Des collaborateurs du ministre de la Santé publique en procès pour faute de gestion

Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com «On est actuellement en train de tirer les conclusions des recommandations que nous avons formulées et, dans les jours à venir, vous pourrez voir des gens qui sont poursuivis pour des fautes de gestion. La justice marche lentement, mais sûrement… Que ceux qui ont commis des bourdes, des fautes de gestion, des irrégularités de gestion continuent à bien se tenir.» Il y a un peu plus de deux mois, le 1er décembre 2024, M. Yap Abdou, président de la Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun, faisait cette déclaration sur l’antenne de la Crtv-télé, alors qu’il était l’invité de l’émission dominicale «Actualités Hebdos». Pas habitués à voir la Chambre des comptes sanctionner les gestionnaires publics, la plupart des médias avaient vu en la sortie du haut magistrat, à tort, l’annonce des arrestations imminentes des personnes suspectées de détournements de fonds publics dans le cadre de la gestion des fonds Covid. Depuis le 16 janvier 2025, l’annonce du président Yap Abdou commence à prendre corps. La première section de l’institution judiciaire qu’il dirige a en effet tenu une audience publique ordinaire ce jour-là, consacrée à la sanction des fautes de gestion dans le cadre de la «discipline budgétaire et financière». C’était une première. Une seule affaire était inscrite au rôle de la première section sur trois dossiers dont l’instruction préalable est achevée, les deux autres ayant abouti à un non-lieu, c’est-à-dire le constat d’une absence de charges contre les mis en cause. L’affaire débattue le 16 janvier dernier est relative à des faits présumés de «réception des travaux avant exécution complète» d’un marché public. Ces faits concernent des travaux réalisés à l’Hôpital régional de Ngaoundéré en 2020. La prestation avait été payée en totalité par le payeur spécialisé du Trésor auprès du Minsanté. Quatre personnalités sont visées par cette procédure, toutes de hauts cadres du ministère de la Santé publique (Minsanté). Il s’agit, d’une part, de M. Ousmane Diaby, actuellement chef de la Division des études et des projets dans ce département ministériel. Sous-directeur du budget à l’époque des faits, il était le président du Groupe de travail du Minsanté pour la riposte contre la pandémie de Covid-19, responsable de la logistique. Le deuxième mis en cause, M. Eyenga Ndjomo Elisée Amour II, inspecteur principal de la Documentation, est actuellement conseiller technique N°1 du ministre de la Santé publique. Ancien directeur des ressources humaines du Minsanté, il était chef de Section Administration et Finances dans cette direction à l’époque des faits, chargé notamment de la gestion du budget et des finances alloués à la riposte contre la pandémie. Audit de gestion Mme Ntue Ngaptout Abiba, épouse Njoya, inspecteur principal des régies financières (Trésor), est le troisième mis en cause. C’est le payeur de la Paierie spécialisée du Trésor auprès des ministères de la Santé publique et de la Justice. Enfin, le quatrième mis en cause, M. Bekolo Edou Remy, est comptable-matière. Il exerce ses fonctions dans le cabinet du ministre de la Santé publique. Ces quatre mis en cause ont effectivement comparu lors de l’audience ordinaire de la première section de la Chambre des comptes. Ils ont donc suivi la présentation du rapport d’instruction de leur affaire, préparé par M. Boukar Samuel Bladi et M. Mengue Maud, magistrats en service à la Chambre des comptes. Ils ont ensuite fait leurs observations au sujet de ce rapport, c’est-à-dire opposé leurs arguments aux conclusions des rapporteurs. L’affaire a été renvoyée au 27 février prochain pour que le parquet général près la Cour suprême présente ses réquisitions. Cette procédure tire sa source de l’audit de la gestion du «Fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales», créé par ordonnance du président de la République le 3 juin 2020, avec une dotation budgétaire de 180 milliards de francs. Dans le premier rapport d’audit établi en juin 2021 pour la première année d’activités de ce fonds, la Chambre des comptes avait en effet formulé trente recommandations dans la conclusion générale de son rapport, épinglant des responsables de trois départements ministériels. Elle annonçait, entre autres, «l’ouverture d’une (1) procédure pour gestion de fait», la transmission au ministre de la Justice de «douze (12) dossiers relatifs aux faits susceptibles de revêtir une qualification pénale» (lire encadré), mais aussi «l’ouverture de quatorze (14) procédures pour faute de gestion». L’affaire du 16 janvier fait partie de cette dernière catégorie. Dans ce rapport d’audit de la Chambre des comptes consulté par Kalara, est mise en évidence, sous forme de tableau récapitulatif, des paiements «en l’absence de procès-verbal» de sept (7) marchés spéciaux relatifs à l’édification des centres d’isolement dans certaines formations hospitalières. L’un de ces marchés concerne «la construction d’un bâtiment d’isolement hospitalier à l’Hôpital régional de Ngaoundéré». La Chambre des comptes stigmatise un double paiement du marché en question : «Le premier paiement de ce marché porte le numéro d’ordre 26 sur la liste des paiements produite le 3 décembre 2020 par le payeur spécialisé auprès du Minsanté, pour un montant de 228.534.093 francs, et le second paiement porte le numéro d’ordre 203 d’égal montant» . Et la haute juridiction des comptes demande au ministre de la Santé publique d’émettre un ordre de recette à l’attention des entreprises concernées par ces paiements pour récupérer les 228 millions de francs illicitement sortis des caisses de l’État, avec la précision que «ces faits pourraient revêtir une qualification pénale». Pour l’heure, Kalara ignore si les prescriptions de la Chambre des comptes dans ce cas ont fait l’objet de suivi. Arrêt de principe De toutes les façons, pour les procédures ouvertes pour fautes de gestion, les mis en cause, notamment les quatre hauts cadres du Minsanté actuellement en jugement public depuis le 16 janvier dernier, s’ils sont jugés fautifs à l’issue de l’examen de leurs dossiers respectifs, sont susceptibles d’être frappés chacun d’une amende et/ou d’une mise en débet pour le remboursement à l’État des pertes financières résultant de la faute de gestion qui leur est reprochée. En tout cas, ce sont exactement les mêmes sanctions autrefois appliquées par le Conseil de discipline budgétaire et financière (Cdbf) du Contrôle supérieur de l’État (Consupe) aux ordonnateurs et gestionnaires publics reconnus fautifs qui restent en vigueur. Rappelons que le 16 février 2024, la Chambre des comptes, réunie en audience de ses sections réunies, avait rendu un arrêt de principe qui constatait la perte à son profit par le Cdbf de sa compétence en matière de jugement des ordonnateurs et des gestionnaires des crédits publics. À cette occasion, la haute juridiction des comptes indiquait dans son arrêt que les procédures et sanctions en vigueur au niveau du Cdbf en matière de jugement des fautes de gestion seraient désormais appliquées par la Chambre des comptes dans le cadre de ses compétences en la matière. Les fonctionnaires épinglés dans le cadre de l’audit de la gestion des fonds Covid pour faute de gestion sont donc manifestement les premiers qui seront épinglés au tableau de la Chambre des comptes. Maintenant que la machine est lancée, on peut s’attendre à une plus grande cadence des audiences publiques ordinaires de la juridiction des comptes. En dehors de l’audience du 27 février prochain qui sera consacrée aux réquisitions du ministère public, une autre audience suivra sans doute, où le trio des juges conduit par le président de la 1ère section de la chambre, M. Mbenoun Théodore, rendra sa décision. Des sources internes à la Chambre des comptes annoncent aussi pour les prochaines semaines, en dehors des dossiers Covid, une audience au sujet de l’affaire dite Bleue Régine Tsoungui. Le maire de la commune de Mbalmayo, puisqu’il s’agit d’elle, et le receveur municipal de cette commune font l’objet d’une vieille dénonciation, qui fut à l’origine de l’arrêt de principe de février 2024, le maire de Mbalmayo ayant initialement contesté la compétence de la chambre. Les gestionnaires publics indélicats savent désormais où ils pourront répondre en cas de faute de gestion. Quid du dossier ouvert devant le TCS ? L’audit par la Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun de la gestion des fonds Covid avait commencé à faire des vagues de longues semaines avant l’adoption du rapport par la haute juridiction des comptes. Un rapport d’étape de la première section de l’institution avait en effet fuité, se retrouvant sur la table du président de la République. Et sans attendre les conclusions finales de la Chambre avec l’adoption en assemblée générale du rapport d’audit, le chef de l’État avait fait déclencher l’entrée en scène du Tribunal criminel spécial (TCS) dans cette affaire. En effet, le rapport d’étape suspectait de nombreuses malversations financières confirmées plus tard, pour la plupart, dans la conclusion du rapport final. Dans la conclusion finale du rapport, il est noté ce qui suit : « L’attribution des marchés s’est faite dans une grande opacité et a été propice à de nombreuses dérives dont plusieurs sont susceptibles de recevoir une qualification pénale. L’utilisation de cette procédure dérogatoire au-delà du mois de juillet 2020 a été coûteuse pour les finances publiques. Son maintien est d’autant moins justifié qu’elle a été parfois plus lente et moins efficace que les procédures ordinaires.» La Chambre dit par ailleurs avoir transmis au ministre de la Justice douze dossiers susceptibles de recevoir une qualification pénale. Donc, théoriquement, l’État est supposé avoir déjà saisi la justice pour faire sanctionner les faits querellés, à moins que le parquet général près la Cour suprême se soit abstenu de transmettre lesdits dossiers au ministre de la Justice. On sait que le corps spécialisé des Officiers de police judiciaire (OPJ) rattaché au TCS avait auditionné de nombreuses personnalités, y compris des membres du gouvernement, à la suite du rapport de la Chambre des comptes. Votre journal en avait largement parlé. Mais les procédures ainsi lancées avaient connu un temps d’arrêt brutal. Alors que l’audition par les OPJ de certains suspects, parmi lesquels des membres du gouvernement, avait démarré au niveau du TCS, elle allait se poursuivre secrètement dans les cabinets des ministres concernés. Selon des sources de Kalara, soucieux de préserver la dignité du gouvernement, M. le Premier ministre avait fait part de sa réserve par rapport à l’audition des ministres en fonction. La justice a donc été invitée à mettre la pédale douce en attendant un éventuel remaniement ministériel. Et l’attente se poursuit jusqu’à ce jour.

Des collaborateurs du ministre de la Santé publique en procès pour faute de gestion

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