Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Le grand oral des accusés du second procès intenté contre l’ex-recteur Bruno Bekolo Ebe a débuté devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Jeudi dernier, le 11 août 2021, les juges ont entendu un premier mis en cause, notamment Augustin Marie Mboudou, enseignant d’université retraité. Le concerné s’est défendu sur le détournement présumé de 331 millions de francs mis à sa charge, et prétendument réalisé lorsqu’il occupait les fonctions de directeur des affaires administratives et financières (DAF) de l’Université de Douala entre 2006 et 2010. Ces faits ont été décelés par une mission de vérification du Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe).
Répondant aux questions de son avocat, M. Mboudou a clamé son innocence sur tous les griefs qu’il a parfois traité d’absurdes ou de légèretés. Son contre-interrogatoire par l’accusation est prévu ce 17 août.
La plus grosse charge sur l’ex-DAF concerne, en effet, le détournement présumé de 290 millions de francs opéré, selon l’accusation, à travers «l’achat fictif» de plus de 1,4 million de cahiers de composition. Dans le rapport de la mission du Consupe, il est dit que ces cahiers ont été déchargés par des personnes souvent non habilitées et pour des destinations non précises.
Pour sa défense, M. Mboudou affirme que l’acquisition du matériel querellé se fait tout le long de l’année académique. Le seul rôle joué par le DAF ne consiste qu’à monter les dossiers des marchés d’acquisition dudit matériel. La réception du matériel en question est faite par une commission présidée par le recteur ou son représentant, avec comme membres le chef service du budget, le comptable-matière et le fournisseur lui-même. Puis le matériel est stocké dans un magasin tenu par le comptable-matière du rectorat qui enregistre les entrées et sorties. Et lors des examens, ce sont les chefs des 11 établissements (facultés et grandes écoles) ou leurs mandataires qui venaient décharger les cahiers de composition. C’est Thomas Debou qui était comptable-matière au moment des faits. «Le rapport des experts du Consupe dit que ces cahiers ont été belle et bien déchargés. Cela suppose que ces cahiers de composition existaient quelque part. Je crois que le problème se pose sur les personnes dites non habilitées.»
Livres français
Le deuxième grief retenu contre l’ex-DAF concerne le détournement allégué de 36 millions de francs se rapportant à l’achat dit fictif des livres pour les bibliothèques de l’université. M. Mboudou explique que le 2 juillet 2008, le recteur Bekolo Ebe a créé une caisse d’avance d’un montant de 70 millions de francs en vue de l’achat des livres litigieux et l’a désigné régisseur (gérant) de ladite caisse. Mais l’agent-comptable a refusé de la créditer pour une raison technique.
De fait, lors de l’achat des livres à l’étranger, les pays d’Afrique francophone se tournent presqu’exclusivement auprès du Centre d’exportation du Livre français (Celf), une entreprise française basée à Paris. Le Celf joue le rôle d’intermédiaire entre ces Etats et les maisons d’édition, et permet aux Etats africains d’acquérir le manuel à des prix préférentiels, subventionnés parfois à moitié. «Je n’ai jamais décaissés ces fonds. L’agent-comptable n’a pas voulu mettre ces fonds à ma disposition en disant que je n’avais pas de compte à Paris. Il a préféré payer la dépense lui-même en transférant les 70 millions de francs dans les comptes de la société Celf.» Il a présenté aux juges les originaux des documents administratifs et bancaires entourant cette opération. Le ministère public a essayé de les faire écarter des débats prétendant : «douter de l’authenticité : c’est peut-être un scan de l’original». Il a essuyé un revers, le tribunal les a tous admis dans son dossier [lire encadré].
L’ex-DAF est aussi accusé d’avoir payé en 2010 des primes sans justificatifs. Préjudice allégué 5,8 millions de francs. Sur cette charge aussi, M. Mboudou a estimé que les faits sont tronqués et erronés. Il affirme que sur instruction du ministre de l’Enseignement supérieur (Minesup), le recteur Bekolo Ebe avait mis sur pied une commission ad-hoc en vue de la consolidation du fichier solde des personnels de l’Etat relevant du Minesup et de procéder à l’inventaire du parc-automobile de l’université. Cette équipe était composée de 53 membres. Il était l’un des cinq vice-présidents.
La commission a entamé ses travaux, alors que le budget de l’université «n’est pas encore officiellement ouvert». Face à la situation, le recteur a autorisé l’agent-comptable de «procéder au règlement des primes de gratification des membres» en priorité. Cette dépense a été régularisée plus tard, le 10 décembre 2010. «D’où vient-il que c’est le DAF qui a payé cette somme et l’ait payé sans pièces justificatives ?», s’est interrogé M. Mboudou précisant n’avoir touché qu’une prime de 250 mille francs.
On lui fait également le reproche d’avoir perçu une prime mensuelle de 100 mille francs versée par l’université comme participation à son logement, bien que bénéficiant déjà d’une indemnité de non logement dans son salaire de fonctionnaire. Le montant querellé est de 3,5 millions de francs.
Grogne des enseignants
Contrairement à l’accusation, l’ex-DAF estime que c’est en toute légitimité qu’il percevait les fonds litigieux parce que ne jouissant pas d’un logement de fonction. Il a profité de l’occasion pour retracer la genèse et le fondement légal de la prime incriminée. Il raconte qu’en 1998 un mouvement d’humeur des enseignants affectés à l’Université de Douala l’a paralysé alors qu’elle venait d’être créée. Ces enseignants insurgés demandaient à l’université de supporter leur loyer. Le ministre de l’Enseignement supérieur avait tenu une réunion avec les protagonistes le 2 février de la même année. Pour taire la grogne, «il a été décidé, affirme M. Mboudou, que l’Université de Douala, à défaut de loger ses responsables, devait accorder une somme forfaitaire à ses responsables nouvellement nommés comme participation au logement des intéressés compte tenu du coût élevé des logements à Douala».
Le même jour, le recteur Ngando Mpondo signait une décision précisant les montants alloués ainsi que les bénéficiaires de la prime critiquée. Sont ainsi bénéficiaires : les personnels de l’université ayant le rang de directeur (100 mille francs), le secrétaire général et assimilés (vice-recteurs) et le recteur. Cette décision a été entérinée par le conseil d’administration de l’Université de Douala le 3 septembre 1999. «A cette époque, je n’étais pas DAF ni en fonction à l’Université de Douala», a ironisé l’accusé.
Le dernier reproche fait à M. Mboudou est d’avoir fait supporter les frais d’assurance de son véhicule personnel par l’université à hauteur de 157 mille francs. «Il n’existe aucune pièce attestant de la supposée fraude», soutient l’accusé. Il affirme que le parc automobile de l’Université de Douala est assuré par la compagnie Activa. Au moment des faits, il assurait aussi à ses fonds propres deux véhicules personnels dans la même compagnie. C’est Activa qui a par erreur confondu son adresse et a aligné ses deux véhicules dans la flotte de l’université. Cette compagnie d’assurance s’est d’ailleurs excusée dans une lettre datée du 2 juillet 2012.
Rappelons que M. Mboudou, Pr Bruno Bekolo Ebe et Louis-Max Ayina-Ohandja, l’ex-directeur de l’UIT de Douala sont embastillés à la prison centrale de Yaoundé pour de supposées irrégularités décelées dans leur gestion à l’Université de Douala.
Le procureur blâme le représentant de l’Etat
M. Mboudou s’est prévalu des documents administratifs et financiers au soutien de ses déclarations. Lesdits documents ont été certifiés conformes par Dr Nguema Jean Sylvain, chef de la division du Budget et des affaires administratives et financières de l’Université de Douala, par ailleurs le représentant de l’institution dans le procès. Une vive discussion a opposé l’accusation et les avocats de la défense sur leur recevabilité ou non.
M. Thoussi François, le représentant du parquet, estimait que M. Nguema n’avait pas compétence à authentifier les documents allégués, car certains avaient été signés par le ministre de l’Enseignement supérieur, le recteur, le président du conseil d’administration etc. Pour lui, seul l’autorité qui a signé un document peut le certifier conforme. Une assertion battue en brèche par la défense arguant que le TCS a déjà rendu plusieurs décisions de principe (jurisprudence) sur le sujet selon lesquelles l’autorité qui est en possession de l’original d’un document peut authentifier la copie.
Réagissant sur la question, M. Nguema dira que dans les universités, «il n’y a pas mieux que le DAF» pour attester de la véracité d’un document administratif et financier. Il indique que depuis l’entame du jugement, c’est lui qui certifie les documents des différents camps.
Ses explications ont fait sortir le ministère public de ses gongs. «Le complot vient d’être éventré. Nous croyions que M. Nguema était du côté de l’accusation. Nous venons de découvrir qu’il défend les accusés. Je veux qu’il soit mentionné dans le plumitif. Je vais rendre compte au Garde des Sceaux. Vous dites qu’on a souvent admis les pièces certifiées conformes par vous ? C’est maintenant que le procès commence. Dans l’affaire Dieudonné Oyono, nous n’avons pas voulu vous le dire. Nous avons rejeté les pièces que vous avez certifié de manière indécente». «Vous louvoyez». Le procureur va rappeler à M. Nguema que l’université ne peut récolter des intérêts civils que si les accusés sont déclarés coupables. «Sans vouloir faire un ping pong avec l’avocat général, nous recherchons tous la vérité», va réagir M. Nguema. Finalement le tribunal a admis tous les documents dénigrés comme pièces à conviction.