Des proches d’un "Général" ambazonien en prison pour rien

Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com Ils ne sont plus en état d’être jugés. Et pourtant, bien que n’étant frappés d’aucune condamnation, ils continuent de croupir à la prison centrale de Yaoundé Kondengui depuis le 13 octobre 2020, soit depuis 30 mois. Ayuk Esther Makere, 22 ans aujourd’hui, Nanje Martina Nalova, 23 ans, et Raphaël Mbulla Nango, 35 ans, puisqu’il s’agit d’eux, se retrouvent dans un imbroglio judiciaire que seuls savent en créer les juridictions militaires camerounaises. Poursuivis au début pour des faits présumés de «coaction de non-dénonciation d’actes de terrorisme» , de «sécession» , et de «défaut de carte nationale d’identité» , ils ne sont plus sous le coup d’aucune poursuite judiciaire. Et ils se démènent comme ils peuvent pour recouvrer la liberté. Ce mardi, 25 avril 2023, ces jeunes gens ont deux rendez-vous judiciaires avec le juge des libertés. La première procédure concerne Raphaël Mbulla Nango seul. Il se retrouve devant la Cour d’appel du Centre après un premier échec devant le président du Tribunal de grande instance (TGI) du Mfoundi pour sa remise en liberté immédiate. Les deux autres, Ayuk Esther Makere et Nanje Martina Nalova, plaident leur cause le même jour devant le président du TGI du Mfoundi justement. Dans les deux cas, suite à divers actes de procédures posés dans leur affaire commune, ils se sont retrouvés dépourvus de toute charge. La situation est devenue irrémédiable, mais leur avocat, Maître Menkem Sother, peine à faire entendre leur cause. Les déboires judiciaires de ces personnes commencent en fait dans la nuit du 26 au 27 juillet 2020. En mer pour le Nigéria où les deux dames séjournent depuis trois ans déjà, le trio tombe dans un filet dressé par les forces de l’ordre qui patrouillent en mer au large de l’embouchure du Rio Del Rey. M. Mbulla Nango Raphaël est conducteur d’embarcation et c’est à bord de son navire que se trouvent ses deux compagnonnes d’infortune qui viennent de passer deux semaines au Cameroun. Ces dernières ont embarqué avec 34 colis de fruits divers qu’elles entendent écouler au Nigéria. Mme Ayuk Esther Makere est la sœur d’un certain Ikoekwu David, alias «General Ikoekwu General Die Man» , qui passe pour être un «grand sécessionniste». Une terreur dans le département du Ndian, Région du Sud-Ouest. Pour sa part, Mme Nanje Martina Nalova est la belle-sœur du même «General» . Détention d’armes… Au moment de leur interpellation par les forces de l’ordre, aucune des trois personnes n’est porteuse de sa carte nationale d’identité. C’est d’ailleurs la première raison de leur interpellation. Les investigations menées plus tard par les forces de l’ordre permettront de se rendre compte, selon ce qui apparaît dans leur dossier judiciaire, que «la marchandise (34 colis de fruits) était issue de nombreux pillages du groupe sécessionniste "du General Ikoekwu General Die Man" dans la localité de Djieny et ses environs» . Si les deux dames sont alors directement suspectées d’être en liaison avec le «grand sécessionniste», le tort du pilote, selon l’enquête judiciaire, c’est d’en avoir fait ses clientes. «Elles avaient lors de ce premier voyage pris le numéro de téléphone de Nango avec lequel elles se sont accordées pour qu’il vienne les chercher à l’issue de leur séjour au Cameroun» , lit-on dans l’ordonnance de renvoi. Lorsque les trois suspects sont déférés devant le Commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire de Yaoundé (TMY), ils sont inculpés pour les faits de «blanchiment des produits des actes de terrorisme, complicité de blanchiment des produits de terrorisme, non-dénonciation et défaut de carte nationale d’identité» . Même si le «General Ikoekwu General Die Man» n’est pas dans la nasse, il est lui-aussi concerné par les poursuites judiciaires engagées. Le parquet obtient qu’il soit inculpé pour des faits présumés «d’actes de terrorisme, sécession, port et détention illégaux d’armes de 4 ème catégorie» . Il échappera finalement aux poursuites judiciaires parce que le juge d’instruction n’a pas pu l’identifier formellement. Ayuk Esther Makere et Nanje Martina Nalova, qui répondent de «coaction de blanchiment des actes de terrorisme», ne réussiront pas à convaincre le juge d’instruction de leur innocence, même si elles «nient avec véhémence» les faits mis à leur charge tout en reconnaissant que leur frère et beau-frère est «Ambazonien». La sœur du «General» a néanmoins déclaré pendant l’information judiciaire que c’est ce dernier qui lui avait confié les marchandises saisies dans l’embarcation pour les vendre au Nigéria. Bien que Nanje Martina Nalova ait déclaré n’avoir jamais été en contact avec le «General», elles seront renvoyées en jugement. En fait, le juge d’instruction estime «qu’aucune mesure n’a été prise par chacune d’elles pour le dénoncer» . Il décide même de «requalifier les faits initialement qualifiés de blanchiment d’actes de terrorisme en ceux de sécession et non dénonciation» . Pour lui, «les co-inculpés ont transporté en toute connaissance de cause les marchandises appartenant au sécessionniste Ikoekwu David [et] qu’en aucun cas la connaissance de Ikoekwu David ne saurait s’assimiler en celle de blanchiment et le qualificatif qui sied est celui de sécession qui s’entend au sens de l’article 111 du Code pénal "comme le fait d’entreprendre par quelque moyen que ce soit de porter atteinte à l’intégrité du territoire"» . En revanche, sur le cas de M. Raphaël Mbulla, le juge d’instruction conclut qu’il y a «insuffisance de charges» à son encontre. «L’inculpé n’avait aucunement connaissance de ce que les marchandises transportées étaient issues de nombreux pillages» , écrit-il dans son ordonnance clôture l’information judiciaire, en précisant que «qu’aucun élément palpable et convainquant ne permet de le lier aux faits reprochés aux autres inculpés» . Mais l’infraction de défaut de carte nationale d’identité sera retenue contre les trois inculpés à la fin de l’instruction qui s’achève le 15 novembre 2021. En clôturant son information, le juge d’instruction, Mme Mangoum Deffo Rose épouse Onana a oublié de lever le mandat de détention de M. Raphaël Mbulla pourtant lavé des infractions graves retenues contre lui. Et ça fait déjà plus de 13 mois qu’il est incarcéré à la prison centrale de Yaoundé Kondengui. Là nait le premier hic de cette procédure judiciaire. Lorsque l’affaire commence à passer en jugement, Maître Menkem Sother, l’avocat du trio, essaie sans succès d’obtenir la remise en liberté de M. Mbulla, soulignant que le défaut de CNI, unique infraction qui survit contre ce dernier, est puni «d’une peine d’emprisonnement allant de 3 mois à un an et d’une amende de 50 mille à 100 mille francs» , selon l’article 5 de la loi du 19 décembre 1990 instituant la CNI. Le 21 mai 2022, l’avocat va saisir le juge des libertés pour demander que soit constatée la détention illégale de son client et ordonné sa remise en liberté immédiate. Ça fait à ce moment-là un peu plus de 19 mois qu’il est en détention. Cette demande sera rejetée le 2 août 2022 par le président Biwole Eba-Viang, juge au TGI du Mfoundi. «Le dispositif de l’ordonnance de renvoi mentionne l’existence de charges ainsi que le renvoi en jugement de Raphaël Mbulla Nango devant le TMY pour y répondre des infractions de non dénonciation et sécession, ainsi que de défaut de CNI [et] les effets du mandat de détention provisoire décerné contre lui n’ayant pas été interrompus, il ne saurait valablement prétendre à la libération immédiate» , soutient-il dans sa décision, qui fera l’objet d’un recours. Ordonnance annulée Entre-temps, par une «requête aux fins d’irrecevabilité de l’action publique et de mainlevée du mandat de détention provisoire du nommé Raphaël Mbulla Nango» du 13 juin 2022 adressée au président du Tribunal militaire de Yaoundé, qui connaît lui-même de l’affaire en jugement, l’avocat demande de «déclarer l’action publique irrecevable pour défaut d’ordonnance de renvoi de sieur Raphaël Mbulla Nango par devant le tribunal de céans» . Le parquet va s’opposer à cette requête en soutenant que M. Mbulla Nango «était présent au moment de la commission des faits reprochés à ses coaccusés et il doit lui être appliqué l’article 6 du code de procédure pénale sur la connexité» . Jugeant pour sa part que le tribunal est saisi «de toute l’ordonnance et non pas seulement du dispositif» , le président déclare que «l’exploitation du dispositif de l’ordonnance laisse apparaître un flou» . «Après avoir conclu à un non-lieu en sa faveur (Mbulla Nango) en ce qui concerne les infractions de sécession et de non-dénonciation, ce même dispositif a requalifié ces infractions en les mettant à la charge de tous les accusés» , explique-t-il, avant de «constater la nullité» de l’ordonnance du juge d’instruction et de rejeter la requête de Me Menkem . Dans le même temps, le ministère public est appelé «à mieux se pourvoir» . Il ne prendra curieusement aucune disposition dans ce sens. On est rendu au 19 octobre 2022. Ce qui crée un second hic dans la procédure, les mis en cause étant toujours en détention. Pendant ce temps, la Cour d’appel, qui a été saisie de l’appel contre le rejet de la demande d’habeas corpus en faveur de Raphaël Mbulla Nango, tergiverse : «L'affaire était enrôlé en appel à l'audience de M. Tankoua Gabriel. Nous avons débattu. L'affaire a été mise en délibéré puis prorogée plusieurs fois, après rabattu pour être renvoyée devant une nouvelle composition. Ça fait juste deux audiences que cette affaire se trouve devant un nouveau juge, M. Datchoua Jean. Elle est passée le 28 mars et a été renvoyée au 25 avril 2023 pour débats en présence de l'avocat du requérant», explique Me Menkem. Toujours au front, maintenant pour les deux dames dont il assure aussi la défense, l’avocat a engagé pour chacune une «requête aux fins d’habeas corpus» le 13 décembre 2022. Ses clientes sont «toujours en détention alors que l’ordonnance objet de leurs poursuites a été annulée», relève-t-il à l’attention du juge des libertés. Lors de l’audience du 28 mars 2023, ces deux affaires ont été aussi renvoyées au 25 avril 2023 «pour permettre au ministère public de faire les recherches» . Nul ne sait finalement quand ce rodéo judiciaire prendra fin, le pilote d’embarcation et ses deux clientes n’ayant manifestement pas des soutiens puissants comme certains autres justiciables pour qui la justice est prête à se mettre en quatre, dès que le problème de leur remise en liberté est posé.

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