INTERVENTION. L’ancien chef de la cellule informatique de la Direction des dépenses du personnel et des pensions (Ddpp, anciennement appelée direction de la solde) du ministère des Finances (Minfi) a adressée au président de la République une correspondance pour vaincre, dit-il, certains obstacles à la manifestation de la vérité dans le procès qui l’oppose à l’Etat du Cameroun devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Cette lettre a été reçue à la présidence de la République et au ministère de la justice (en copie) le 25 juillet 2024. L’informaticien sollicite l’intervention du «garant de l’indépendance de la justice» pour que le Minfi mette à la disposition du tribunal un document de travail qui le disculpe de certaines accusations. Depuis le début du procès, il y a des blocages à ce que certaines réalités soient prises en considération par les juges.
Quelques éléments de cette procédure méritent d’être rappelés pour bien comprendre la missive de cet accusé devenu célèbre par la magie de certains cabinets noirs agissant à travers les réseaux sociaux, qui lui imputent régulièrement des faits imaginaires, sans aucun rapport avec l’objet de ses ennuis judiciaires.
- Leubou Emmanuel avait été nommé à la tête de la Cellule informatique de la Ddpp en 2015, devenant ainsi l’administrateur du Système Antilope du Minfi, qui gère notamment les salaires des personnels de l’Etat et les pensions des retraités, mais aussi les prêts accordés par l’Etat aux salariés et pensionnés à titre d’avances sur leurs avoirs. En 2016, du haut de sa fonction, l’informaticien découvrait que certains bénéficiaires des avances sur pension et des avances de solde ne subissent pas les retenues automatiques programmées comme traites de remboursement de leurs dettes vis-à-vis du Trésor public. Après vérification, il apparaîtra que ces derniers bénéficient de l’intervention d’une main noire, qui agit sur le système Antilope en désactivant les retenues à la source des remboursements programmés. Les paramètres de connexion au système Antilope du chef de service des oppositions de la Paierie générale du Trésor seront identifiés comme ceux utilisés par la main noire, pour opérer l’essentiel des malversations constatées.
L’occupant de ce poste depuis 2008 s’appelle Mme Lefang Celestina Nkeng. Elle a pour nom d’utilisateur (user) dans le système Antilope le code O01X qui se décline aussi en 01X. Logiquement, elle apparait comme suspect des annulations des remboursements décriés des avances, d’autant que le verrouillage informatique de son user entraine la cessation des suppressions de remboursement. Le ministre des Finances est informé de la situation. La justice est saisie du dossier et M. Leubou, dénonciateur des malversations et principal témoin de l’Etat devant la police judiciaire, est interpellé puis poursuivi comme accusé principal du détournement d’une somme globale de 5,5 milliards de francs. Mme Lefang, suspect initial sera d’abord ignoré par la justice de longs mois durant en dépit d’un mandat d’arrêt émis pour brouiller les pistes, avant d’être poursuivie libre après une intervention de la présidence de la République.
Depuis l’ouverture du procès, ces deux personnes s’accusent mutuellement d’être les auteurs de la suppression frauduleuse des remboursements des prêts au cœur de la procédure judiciaire qui les concerne avec deux autres accusés. M. Leubou soutient qu’il revient à Mme Lefang d’expliquer comment son user a pu être utilisé par d’autre personne qu’elle-même alors que l’accès au système informatique est conditionné par l’introduction du mot de passe qui est sa propriété exclusive. Et Mme Lefang, qui suspecte M. Leubou d’avoir piraté son mot de passe, estime que l’administrateur du système Antilope serait l’auteur du détournement querellé.
Mais, il se trouve qu’avant 2015, date de la nomination de M. Leubou, le phénomène des suppressions des remboursements des prêts accordés aux salariés de l’Etat et aux pensionnés avait déjà été constaté notamment en 2013. Un groupe de travail avait été constitué pour mener des investigations. Il avait produit un rapport qui mettait déjà en exergue l’usage du user (O01X) et du poste de travail (1109) de Mme Lefang comme à l’origine des suppressions constatées. Il s’agit du «rapport de mission du groupe de travail chargé de l’audit des remboursements des avances de solde et avances sur pensions au cours de l’exercice 2013», évoqué dans la lettre adressée au président de la République. La situation a perduré et s’est reproduit en janvier 2015 et juillet 2016. Ce qui est à l’origine du procès actuel.
- Leubou estime que le contenu de ce rapport est nécessaire pour que la justice cerne bien les faits qui lui sont soumis dans le cadre de son procès. Mais l’informaticien s’est toujours cassé les dents dès qu’il sollicite l’obtention de ce document en copie certifiée conforme, pour le faire admettre par les juges comme pièce à conviction. Le ministère des Finances, partie civile dans cette procédure, ne semble pas intéressé par ce rapport, pour des raisons difficile à cerner. L’ancien chef de la cellule informatique de la Ddpp ne comprend pas, en plus, que les juges se montrent hostiles à l’évocation du contenu d’un rapport reconnu comme existant par Mme Lefang elle-même, qui en a parfois parlé au cours du procès. Sa lettre adressée au chef de l’Etat pour vaincre les obstacles à la production de ce document tient à cette réalité. Un rapport que votre journal espère publier dans sa prochaine édition.
Le procès est à la phase de l’audition de Mme Lefang, son coaccusé, M. Leubou, ayant été déjà auditionné. La prochaine audience
Emile Kitong