C’est le sprint final dans l’affaire Aspac Cemac pendante devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Dans presque deux mois, le 3 septembre 2021, le ministère public va présenter aux juges son réquisitoire final dans cette procédure qui met aux prises l’Etat du Cameroun à l’ex-ministre de l’Eau et de l’Energie, Basile Atangana Kouna, et l’homme d’affaires belge, Jacques Michel Massart. Deux des cinq accusés les plus connus du dossier. Le procureur dira ce jour-là s’il est pour ou contre la condamnation des mis en cause par rapport aux différents griefs qu’il leur impute. Puis suivront, quatre jours plus tard, le 7 septembre, les plaidoiries des avocats de la défense.
Le 27 juillet, l’accusation a procédé au contre-interrogatoire de Thomas Nama Aloa, seul accusé qui comparaît aux côtés de l’ex-ministre. «Neveu» de M. Atangana Kouna, il répond d’une supposée complicité du détournement de 1,7 milliard de francs réalisé à la Camwater.
Les poursuites engagées contre M. Nama Aloa tire leur source du fait que le 21 novembre 2009, la Camwater alors dirigée par M. Atangana Kouna, avait attribué un marché au groupement d’entreprises belges Bateau S.A, représentée par Vincent Pissart, et Aspac Universal, représentée par Jacques Michel Massart. Ce marché d’un montant global 39 milliards de francs portait sur la réhabilitation, le renforcement et l’extension du système en eau potable de 52 centres au Cameroun. On fait le reproche à M. Massart d’avoir sous-traité l’exécution du marché en question à Aspac Cemac Sarl qualifiée par l’accusation de «société écran».
Société écran
Créée en 2010, Aspac Cemac était dotée d’un capital de 1 million de francs détenu par trois personnes. Selon l’accusation, M. Nama Aloa possédait 25% des parts, M. Bello Oussoumana, 15%. Le reste des parts appartenaient à Aspac Universal, propriété de M. Massart. Les deux Camerounais auraient ensuite vendu leurs parts à Aspac Universal qui contrôlait ainsi l’entièreté du capital d’Aspac Cemac porté par M. Massart. La constitution d’Aspac Cemac s’est effectuée dans le cabinet de maître Jacques Aurélien Kwa Mbette, notaire à Yaoundé.
Pour l’accusation, la création de l’entreprise dénigrée n’a constitué qu’un maquillage financier visant à distraire les fonds publics. D’ailleurs, la somme de 1,7 millions de francs perçue par Aspac Cemac dans le cadre du marché querellé est considérée de détournement.
Lors de son interrogatoire, M. Nama Aloa a clamé son innocence. Parfois confus dans ses déclarations, il indique avoir travaillé à la Camwater pendant 18 ans. Mécanicien automobile, il était le chauffeur de M. Atangana Kouna lorsque ce dernier trônait à la tête de l’entreprise d’Etat. Epoque pendant laquelle, il a également occupé les fonctions de chef du parc automobile de la Camwater. Il soutient tout ignorer de la création et de la constitution du capital d’Aspac Cemac. Il n’a découvert les faits mis à sa charges que pendant l’enquête policière devant le TCS.
En effet, c’est Vanessa Yondo, cadre à la Camwater, déclarée en fuite, qui a conduit le processus de constitution d’Aspac Cemac devant le notaire. A cette occasion, la dame s’est prévalue d’un mandat du cabinet d’étude et de réalisation d’Afrique (Cera) lui donnant qualité d’agir en lieu et place des différents protagonistes absents. En dehors des statuts de l’entreprise en création, elle avait joint au dossier de procédure les procurations prétendument signées par les actionnaires déjà mentionnés ainsi que les photocopies certifiées de leurs cartes nationales d’identité (CNI).
- Nama Aloa indique que Mme Yondo était chef de direction à la Camwater «chargée de la recherche des finances». La concernée lui a demandé la photocopie de sa CNI, sans plus de précisions. Il a «préféré» déposer le document sollicité à la direction du personnel parce que la dame ne lui a pas dit à quoi allait servir la pièce. Et c’est lorsque l’affaire déclenche qu’il a eu connaissance de la constitution d’Aspac Cemac.
Aucun radis
«Est-ce parce que Mme Yondo est absente que vous voulez tout rejeter sur elle ?», interroge Me Mba Evindi, l’avocat de l’Etat. «Si elle ne se reprochait de rien, pourquoi elle a fui la Justice ?», réagit M. Nama Aloa, presque énervé. Avant de rappeler que lors de l’audition de Me Kwa Mbette comme témoin de l’accusation, le concerné avait affirmé avoir plus tard constaté que les signatures attribuées à M. Nama Aloa et à M. Bello Oussoumana lors de la constitution d’Aspac Cemac différaient d’un document à l’autre. Ce qui montre que ces pièces étaient fausses [lire Kalara N° 376 du 16 mars 2021]. Il n’a cependant pas porté l’affaire devant la Justice.
«Avez-vous perçu de l’argent provenant d’Aspac Cemac ou de M. Massart ?», demande le procureur. «Non. Je n’ai perçu aucun radis» issu de la supposée cession de ses parts querellées, indique l’accusé. «N’avez-vous pas eu à reverser de l’argent dans un compte bancaire ?», demande le représentant du parquet. «Non. Quel compte bancaire ? J’aimerai savoir ?», répond l’accusé précisant à la demande de son interlocuteur que son salaire à la Camwater était de 500 mille francs, regrettant ne pouvoir présenter les justificatifs afférents se trouvant chez-lui à Douala. L’accusé est resté constant dans ses explications en répondant aux questions du tribunal.
Rappelons que M. Massart, déclaré en fuite, a restitué au Trésor public la somme de 1,7 milliard de francs au centre du procès. En 2020, le Belge et M. Atangana Kouna ont bénéficié d’un arrêt des poursuites sur le chef d’accusation de détournement de biens publics. Incarcéré depuis trois ans comme son neveu, l’ex-ministre n’est désormais poursuit que pour le supposé délit d’intérêt dans un acte en rapport avec le marché déjà mentionné. M. Nama Aloa a également introduit une demande d’arrêt des poursuites.