionnaire de 4,85 milliards de francs accordé par la SNH à IBC SA, l’usine en question n’est jamais entrée en service pour diverses raisons. Estimant que les difficultés de l’entreprise étaient dues à sa mauvaise gestion, l’actionnaire majoritaire décidera de désigner un nouveau président du conseil d’administration, un directeur général adjoint et un directeur financier. Une décision qui déclenche la guerre entre les deux blocs de partenaires. Si les actionnaires fondateurs choisissent de saisir un tribunal arbitral le 12 juin 2012 pour les départager d’avec le bloc SNH, accusant l’entreprise publique et son personnel «d’abus de majorité» et de «violation du pacte d’actionnaires» (lire encadré), la SNH va prendre la route du TCS quatre mois plus tard pour porter plainte contre M. Ekwa Ngalle pour détournement de biens publics, faux en écriture privée et de commerce, etc. Au départ, un audit commandé par les dirigeants de l’entreprise publique sur la conduite du projet de construction de l’usine de transformation de l’acier a rendu des conclusions défavorables à la gestion de M. Ekwa Ngalle. La SNH et son personnel estiment avoir été spoliés, au terme de l’audit en question, à hauteur de 1,9 milliard et 234 millions de francs respectivement. C’est ce montant cumulé d’environ 2,2 milliards de francs qui est considéré comme le détournement de fonds publics reproché à M. Ekwa Ngalle. Dans la phase de l’enquête préliminaire ouverte après le dépôt de la plainte de la SNH, plusieurs personnes ont été auditionnées par la police judiciaire. Le procureur général près le TCS, se servant des conclusions de cette enquête policière, a décidé de déclencher l’information judiciaire. M. Jérôme Kouabou, juge d’instruction chargé de cette enquête, a inculpé M. Ekwa Ngalle de détournement de biens publics. Il a choisi d’élargir le cercle des mis en cause à M. Mendim Me Nko’o, expert-comptable de formation et ancien directeur financier de la SNH, en l’inculpant de détournement de fonds publics en coaction en juillet 2019. Il est essentiellement reproché à ce dernier ses activités comme membre d’un comité de suivi des travaux de construction de l’usine, qui compte deux autres membres, dont M. Ekwa Ngalle. Comme membre de ce comité prévu à l’article 9 de la convention de prêt signée entre la SNH et IBC SA pour les travaux de construction de l’usine de Bassa, M. Mendim Me Nko’o a pris part à de nombreuses séances de travail convoquées par M. Ekwa Ngalle. Il en a dressé des rapports qu’il a transmis à la SNH et à son personnel. Il a effectué un voyage en Inde pour la réception des équipements destinés à l’usine. Il a souvent pris part à des visites du chantier. Tout cela lui vaut d’être mis par ses accusateurs dans la peau du coauteur de tous les actes de gestion qui sont reprochés au PDG d'IBC SA. Seul bémol pour l’inculpé qui sera finalement renvoyé en jugement avec son coaccusé par ordonnance du 29 octobre 2021 : le juge d’instruction laisse M. Mendim Me Nko’o en liberté. Accusation sur pièces Pendant le procès, le parquet et la SNH se sont abstenus de faire entendre le moindre témoin pour convaincre les juges que les accusés ont effectivement détourné les 617 millions de francs finalement retenus comme préjudice subi par les plaignants. De 2012 à 2025, trois expertises judiciaires au total ont été réalisées sur la gestion d'IBC SA afin de fixer les enquêteurs sur les faits de la cause. Les conclusions de ces expertises sont contradictoires les unes des autres, mais elles mettent en exergue des faits qui laissent croire que les plaignants ont effectivement été spoliés. Par exemple, alors que les équipements de l’usine devraient être acquis tout neufs, les experts découvrent qu’ils ont été achetés en seconde main. De même, il apparaît que M. Ekwa Ngalle a utilisé à des fins autres les matières premières qu’il avait déjà acquises pour la mise en service de l’usine… C’est donc uniquement sur la base des pièces, en l’occurrence les rapports du comité de suivi, que le parquet demande et obtient des juges que ces derniers ordonnent aux accusés de faire valoir leurs arguments de défense. Au cours des réquisitions intermédiaires qui sont prises à l’occasion, le parquet général soutient notamment que M. Mendim Me Nko’o a rédigé des rapports du comité de suivi et les a transmis à la SNH en apposant sa signature sans la moindre réserve. Qu’il n’a pas veillé à l’utilisation judicieuse des fonds mis à la disposition d'IBC SA par la SNH. Qu’il devait alerter la SNH sur les écueils de la réalisation du projet. Et qu’il a fait preuve de laxisme et de négligence dans l’accomplissement de sa tâche. Or, ce dernier soutient que sa mission se limitait uniquement à collecter auprès de M. Ekwa Ngalle les informations relatives au suivi du projet et à les transmettre fidèlement à ses mandants, tâche qu’il a exécutée à leur satisfaction, recevant même une lettre de félicitations. En jugeant, le tribunal va reconnaître la pertinence des arguments de défense de l’accusé Mendim Me Nko’o. «Les rapports du comité ne sont pas des actes de gestion», constate-t-il avant de dire «qu’il est manifeste que l’accusé n’a jamais posé aucun acte de gestion avec M. Ekwa Ngalle et qu’aucune preuve n’a été rapportée qu’il a utilisé les sommes mises à disposition par la SNH avec son coaccusé». Il va donc le déclarant non coupable. En revanche, prenant sa décision par défaut pour l’ancien PDG qui est déclaré en fuite, le TCS le condamne à la réclusion à perpétuité et au paiement des frais générés par la procédure justiciaire. Le tribunal s’est refusé d’ordonner la confiscation des biens de M. Ekwa Ngalle comme demandé par les avocats de la SNH, lesdits biens n’ayant fait l’objet d’aucune saisie préalable. Déjà en exil, il est fort à parier que l’ancien PDG d'IBC SA ne remettra plus les pieds dans son pays. La CCJA avait déjà condamné M. Ekwa Ngalle et compagnie Peu après la décision du conseil d’administration de la SNH de nommer un nouveau PCA, un directeur général adjoint et un directeur financier, tout en instaurant le principe de la double signature pour la sortie des fonds de l’entreprise IBC SA, M. Léopold Ekwa Ngalle et les deux autres actionnaires fondateurs de la société avaient introduit une demande en arbitrage à la Cour commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) d’Abidjan afin d’obtenir la condamnation de la SNH et de ses employés actionnaires d'IBC SA pour «abus de majorité» et «violation du pacte des actionnaires». En rendant le 15 janvier 2014 sa décision par rapport à cette saisine, le tribunal arbitral institué par la CCJA avait plutôt décidé de sanctionner les actionnaires initiaux de l’entreprise pour «abus de minorité». Déçus par cette sentence arbitrale, M. Ekwa Ngalle et son groupe décidèrent d’en contester la validité. Le 15 octobre 2015, la CCJA, agissant en dernier ressort, confirmera le contenu de la sentence arbitrale. M. Ekwa Ngalle et ses associés ont été déboutés de toutes leurs demandes et condamnés solidairement à payer des dommages et intérêts de 1,9 milliard de francs à la SNH et 234 millions de francs à ses employés actionnaires d'IBC SA. Le TCS est donc un peu plus clément envers l’ancien PDG, puisqu’il a décidé de le condamner non pas pour le détournement de l’ensemble de cette somme, soit 2,2 milliards de francs, mais seulement pour la somme de 617 millions de francs. Après treize ans d’une procédure démarrée en 2012, date d’entrée en scène du TCS.

Me Mbah Eric Mbah et son équipe sur des sièges éjectables

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