Une enquête complémentaire sollicitée par Olanguena Awono

Par Emile Kitong – ekitong@gmail.com M. Urbain Olanguena Awono, ancien ministre de la Santé publique qui est encore poursuivi pour un présumé détournement de 5,5 milliards de francs, est reparti du Tribunal criminel spécial (TCS) après sa dernière audience avec un air visiblement apaisé comparé à ses précédents passages devant cette juridiction. Le lundi, 22 avril, et le jeudi, 25 avril 2024, il avait rendez-vous avec les juges pour la suite de son procès, suspendu depuis quelques semaines à la phase du contre-interrogatoire par la défense du principal témoin de l’accusation, l’inspecteur d’Etat à la retraite, M. Tonye Paul Emmanuel. Ce dernier avait été désigné par le juge d’instruction pour réaliser une expertise judiciaire dans le cadre de l’affaire. Mais le rapport de l’expert, qui sert pourtant de base à l’accusation, ne mentionne nulle part le nom de l’ancien ministre. Ce qui embarrasse au plus haut point M. Olanguena Awono et ses conseils qui ne comprennent pas le bien-fondé de leur présence devant les juges du TCS. Lors de la dernière audience, les avocats de M. Olanguena Awono ont adressé au trio des juges, d’abord oralement le 22 avril, une demande de complément d’enquête pour que soient clarifiés les actes prétendument posés par l’ancien ministre dans la réalisation du détournement allégué. Ministre de la Santé publique à l’époque des faits, l’accusé a toujours soutenu qu’il ne pouvait jouer aucun rôle dans la gestion de la Centrale nationale d’achat des médicaments essentiels (Cename), organisme public qui aurait fait l’objet des détournements prétendus par l’accusation, au moyen de la non-livraison des médicaments évalués à 5,5 milliards de francs. En plus, l’absence au procès des dirigeants de la Cename, organisme bénéficiant de l’autonomie de gestion et doté d’une direction générale et d’un conseil d’administration, relève pour l’ancien ministre d’une curiosité. D’où la demande d’un complément d’information destiné à clarifier les choses. Enquête incomplète Comme fondement juridique de leur demande, les conseils de M. Olanguena Awono ont cité l’article 390 du code de procédure pénale en ses alinéas a et b. «a) Si le tribunal estime qu’il y a lieu de procéder à un complément d’information, il ordonne par jugement avant-dire-droit et commet un magistrat ou un officier de police judiciaire pour la diligenter ; b) L’autorité ainsi commise dispose des pouvoirs définis aux articles 191 à 195 (2). Ce complément d’information obéit aux règles édictées aux articles 167 à 176» , dit la disposition légale visée. Pour les avocats, l’information judiciaire de ce volet des affaires Olanguena a été totalement bâclée. Citant des dispositions légales contenues dans six articles du code de procédure pénale, ils estiment que toutes ces obligations de la loi ont été ignorées, «ce qui rend nécessairement parcellaire et incomplète l’information judiciaire querellée, tout en rendant la mesure de complément sollicitée nécessaire», disent-ils . Pour illustrer leurs déclarations, les avocats de l’ancien ministre relèvent « [qu’il] n’existe aucun acte d’instruction matérialisé par un procès-verbal d’audition posé par le juge d’instruction Kouabou Jérôme du TCS» . Que «le juge d’instruction a nommé diverses commissions rogatoires et auditionné plusieurs témoins, parmi lesquels des témoins à charge dont l’inspecteur d’Etat auteur du rapport, base de l’accusation. «Qu’en aucun moment, M. Kouabou Jérôme, ni d’ailleurs son prédécesseur dans le dossier, n’a confronté l’inculpé aux témoins comme la loi l’y oblige». Qu’il n’existe par conséquent «aucun procès-verbal de confrontation dans le dossier, s’agissant d’une longue et vaste enquête judiciaire». Que «la carence de l’instruction du fait de l’évitement systématique de l’audition de l’inculpé et de sa confrontation aux témoins a conduit le juge à mener une instruction exclusivement à charge». Et que la recherche de la manifestation de la vérité n’a donc guère constitué la priorité ni la démarche du juge d’instruction, qui a délibérément exercé son office en violation des prescriptions légales» . Pour le moment, la partie adverse, singulièrement le ministère public n’a pas encore dévoilé sa position devant la demande introduite par la défense, mais, le 22 avril dernier, après la présentation orale desdites conclusions, le représentant du ministère public avait fait part de son intérêt devant la sollicitation exprimée par la bouche de Me Eteme Eteme, l’un des quatre avocats des mis en cause. Par la voix de son représentant, le parquet avait souhaité que la demande orale fasse l’objet d’un document écrit. Raison pour laquelle l’affaire avait été renvoyée à l’audience prévue 72 heures plus tard pour que les conseils de M. Olanguena présentent des conclusions écrites. Le 25 avril 2024, après avoir reçu le document, le représentant du ministère public a sollicité une remise de la cause pour avoir le temps d’analyser profondément la demande faite par la défense avant d’y réagir. Le parquet a été rejoint par le conseil du ministère de la Santé publique, présent à l’audience. C’est ainsi que la suite du procès a été programmée pour le 25 juin 2024. Pour bien comprendre l’évolution actuelle de cette troisième affaire Olanguena Awono devant la justice pénale, un rappel des faits s’impose. Le 9 avril 2008, les déboires judiciaires de l’ancien ministre de la Santé publique avaient démarré par son interpellation, puis la notification d’une dizaine de chefs d’inculpation au concerné, dont une allégation de détournement de la somme de presque 7,3 milliards de francs par le moyen de la non-livraison des médicaments à la Cename. L’enquête ainsi ouverte à l’époque devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Mfoundi donnait lieu à une seule audition de l’ancien ministre par le juge d’instruction du TGI, M. Donhu David, C’était le 16 octobre 2008. Par la suite, ce juge d’instruction commettait un expert, M. Nolla Bata, inspecteur d’Etat lui-aussi, pour l’aider à cerner le problème à lui soumis. Ce volet des affaires Olanguena Awono restera ainsi jusqu’à l’entrée en fonction du TCS en 2012, lequel hérite du dossier. Responsabilité d’autrui En 2013, le juge d’instruction Kouabou qui est désormais en charge de ce dossier va s’en souvenir et convoqué M. Olanguena pour lui donner une copie du rapport dressé depuis juin 2009 par M. Nolla Bata à l’issue de son expertise. Contestant les conclusions de l’expert judiciaire, l’ancien ministre de la Santé publique sollicite la commission d’une contre-expertise. Le juge d’instruction va le suivre en désignant M. Tonye Paul Emmanuel. Cet autre ancien inspecteur d’Etat va transmettre son rapport au juge d’instruction après ses travaux. M. Olanguena Awono en reçoit copie le 16 avril 2018 par l’entremise de Me Claude Richard Assambla, l’un de ses conseils. Des réserves et critiques seront faites sur le document bien qu’il ne mentionne nulle part une quelconque intervention de l’ancien ministre dans les opérations de livraison, de réception, de facturation et de liquidation des factures des médicaments aux structures sanitaires, qui sont des clients de la Cename. En particulier, M. Olanguena Awono et ses avocats se demandent au nom de quoi, alors qu’il ne fait pas partie de la chaine de distribution du médicament, l’ancien ministre de la Santé publique doit-il répondre «de ce qui ne relève pas de sa responsabilité ?» «Est-ce au ministre de justifier les écarts de livraison des médicaments ou des paiements en lieu et place d’une institution (la Cename) dont la mission est effectivement l’achat et la distribution des médicaments essentiels dans le système de santé ?», s’interroge encore aujourd’hui les conseils de M. Olanguena Awoni dans leurs conclusions remises aux juges lors de la dernière audience de ce procès. Ce sont ces questions sans réponses qui viennent en appui de la demande d’une information judiciaire complémentaire dans le dossier. Les juges devront attendre les arguments du parquet et de la partie civile en faveur ou contre cette demande avant de se prononcer. A titre de rappel, cette demande d’information judiciaire complémentaire intervient alors que M. Olanguena lui-même avait déjà stigmatisé ce qu’il croit percevoir comme une inculpation pour le fait d’autrui. Et, il y a quelques semaines, l’ancien ministre, qui sait que ses déboires judiciaires ont un fondement politique, avait suggéré, au lendemain de ses 16 années révolues de mise en détention, qu’il est temps que la paix s’instaure. L’ancien ministre a déjà été condamné par le passé à deux reprises par le TCS, notamment pour un détournement de fonds publics «par assimilation», après que le parquet du TGI du Mfoundi ait bloqué en 2012 le verdict de son procès à la veille de l’entrée en fonction du TCS. M. Olanguena Awono purge une peine de 20 ans à la prison centrale de Yaoundé-Kondengui, en attendant l’issue du dossier en cours. Il est poursuivi, en passant, en compagnie du Dr Wang, médecin qui occupait à l’époque des faits le poste de coordonnateur du programme Sida.

Une enquête complémentaire sollicitée par Olanguena Awono

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