Ladislas Rikam a Kiyeck, Guy Parfait Eyenga, Fabien Atangana Essomba, Pascal Hugues Medouma, traduits devant le Tribunal criminel spécial (TCS), ont-ils volé 314 cartes autocom de l’entreprise publique Cameroon Telecommunication (Camtel) ? Ou alors sont-ils, comme ils le prétendent, des boucs émissaires sacrifiés pour couvrir les défaillances et les négligences de certains responsables tapis dans l’ombre? Le collège de hauts magistrats en charge de ce dossier devra répondre à ces questions et bien d’autres afin de dissiper les zones d’ombre qui jonchent ce dossier. Il sera question pour ces juges d’établir les responsabilités des uns et des autres au terme des débats qui se poursuivent cette semaine avec les réquisitions du représentant du parquet.
Les quatre accusés, qui croupissent à la prison centrale de Yaoundé Kondengui depuis un an, étaient des employés de la Camtel. Fabien Atangana Essomba et Guy Parfait Eyenga sont des techniciens en maintenance électrique. Ils étaient chargés du bon fonctionnement des installations électriques du centre. Ladislas Rikam a Kiyeck, le vigile, était le gardien des lieux. A l’époque des faits, les trois accusés travaillaient à Yaoundé au Centre national de transit (CNT) situé à côté de la Sonel centrale en face du monument «Charles Atangana». Pascal Hugues Medouma, électronicien, était déjà, quant à lui, affecté à l’agence Camtel de la ville d’Obala département de la Lékié. L’accusation les rend coupables de la disparition de 314 «cartes autocom» d’une valeur de 158,3 millions de francs.
Ledit vol serait survenu au cours d’un déménagement de certains effets le 19 septembre 2020. Lors des audiences antérieures, Guy Parfait Eyenga et Ladislas Rikam a Kiyeck avaient présenté leur défense en clamant leur innocence dans cette affaire. Les deux accusés disaient ignorer ce qu’on appelle «cartes autocom» et affirmaient n’avoir pas de lien avec le vol dont il est question dans ce dossier.
Enquête contestée
Le 9 mars 2022, le tribunal a donné la parole aux deux autres accusés pour qu’ils donnent leur version des faits. Ils ont tous nié les charges retenues à leur encontre. Pour démontrer son innocence, Fabien Atangana Essomba a décrit son travail quotidien, l’environnement général de son lieu de service et les circonstances dans lesquelles s’est déroulé le déménagement au cours duquel serait survenu le vol au centre du procès en cours. «Au quotidien, j’assure le bon fonctionnement des installations électriques du centre. Mon poste de travail est situé au rez-de-chaussée d’un immeuble de 2 étages. J’accède au 1er et 2ème étages en cas de nécessité pour consulter les climatiseurs et les coupe-tension», a déclaré M. Atangana Essomba Fabien. Il a ajouté que tout personnel de la Camtel ainsi que les personnes étrangères ont accès à tous les compartiments de l’immeuble abritant les services du CNT. Celui-ci dispose d’un important système de sécurité permanent constitué des caméras de contrôle, des vigiles et des militaires, a-t-il noté. Pour lui, il est quasi-impossible de perpétrer un coup vol dans cet endroit et en ressortir sans être détecté par le triple système de sécurité en vigueur.
S’agissant précisément du vol des cartes, M. Atangana Essomba Fabien a expliqué que le 20 septembre 2020, pendant qu’il arrivait à son lieu de travail, il avait trouvé un déménagement qui tirait vers sa fin. La seule tâche qu’il dit avoir effectuée ce jour-là en compagnie des militaires et des vigiles, était de dégager et jeter hors de l’immeuble les «poubelles» qui encombraient l’entrée de son bureau. «Je ne peux pas dire de quel déménagement il s’agissait encore moins décrire une carte autocom, que je ne connais pas», a-t-il déclaré, en niant avoir participé au vol et à la vente du matériel prétendument volé. Il a également nié avoir perçu une quelconque rétribution de ce prétendu vol en précisant que la somme de 5000 francs qu’il détenait ce jour-là, représentait les frais de manutention qu’il avait reçus du coordonnateur du déménagement.
Par ailleurs, M. Atangana Essomba Fabien a contesté l’authenticité du procès-verbal de l’enquête préliminaire sur lequel est apposée une signature autre que la sienne. Il a indiqué avec insistance que les propos qui lui sont prêtés dans le procès-verbal de confrontation du 26 février 2021 de la police ne sont pas les siens pour n’avoir jamais pris part à la confrontation avec ses coaccusés dans le cadre de cette affaire.
Zones d’ombre
Pascal Hugues Medouma a, pour sa part, expliqué avoir été recruté et employé au Centre d’énergie et d’environnement de la Camtel de 2015 à 2019. Il avait été affecté par la suite au centre de transmission d’Obala comme technicien d’intervention jusqu’à son arrestation. Son travail, note-t-il, consistait à établir des liens entre les fibres optiques des opérateurs téléphoniques, Orange, MTN, Nextell et Camtel dans la Lékié. «Je ne suis pas impliqué dans ce coup de vol parce que je n’ai jamais travaillé dans le centre national de transit où le vol a été commis. En outre, il ne m’était jamais arrivé de partir de mon poste de travail d’Obala pour le lieu du vol», a clamé M. Medouma Pascal Hugues.
Poursuivant son récit, l’accusé a indiqué qu’au moment des faits, il avait été victime d’un accident de circulation le 17 juillet 2020. «J’ai été interné au Centre des Urgences de Yaoundé (Cury) où j’ai subi une opération de la tête le 1er aout 2020. Trois jours plus tard, j’ai été libéré en bénéficiant de 3 mois de repos pendant lesquels j’allais au Cury suivre des soins médicaux. Je ne sais pourquoi mon coaccusé Eyenga cite mon nom dans cette histoire», a-t-il conclu. Pour soutenir son propos, cet accusé a déposé un dossier médical dont certaines pièces qui n’étaient pas signées par les autorités du Cury ont été contestées par le ministère public et rejetées par le tribunal.
L’affaire, qui revient pour les réquisitions du représentant du parquet, présente, d’après les avocats de la défense, de nombreuses curiosités. D’abord, le fait qu’aucun responsable de la Camtel ne se soit présenté jusqu’ici devant le tribunal pour édifier les juges sur les contours de l’affaire. Or, le procès fait suite à une plainte contre des inconnus. Ensuite, les avocats se demandent comment le vol dont il s’agit a pu avoir lieu sans que les caméras de surveillance filment les voleurs. Enfin, ils trouvent à redire sur le fait que M. Atonfack, le coordonnateur du Centre de transit, théâtre du vol, soit totalement écarté de la procédure judiciaire alors que c’est ce dernier qui avait organisé le déménagement à l’origine du vol décrié. Le tribunal pourra en savoir davantage lors des réquisitions du ministère public et les plaidoiries des avocats.
En rappel, c’est le 23 décembre 2020 que la Camtel avait saisi la justice pour se plaindre d’un vol de 314 «cartes autocom» commis par des inconnus. La valeur dudit matériel était évaluée à 158,3 millions de francs. Le vol aurait été constaté à la suite des plaintes récurrentes des services de la présidence de la République et de la société des Aéroport du Cameroun (ADC) liées aux dysfonctionnements constatés dans leurs lignes téléphoniques.