Par Jacques Kinene et Marie Bahané welao (Stagiaire)
Léonard Mouaha, expert financier près la Cour d’appel du Centre à la retraite, ne sait plus à quel saint se vouer. Après avoir participé à hauteur de 15 millions de francs dans le financement d’un marché public de 180 millions de francs, lancé par le Fonds Routier en 2011, le juriste d’affaires a, en vain, attendu la restitution de ses fonds ainsi que les bénéfices qu’il attendait dans l’affaire. Las de revendiquer le remboursement desdits fonds à son partenaire d’affaires Jean-Marie Tirike, directeur des Etablissements (Ets) Melambo basé à Douala, l’homme a saisi le Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centre administratif contre ce dernier en compagnie de John Paul Kerman, un employé de la Union Bank of Cameroon (UBC) pour des faits d’escroquerie. Le banquier est le gestionnaire du compte bancaire qui avait reçu les paiements litigieux provenant du Fonds Routier.
Selon l’accusation, M. Tirike Jean-Marie, adjudicataire d’un marché public du Fonds Routier avait en 2011, par des manœuvres fallacieuses, déterminé Léonard Mouaha, le plaignant à lui remettre la somme de 15 millions de francs en lui faisant miroiter une contrepartie de 33, 5 millions de francs. Les manœuvres consistaient à lui présenter des éléments de garantie de paiement, mais également à lui proposer une signature conjointe dans le compte où l’argent issu du marché public devait être viré. C’est à ce niveau que John Paul Kerman entre en scène dans l’affaire pour avoir reçu M. Tirike Jean-Marie et Léonard Mouaha à la banque pour la matérialisation de la signature conjointe. Après avoir signé un protocole d’accord avec le directeur des Ets Melambo, accompli les formalités bancaires, M. Mouaha n’attendait plus que sa part dans les retombées du marché au centre du procès.
Sauf que, d’après l’accusation, le plaignant aura la désagréable surprise d’être informé par John Paul Kerman que les paiements étaient effectués à son insu en dépit de la cosignature. C’est alors qu’il s’était rendu compte qu’il a été victime d’une escroquerie organisée par son associé. Et depuis lors, M. Tirike Jean-Marie brille par son absence aux audiences après ses aveux devant le juge d’instruction.
Manœuvres fallacieuses
Le 30 avril 2021, M. Mouaha Léonard a donné sa version des faits devant la barre en présence de John Paul Kerman, l’autre mis en cause. Il a expliqué que M. Tirike Jean-Marie avait gagné en 2011, un marché public de travaux d’entretien de certaines routes rurales dans la région de l’Est pour une distance totale de 98 km. Le montant toutes taxes comprises (TTC) du marché s’élevait à 180 millions de francs et le net à payer était évalué à 150 millions de francs. «C’est sur cette base que j’ai signé un protocole d’accord avec les Ets Melambo qui a sollicité ma participation dans le financement du marché à hauteur de 15 millions de francs. Pour me rassurer, il m’a présenté le marché, la possibilité de paiement et la signature conjointe déposée à la banque pour le décaissement des fonds qu’on allait faire ensemble», a déclaré M. Mouaha Léonard.
Las d’attendre sa contrepartie d’un montant de 33, 5 millions de francs et informé des malversations qui se faisaient sur son dos, le plaignant dit avoir adressé une correspondance à la UBC pour se plaindre de ce que les décaissements se faisaient à son insu au mépris de la cosignature. Léonard Mouaha précise que les retraits d’argent étaient effectués à travers des chèques en blanc (chèque vide dans lequel le porteur peut mettre les indications qui lui plaisent) signés par les Ets Melambo au profit de Désiré Tchuinte, un autre partenaire d’affaires de Jean-Marie Tirike. M. Mouaha s’indigne du silence de l’entreprise bancaire face à sa requête.
Poursuivant son récit au sujet du deuxième volet de l’affaire portant sur l’implication de John Paul Kerman, le gestionnaire du compte par les paiements du Fonds Routier devaient transiter, l’expert financier estime que le banquier avait connaissance de la convention qui le liait à Jean-Marie Tirike. Le juriste d’affaires accuse l’employé de la banque de complicité pour lui avoir caché le fait qu’un troisième larron décaissait les fonds dans le compte bancaire pour lequel une cosignature avait été déposée à UBC. Il dit s’être rendu à plusieurs reprises à la banque pour s’assurer, en vain, que Jean-Marie Tirike avait déposé la demande d’autorisation de cosignature qui lui donnait un droit de regard sur les mouvements du compte litigieux.
D’après lui, le banquier était bel et bien au courant et facilitateur du complot organisé contre sa personne. Il en veut pour preuve les déclarations de Désiré Tchuinte. Ce dernier avait indiqué que le marché étant réceptionné normalement, il y a eu un paiement d’environ 12,6 millions de francs, dans lequel il avait donné 2,6 millions à M. Tirike Jean-Marie et 1 million de francs à M. Kerman, représentant une dette que devait Jean-Marie Tirike à ce dernier. «Nous attendions le paiement d’un dernier décompte et le directeur des Ets Melambo m’a dit que le Monsieur qui suivait le dossier demande la somme de 300 000 francs pour l’avancement dudit dossier. Ce que j’ai fait en remettant à M. Tirike et John Kerman cette somme. Le travail a été fait par la suite, j’ai reçu le document dudit paiement», avait déclaré M. Tchuinte.
Après le témoignage du plaignant, le tribunal a requalifié les faits d’escroquerie en coaction initialement reprochés aux mis en cause, en ceux d’escroquerie pour Jean-Marie Tirike et complicité de la même infraction pour John Paul Kerman.
Le doute
Pour sa défense, John Paul Kerman, a plaidé non coupable des charges qui pèsent sur sa personne. Il a dit avoir rencontré pour la première fois M. Mouaha le 2 décembre 2011 quand celui-ci est venu à la banque en compagnie de Jean-Marie Tirike pour les formalités de la cosignature dans le compte de ce dernier. Il a déclaré leur avoir indiqué la procédure de demande d’ajout d’une signature dans le compte bancaire dans les livres de la UBC. Le problème, d’après le gestionnaire, c’est que le propriétaire du compte litigieux n’avait pas accompli cette exigence déterminante. Raison pour laquelle, selon lui, le plaignant ne pouvait pas être considéré comme un client de la banque. Il a nié avoir perçu le moindre sou dans cette affaire et qu’il n’avait jamais été au courant du protocole d’accord qui liait les deux associés.
Dans ses réquisitions, la représentante du parquet a soutenu que le mis en cause, M. Tirike doit être déclaré coupable de l’infraction d’escroquerie pour avoir usé de manœuvres en vue d’ extorquer les fonds du plaignant. Pour ce qui est du banquier, le magistrat du parquet a indiqué qu’il est allé au-delà de ses fonctions en accordant un prêt personnel d’argent à M. Tirike pour l’exécution des travaux en question. Elle a demandé au tribunal de déclarer John Paul Kerman coupable de l’infraction de complicité d’escroquerie.
L’avocat de John Paul Kerman a, pour sa part, dit que l’accusation ne doit pas être une forme de persécution. Il a souligné que les deux associés ne sont pas allés jusqu’au bout de la procédure normale de la cosignature. Et ce manquement ne peut être imputé à son client qui a bien rempli sa mission. Pour l’avocat, les éléments constitutifs d’escroquerie n’existent pas dans cette affaire. A cause du doute qui plane sur cette procédure, l’avocat de la défense a demandé au juge en charge du dossier de relaxer purement et simplement son client. La décision du tribunal est attendue le 4 juin 2021.