Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Une marée humaine a envahi la barre du Tribunal administratif de Yaoundé le 10 août 2021. C’était lors de l’examen du dossier judiciaire qui oppose initialement l’Etat du Cameroun à trois hommes d’affaires, les nommés Jean Eyebe, Gabriel Bomba Messi et Emmanuel Mbei. Ces derniers veulent faire annuler un arrêté pris le 20 septembre 2011 par le ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (Mindcaf) retirant leur titre foncier N° 37861/Mfoundi couvrant jusque-là une superficie de 50 hectares se trouvant à Mindjomo-Nyom 2 dans l’arrondissement de Yaoundé 1er. L’examen du dossier s’est déroulé en présence de plusieurs membres des collectivités Mvog Etsitsili, Mvog Lewoua, Mvog Meniegteme et Mvog Notsuma qui revendiquent la propriété des terrains couverts par le titre foncier au centre du procès.
Selon les documents consultés par Kalara et les informations recueillies lors des débats à l’audience, il ressort que c’est un recours gracieux adressé au ministre des Domaines le 2 novembre 2010 qui a mis le feu aux poudres. Rédigé par les «mandataires» des collectivités déjà évoquées, le recours sollicitait le retrait du titre foncier en cause. Les plaignants expliquaient que les quatre collectivités sont les véritables propriétaires coutumiers des terres au centre du procès. Les membres desdites collectivités avaient confié la procédure d’immatriculation des terres disputées à M. Eyebe qui se présentait comme étant un démarcheur financier. Une fois immatriculées, ces parcelles de terres allaient être vendues à une ONG. Mais lorsque le titre sollicité été a établi, elles ont découvert qu’il ne comportait que les noms des trois plaignants.
Immatriculation directe
Les collectivités s’arc-boutaient sur les dispositions de l’article 9 du décret du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier. Ce texte stipule que «sont habilités à solliciter l’obtention d’un titre foncier sur une dépendance du domaine national qu’elles occupent ou exploitent a) les collectivités coutumières, leurs membres ou toute autre personne de nationalité camerounaise à condition que l’occupation ou l’exploitation soit antérieure au 5 août 1974…»
Pour le cas d’espèce, ils indiquaient que le titre foncier dénigré a été délivré à travers une procédure d’immatriculation directe alors que les mis en cause non seulement n’appartiennent à aucune des quatre collectivités occupant les lieux litigieux, mais aussi n’y avaient réalisé aucun investissement. De plus, l’administration a ignoré les oppositions formulées par les collectivités et des tiers sur procédure d’immatriculation qui a abouti à l’établissement du titre critiqué.
Le 20 septembre 2011, le ministre des Domaines avait donné gain de cause aux collectivités en prononçant le retrait du titre foncier N° 37861/Mfoundi arguant de la «fraude des bénéficiaires» et de «la faute de l’administration».
Mais les collectivités avaient passé sous silence certaines transactions effectuées avec leurs adversaires en rapport avec le titre foncier attaqué. Les tensions avaient opposé les parties autour de la gestion du terrain litigieux. Les mis en cause avaient trouvé un arrangement à l’amiable avec les collectivités en s’engageant à indemniser les cultures et biens des membres des collectivités. Dans les «protocoles d’accord irrévocables» scellant ce deal, les collectivités renonçaient à leurs droits coutumiers sur le site disputé et prenaient l’engagement «de garantir la jouissance paisible et univoque à tous tiers avec qui M. Eyebe Jean et consorts pourraient entrer en relation d’affaires et à renoncer à tout autre droit résultant des diverses engagements qui pourraient également intervenir entre M. Eyebe Jean et les tiers portant sur le titre foncier N° 37861/Mfoundi». Les membres des collectivités avaient perçu des sommes d’argent représentant leur dédommagement.
Crédit foncier
Le 21 octobre 2009, devant Me Firmin Adda, notaire basé à Yaoundé, M. Eyebe et ses compagnons d’infortune concluaient un accord de financement d’un montant de 750 millions de francs avec l’entreprise immobilière Mutuelle pour la propriété foncière (Muprof). Cette entreprise s’était engagée à aménager, à lotir et à viabiliser 31 des 50 hectares de terres litigieux. Les lots viabilisés étaient destinés à la vente.
Pour le financement de cette opération, la Muprof s’était tournée vers le Crédit foncier du Cameroun (CFC). Le 20 septembre 2010, l’entreprise d’Etat avait accordé un crédit de 487,5 millions de francs à la Muprof d’une durée de trois ans avec un taux d’intérêt annuel de 10 %. Le titre litigieux avait été mis en gage (hypothèque) pour garantir le remboursement du crédit. Entre juin 2009 et novembre 2011, 294 personnes avait réservé des lots en versant une avance d’un montant total de 310 millions de francs.
Les débats ont achoppé sur la question de savoir si les membres des collectivités qui ont opéré des arrangements sur le titre litigieux peuvent également solliciter son retrait.
Me Ndjonko, l’avocat des propriétaires du titre foncier contesté, a fait constater que le ministre des Domaines a pris la décision attaquée après le délai de trois imparti par la loi. De plus, les représentants des collectivités avaient levé leur opposition à l’immatriculation critiquée après les arrangements trouvés à l’amiable avec ses clients. Un argumentaire rejeté par Me Nlocka, par l’avocat des collectivités, pour qui les trois propriétaires du titre attaqué ne remplissaient aucune condition légale pour se faire délivre le titre foncier par immatriculation directe. Il a fait remarquer que dans une dossier appelé avant leur procédure, le tribunal a indiqué que toute titre foncier établi alors que l’opposition n’a pas été levé est systématiquement annulé. Finalement, le tribunal a décidé d’effectuer une descente à la conservation foncière du Mfoundi et à la sous-préfecture de Yaoundé 1e afin de vérifier la régularité ou non de la levée de l’opposition formulée lors de l’établissement du titre foncier N° 37861/Mfoundi.