Le président de la région du Centre, Gilbert Tsimi Evouna, a-t-il menti au sujet de l’attribution définitive du lot municipal N° 96 opérée au quartier Mfandena au profit de Louise Abada Abah en 2016, période pendant laquelle il occupait encore les fonctions de délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé (CUY) ? C’est en tout cas ce qu’une collégialité des juges du Tribunal administratif (TA) du Centre ira vérifier aux archives de la Mairie de Yaoundé, une institution née après la dissolution de la CUY en 2020, puis au quartier Mfandena. Pour cause : l’authenticité du procès-verbal (PV) de «descente de la commission municipale de constat des mises en valeur» dressé le 20 janvier 2016 par M. Tsimi Evouna en compagnie de certains de ses anciens collaborateurs à la CUY est contestée par Esther Christine Etong Abeng devant la juridiction.
Mme Etong Abeng pense en effet que la commission Tsimi Evouna n’est jamais descendue à Mfandena. Or, le procès-verbal allégué attribut de manière définitive un lot municipal d’une superficie de 450 mètres carrés, au prix de 18 millions de francs, à Mme Abada Abah. Il y est mentionné, entre autres, que la bénéficiaire a érigé une maison d’habitation sur le site en question et y a créé une plantation d’arbres fruitiers. Et sur la base de ce PV, le conservateur foncier du Mfoundi a établi le titre foncier N° 2031/Mfoundi au profit de la «propriétaire» du lot cédé.
Les avocats des deux dames ont croisé le verbe devant la barre le 9 février dernier, avant que le tribunal ne décide finalement d’une mesure d’instruction complémentaire, à la demande du conseil de Mme Etong Abeng. Le tribunal veut vérifier que les informations contenues dans le procès-verbal de la commission Tsimi Evouna reflètent la réalité sur le terrain. A condition que la plaignante paie 300 mille francs, le coût de la descente du tribunal.
Suppression d’ouvrage
Dans cette affaire, Mme Etong Abeng veut faire annuler le titre foncier déjà évoqué. Elle argue d’une supposée «fraude du bénéficiaire». Elle explique dans son recours que son défunt père, David Abeng, avait obtenu auprès de la CUY la parcelle querellée en 1971. Le cahier de charges de la concession provisoire lui accordait un délai de 5 ans maximum pour qu’il réalise des investissements sur le terrain. Ce qui ouvrait la possibilité d’une concession définitive pouvant aboutir à la délivrance d’un titre foncier. La plaignante prétend que son défunt père a construit une maison d’habitation sur le lot disputé en plus des arbres fruitiers qu’il y a planté. Mais la CUY n’a jamais dépêché une commission pour constater les réalisations de son défunt père. Ce dernier lui-même n’a pas relancé la communauté urbaine à cet effet. Néanmoins, depuis une quarantaine d’années, leur occupation du site était paisible.
Mais en 2016, la famille a perdu le sommeil en recevant une sommation invitant à déguerpir le site querellé. Mme Abada Abah avait engagé une procédure judiciaire contre la succession Abeng David devant le juge civil du Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé-Ekounou sollicitant «la démolition» de leur maison d’habitation. Selon la plaignante, c’est à l’occasion de ce procès qu’elle a découvert le titre foncier attaqué et ses éléments accessoires.
Pour Mme Etong Abeng, la fraude foncière décriée saute à l’œil nu. Elle estime que son adversaire s’est frauduleusement appropriée les biens de son père pour obtenir le titre attaqué. La CUY ne pouvait pas réattribuer une autre concession provisoire sur le lot querellé sans au préalable annuler la première, celle de son père, dit-elle. De plus, ni M. Abeng, ni ses héritiers n’ont reçu une notification les informant du retrait de leur concession provisoire, encore moins la réattribution du lot à un tiers. Selon elle, la procédure en «suppression d’ouvrage» engagée par Mme Abada Abah trahit suffisamment les faits dénoncés.
Déclarations mensongères
Le parquet et le ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (Mindcaf) ont exprimé une position identique dans l’affaire. Ils estiment que la plaignante ne peut pas se prévaloir d’une concession provisoire «caduque» à cause du non-respect du cahier des charges pour attaquer un titre foncier délivrer à la suite d’une immatriculation directe. Le Mindcaf a enfoncé le clou en prétendant que «la Communauté urbaine ne pouvait pas imaginer que les premières réalisations étaient faites, c’est pour cela que le lot a été réattribué à Mme Abada Abah (…). La propriété du sol emporte sur les ouvrages attachés au sol».
Dans le même sens, l’avocat de Mme Abada Abah, intervenante volontaire dans le procès, a de son côté ajouté que le recours doit être rejeté tantôt pour défaut de qualité de la plaignante, tantôt parce que déposé hors délai. Que la plaignante a mal orienté son recours gracieux en l’adressant au Mindcaf plutôt que la CUY, auteure de la «concession définitive» critiquée.
Interrogeant les parties, le tribunal a fait remarquer que Mme Abada Abah affirme dans ses écritures que feu David Abeng lui a vendu le lot litigieux devant l’étude de Me Ndome XXXX, notaire à Yaoundé. En réaction, l’avocat de la plaignante dira que la prétendue vente relève du faux, car un terrain non immatriculé ne peut faire l’objet d’une vente devant notaire. Il signale que des poursuites judiciaires sont d’ailleurs engagées à ce sujet au pénal contre le notaire et consorts pour «faux» et «déclarations mensongères» devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Mfoundi.