Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Le Tribunal administratif de Yaoundé s’est laissé rouler dans la farine précisément dans la bataille judiciaire qui oppose l’enseignant d’université Fridolin Nke, bien connu sur les réseaux sociaux, au ministère de l’Enseignement supérieur (Minesup).
Le 4 mai dernier, une collégialité des juges de la juridiction s’est en fait déclarée incompétente à examiner un recours introduit par l’enseignant de philosophie tendant à faire annuler une décision du Minesup prise contre lui il y a cinq ans, le 2 juin 2016, portant suspension temporaire de fonction pour une durée de deux ans. Le tribunal s’est laissé convaincre par le représentant de l’Etat durant les débats qu’il n’est pas compétent à vérifier la régularité ou non de la décision attaquée. Alors même que le ministère public avait requis que le tribunal examine l’affaire au fond, l’acte attaqué étant bien un acte administratif.
Dans ce procès, Elise Ngo Hagbe, et son amant Donatien Nke Tsimi, avaient déposés deux plaintes distinctes contre le Dr Nke auprès du recteur de l’Université de Yaoundé I le 23 janvier 2016. La dame était au moment des faits inscrite en Master en philosophie à la Faculté des Arts, des Lettres et Sciences humaines (Falsh). Le mis en cause était de son côté assistant au département de philosophie dans la même université.
Mono Ndzana
Mme Ngo Hagbe prétend dans sa récrimination avoir été victime d’un harcèlement sexuelle puis un viol. Elle raconte que dans le cadre de ses recherches, le mis en cause l’a invité à l’accompagner chez une connaissance chercher des documents numériques. C’est à cette occasion qu’il l’a obligé à lui offrir ses «faveurs sexuelles». Elle affirme que l’accusé avait pris soin de faire des photos de la scène pour la faire chanter.
Pour sa part, M. Nke Tsimi accuse l’enseignant de l’avoir violenté alors qu’il cherchait à exprimer son mécontentement au sujet du supposé «harcèlement» que subissait sa copine. Il affirme avoir reçu «un coup de poing» pendant l’échauffourée. Une troisième plainte sera encore déposée contre Fridolin Nke le 26 du même mois. Elle est signée de Elisabeth Massing. Cette dernière se plaint aussi des supposés faits d’harcèlement sexuel. Secrétaire dans le groupe d’étude que dirigeait l’accusé, elle raconte que lors des cours, le concerné «manifestait des gestes anti-éthiques» à son endroit. Les trois plaintes ont abouti à la traduction de Fridolin Nke devant le Conseil de discipline de l’Université de Yaoundé I.
Problème : Dr Nke s’estime victime d’un complot savamment monté contre sa personne par le professeur Lucien Ayissi, son chef de département de philosophie à l’époque des faits. Ce dernier lui vouait, dit-il, une haine et avait juré le faire partir des amphis. Il nie en bloc les faits qu’on lui impute et déclare que ses droits ont été bafoués devant le conseil de discipline. selon lui, le conseil avait refusé d’admettre dans la salle le célèbre philosophe Pr Hubert Mono Ndzana, qu’il a pourtant requis pour le défendre.
Néanmoins, le conseil de discipline avait proposé au ministre de l’Enseignement supérieur de suspendre l’enseignant accusé pour «défaillance technique tant dans la qualité de la dispensiation des cours, les modes d’évaluation que dans les rapports avec les étudiants». Et dans la foulée, Jacques Fame Ndongo, le ministre de l’Enseignement supérieur va prendre à l’encontre de Fridolin Nke la décision querellée. Son salaire était aussi suspendu.
Banaliser le corps
Le 4 mai dernier, les débats ont achoppé sur le statut que le plaignant avait au moment où il a porté l’affaire en Justice. En fait, le représentant du Minesup a estimé que le litige échappe à la compétence du juge administratif au motif que l’assistant d’université n’est pas un fonctionnaire mais un contractuel régit par le Code du Travail. Pour lui, le litige oppose l’employé à l’employeur. De ce fait, «l’administration du Travail était compétente. Les assistants ne font pas partie du corps de l’enseignement supérieur», déclare le représentant de l’Etat indiquant que les enseignants d’université ne deviennent fonctionnaires qu’à partir du grade de «chargé de cours».
En prenant la parole, Fridolin Nke affirme que «le ministre de l’Enseignement supérieur désorienté par ses conseillers juridiques ont décidé de me chasser de l’université […] Ils veulent banaliser le corps». Il estime que le statut particulier des enseignants du supérieur lui confère la qualité de fonctionnaire. Sans manquer de dire que la décision attaquée est en déphasage avec les textes. De plus, le conseil de discipline a siégé alors que «le quorum des deux tiers n’était pas atteint».
Le ministère public a de son côté estimé que le tribunal est bien compétent à examiner l’affaire du moment où l’acte attaqué a été pris par une autorité administrative dans l’exercice de ses compétences. Rien n’y a fait. .Le s’est plutôt lavé les mains en se déclarant incompétent. Rappelons que le plaignant désormais «chargé de cours» avait déjà fait gelé les effets de la décision attaquée devant la même juridiction [voir Kalara 252]. Il a cette fois perdu la bataille sur tapis.
Parallèlement à cette procédure, il a porté plainte contre ses trois dénonciateurs devant le Tribunal de première instance de Yaoundé centre administratif pour dénonciation calomnieuse et de diffamation présumées. L’affaire est toujours pendante.