Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
C’est un marché de dupes qui a conduit deux amis devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Qui de Ulrich Armel Sikana et de Pierre Célestin Atangana Bengono, deux entrepreneurs bien connus des milieux d’affaires, a essayé de rouler l’Etat dans la farine ? En tout cas, les deux hommes répondent devant le TCS d’une supposée complicité de la tentative de détournement de la somme de 771,2 millions de francs. Ils sont accusés d’avoir voulu spolier le Trésor public en cherchant à se faire payer deux marchés publics qualifiés de fictifs.
Les parties devraient se retrouver ce mercredi, 12 mai 2021 pour échanger leurs listes des témoins. Déjà, le 30 mars dernier, les accusés ont tous plaidé non coupable des faits mis à leur charge. Le rapport de l’enquête judiciaire dressé par le juge d’instruction résume les faits au centre du procès.
A la suite d’un décret du Premier ministre, le ministre des Finances avait signé une décision le 26 mai 2020 autorisant le paiement d’une partie de la dette intérieure au titre des exercices 2019 et antérieurs à hauteur de 2,3 milliards de francs. L’Etat s’engageait ainsi à solder une partie des arriérés des factures servies par certains prestataires de service. Parmi les bénéficiaires de la mesure, figurait le paiement d’un marché d’un montant de 413,2 millions de francs au profit des Etablissements (ETS) Siks, dont le promoteur est M. Sikana.
La décision du Minfi indiquait que ledit marché avait été attribué par le ministère de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales (Minepia) le 30 décembre 2013 portant sur la fourniture des équipements pour le Centre de collecte de lait. Dans la foulée, un dossier pour le compte des Ets Siks était déposé à la division de la Préparation du budget du Minfi à l’effet d’obtenir le paiement de la somme de 413,2 millions de francs annoncé au profit de l’entreprise.
Le problème : deux mois après la signature de sa décision, le 17 juillet, le ministre des Finances avait adressé une correspondance à son collègue du Minepia sollicitant de ce dernier la transmission de sa décision validant le paiement du marché déjà évoqué. En réaction, le ministre de l’Elevage expliquait que le marché allégué prétendument attribué aux Ets Siks «n’a jamais existé». Précisant qu’il avait plutôt attribué un marché de 13,2 millions de francs aux Ets Siks le 11 novembre 2013 relatif à la fourniture des équipements dans deux centres de collecte de lait dans la région de l’Adamaoua
Le 7 août suivant, M. Atangana Bengono était interpellé dans les locaux de la division de la préparation du budget du Minfi. En fait, un guet-apens avait été monté miroitant à l’accusé d’apporter des pièces complémentaires en vue du traitement du dossier de paiement du marché de 413,2 millions de francs.
Lors des enquêtes, le chef de la cellule juridique du Minepia avait salé la note arguant qu’en dehors du marché allégué, M. Atangana Bengono avait également sollicité, sans succès, le paiement de la somme de 358 millions de francs pour un autre marché fictif relatif à la livraison imaginaire des équipements de foins à la Station d’impulsion moderne d’Elevage (Simel) au Minepia.
Facilitateur
Pendant les enquêtes, M. Atangana Bengono a clamé son innocence et sa bonne foi arguant ne pas être l’auteur de la fraude décriée. Il raconte qu’au mois de janvier 2019, son coaccusé avait sollicité son entregent afin de lui permettre d’obtenir le paiement des deux marchés querellés infructueux depuis des années. En cas de réussite, indique-t-il, M. Sikana lui promettait une rétribution de 5% des sommes recouvrées.
Atangana Bengono affirme qu’il avait reçu toute la documentation se rapportant aux marchés à problème. Et dès le mois de mai 2019, il a entrepris des démarches en vue de débloquer la situation. Au cours de ses démarches, il a rencontré diverses personnalités parmi lesquelles le ministre des Finances et le chef de la division de la préparation du Budget. Selon lui, c’est un certain Foe Magloire Désiré, présenté comme un employé de M. Sikana, qui a déposé les dossiers querellés dans les service du Minfi.
Cette version des faits est à moitié battue en brèche par M. Sikana. Ce dernier ne nie pas avoir sollicité les services de son coaccusé, il précise cependant que la mission de facilitateur auprès du Minepia qu’il confiée à M. Atangana Bengono ne concernait que l’obtention du paiement du marché de 13,2 millions déjà évoqué. Il explique que c’est en septembre 2014 qu’il a livré ledit marché mais le Minepia traîne les pieds pour réceptionner la prestation. Son coaccusé devait donc intervenir auprès du ministre de l’Elevage pour faire aboutir le dossier. Il soutient ne rien savoir des deux marchés litigieux. Et n’a jamais eu un employé au nom de Foe Magloire Désiré. Le concerné a été élargi le juge d’instruction faute d’identification.
Les deux accusés sont en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé. Les débats devant la barre permettront peut-être de voir plus clair dans ce procès. Signalons que M. Atangana Bengono n’est pas inconnu des milieux judiciaires. Il avait écopé d’une lourde peine d’emprisonnement dans l’affaire dite Pierre Désiré Engo, du nom de l’ancien directeur général de la Caisse nationale de Prévoyance sociale (Cnps).