Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
La toile a connu une effervescence particulière le mardi, 13 juillet 2021, peu de temps après l’audience tenue par le Tribunal administratif de Yaoundé. C’est que la juridiction en question a rendu publique le même jour sa décision dans le litige qui oppose depuis quelques années le Pr Bruno Bekolo Ebe, ancien recteur de l’Université de Douala, à l’Etat du Cameroun représenté par le Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe). Et le Consupe a mordu la poussière devant l’ancien recteur, le tribunal ayant ramené à néant les fautes de gestion à incidences financières qui lui avaient été imputées. En un mot, le tribunal administratif a passé un coup de gomme sur des charges évaluées à une somme globale d’un peu plus de 2,4 milliards de francs qui pesaient sur l’ancien recteur. D’où l’embrasement de la toile.
Tel que cela apparaît dans l’extrait du plumitif de la décision de la semaine dernière, le tribunal administratif de Yaoundé, conduit ce jour-là par le chef de la juridiction, M. Anaba Mbo Alexandre, a jugé que le recours de M. Bekolo Ebe est «recevable» et «partiellement fondé». Le collège des juges a donc annulé huit «fautes de gestions avec incidence financière» et 13 «fautes de gestion sans incidence financière», qui lui avaient été imputées par le Conseil de discipline budgétaire et financière (Cdbf). De même, le collège des juges du tribunal administratif a requalifié en «fautes de gestion sans incidence financière» trois autres fautes de gestion qui avaient été considérées par le Cdbf comme ayant eu une incidence financière sur les comptes de l’Université de Douala.
Contestation du Cdbf
Pour bien comprendre la décision de la juridiction administrative dans l’affaire opposant M. Bekolo Ebe à l’Etat du Cameroun, il convient de remonter à une mission de vérification qui avait séjourné au sein de l’Université de Douala pour auditer la gestion du célèbre enseignant de sciences économiques. Le rapport de cette mission d’audit avait donné lieu à la saisine du Conseil de discipline budgétaire et financière. Par une décision rendue le 22 janvier 2014 après examen du rapport d’audit du Consupe, le Cdbf retenait 27 fautes de gestion dans la gestion du recteur, dont une dizaine ayant une incidence financière d’un peu plus de 2,4 milliards de francs au total. S’estimant lésé par cette décision, le célèbre enseignant engageait la procédure pour en contester le contenu. C’est cette procédure qui a abouti à la décision du tribunal administratif de Yaoundé la semaine dernière.
Dans le détail, la juridiction administrative a donné raison à l’ancien recteur sur la plupart de ses contestations, 24 des 27 fautes constatées par le Cdbf ayant été soient annulées (21), soit rectifiées de façon substantielle (3). Seules 3 fautes de gestion initiales ont totalement survécu. Ainsi, les huit fautes de gestions antérieures du Cdbf avec préjudice financier qui sont annulées par la décision du 13 juillet 2021 représentent une charge de presque 1,7 milliard de francs. Une charge qui s’efface totalement sur la tête de Bruno Bekolo Ebe. La requalification des trois fautes de gestion anciennement considérées par le Cdbf comme ayant une incidence financière en faute sans préjudice financier soulage aussi l’ancien recteur d’une charge totale d’un peu plus de 744 millions de francs.
Par ailleurs, parmi les trois fautes requalifiées en «fautes de gestion sans préjudice financier», il y en a une qui pesait toute seule jusqu’ici de presque 598 millions de francs. Il s’agit en fait du montant des primes et avantages divers payés par l’Université de Douala à son personnel (enseignant ou non) non seulement pendant le séjour de M. Bruno Bekolo, mais aussi avant sa nomination à la tête de cette institution universitaire. Le Consupe puis le Cdbf reprochaient à l’ancien recteur d’avoir tardé à faire valider l’institution de ces primes et avantages par le Conseil d’administration de l’université. Arrivé à la tête de cette institution en septembre 2003, le recteur avait obtenu une délibération du Conseil d’administration en 2009.
Investigation à charge
Le tribunal administratif a considéré qu’il avait commis une faute, mais a jugé que ladite faute ne justifiait pas qu’il lui soit demandé de rembourser la somme conséquente à l’Université de Douala alors qu’il ne l’avait pas personnellement perçue. En tout cas, le tribunal considère qu’il s’agit d’une faute sans aucune incidence financière. Le tribunal administratif a aussi annulé toutes les fautes de gestion sans préjudice financier, y compris celle par laquelle il était reproché à l’ancien recteur de s’être approprié les prérogatives du président de la République et du ministre de l’Enseignement supérieur en mettant en place, à titre conservatoire, des structures fonctionnelles qui auraient dû l’être par décret présidentiel ou par arrêté ministériel.
La décision du Tribunal administratif est une importante victoire pour le Pr Bekolo Ebe. L’ancien recteur a toujours dénoncé le caractère inique des sanctions du Cdbf prises à son encontre sur la base d’un rapport de mission d’investigation «essentiellement à charge». Il a toujours considéré (voir aussi) que les sanctions du Cdbf avaient pour seul objectif de l’abattre à partir de l’instrumentalisation d’une mission de contrôle dirigée, au mépris du principe d’indépendance, par Mme Kane Fortune Pauline Honorée, inspecteur d’Etat dont le mari, enseignant à l’Université de Douala à l’époque des faits, avait été sanctionné pour une fraude aux examens.
Rappelons tout de même que la sentence de la semaine dernière était attendue depuis quatre mois, en mars 2021. Devant l’offensive de l’ancien recteur, le représentant du Consupe devant la juridiction avait sollicité à l’époque une réouverture des débats en promettant des pièces et arguments de nature à mettre à mal l’enseignant de sciences économiques. Manifestement, le prolongement des débats n’a pas été favorable à l’Etat. Le Pr Bekolo Ebe, qui est incarcéré à la prison centrale de Yaoundé – Kondengui, a déjà connu une première victoire judiciaire devant le Tribunal criminel spécial où il était poursuivi pour détournement présumé des cotisations Cnps d’une valeur de 343 millions de francs. Il est encore en jugement devant le TCS dans le cadre d’un second procès concernant les 2,4 milliards de francs pour lesquels le Tribunal administratif estime qu’ils ne peuvent lui être imputés. Ce procès lambine encore dans l’audition de l’unique témoin de l’accusation.