Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
C’est comme si le ciel leur était tombé sur la tête. Le procès s’est achevé depuis quelques minutes ce 29 juillet 2021. Le collège des juges a déjà quitté la salle d’apparats de la Cour suprême, comme le représentant du parquet, les greffiers, de même que les gendarmes du piquet d’honneur dont la présence apporte de la solennité aux audiences de la haute juridiction. Polycarpe Abah Abah, Jean Marie Akono Ze et Jean Paul Amang Bitegni, les trois accusés qui viennent de prendre part au dénouement ultime de leur affaire, ont tous encore le regard hagard. La section spécialisée de la Cour suprême vient de rejeter les recours qu’ils avaient introduits séparément contre l’arrêt du Tribunal criminel spécial (TCS) rendu le 19 mars 2019. Les sanctions prononcées ce jour-là à leur encontre sont donc confirmées. Ils n’en reviennent pas. Seul échappe à cette sentence Gervais Mendo Ze. Il profite ainsi, si on ose dire, de son décès…
Le collège des juges est arrivé en salle d’audience à 13h, pour un rendez-vous qui devait commencer 4 heures plus tôt. Et la sentence a été lue. Après avoir déclaré recevables les recours introduits par les parties et les avoir joints pour un examen unique, la Cour a constaté «l’extinction de l’action publique pour cause de décès à l’égard de l’accusé Mendo Ze Gervais». Elle a rejeté les autres pourvois et condamné «les demandeurs, à l’exception de Mendo Ze Gervais, aux dépens (frais de justice) liquidés à la somme de neuf millions six cent quatre-vingt-quatorze mille cent francs». Elle a précisé que «chacun des demandeurs supportera 1/6e du montant desdits dépens, soit un million six cent quinze mille six cent quatre-vingt-quatre francs». Elle a fixé la durée de la contrainte par corps pour le paiement desdits dépens à 2 ans. Des mandats d’incarcération ont été émis en conséquence.
En fait, l’ancien ministre de l’Economie et des Finances et ses deux compagnons d’infortune n’étaient là que pour meubler la scène. Dès le début de l’examen de leur affaire par la Cour suprême, il était clair qu’ils subissaient un scénario monté uniquement pour l’ancien DG de la Crtv. Prenant prétexte d’une campagne menée sur les réseaux sociaux à grand renfort de diffusion d’images obscènes pour obtenir l’évacuation sanitaire de M. Mendo Ze, le sommet de l’Etat avait décidé de sortir l’ancien DG de la Crtv de la nasse. En instrumentalisant au besoin la Cour suprême. Un rôle que la haute juridiction vient d’achever à la perfection, laissant pantois les co-accusés et autres complices du disparu, qui croyaient profiter de la moindre faille ouverte pour lui…
Raisons humanitaires…
La section spécialisée de la Cour suprême avait annoncé la couleur dès le 20 avril 2021, lors de la première audience publique de l’affaire, en réduisant quasiment les débats de ce procès ce jour-là à un échange avec Maître Laurent Angoni, l’avocat de Gervais Mendo Ze. L’avocat dévoilait alors que le dossier en examen avait été sorti des tiroirs où il croupissait depuis un peu plus de 2 ans suite à une manœuvre du ministre de la Justice. Ce dernier avait reçu à deux reprises le conseil de l’ancien DG de la Crtv à la Chancellerie pour l’exhorter à se désister du pourvoi fait en faveur de son client devant la Cour suprême, afin de permettre à ce dernier de bénéficier d’une grâce présidentielle pour de supposées «raisons humanitaires». C’est donc une correspondance de Maître Angoni adressée au président de la Cour suprême dans le sens des conseils reçus de Laurent Esso, qui déclenchait le début de l’examen du dossier.
Comme révélé dans notre édition N°381 du 27 avril 2021, l’instruction du dossier va se faire avec une célérité inédite avant la programmation de l’audience publique. Pour gagner du temps, les avocats de tous les accusés seront d’ailleurs appelés à faire tenir au juge-rapporteur (le magistrat chargé d’analyser le dossier afin de proposer une solution à ses collègues) leurs arguments écrits sur supports électroniques (clés USB notamment)… Alors que le rapport est fait de même que les réquisitions du parquet au point où une audience spéciale est programmée, le Pr Mendo Ze passe malheureusement l’arme à gauche avant la tenue de celle-ci, ruinant ainsi le calcul de ceux qui étaient désormais prêts à toutes les acrobaties pour lui faire bénéficier d’une grâce présidentielle.
A la veille de l’audience du 20 avril 2021, Maître Angoni reçoit de la famille de l’ancien DG de la Crtv la mission de renoncer au désistement au pourvoi pour lequel il avait saisi le premier président de la Cour suprême. Ce dernier se dédit donc dans un second courrier adressé au plus haut juge du pays. Ce tango va appeler des explications publiques lors de l’examen public du dossier : «A quoi servirait encore un désistement fondé sur des raisons humanitaires dès lors que le Pr Mendo Ze est finalement décédé ?», s’interroge Maître Angoni, pour justifier son revirement daté du 19 avril. «Il m’a été suggéré de poser cet acte (le désistement), mais, pour la mémoire du professeur, il faudrait qu’on retienne qu’il contestait tout ce qui lui était reproché», ajoute-t-il. Il insiste : «J’ai été reçu par deux fois à la Chancellerie. C’est une décision que j’ai prise sans même que mon client soit informé».
Les arguments de l’avocat de M. Mendo Ze n’ont pas le moindre poids pour le parquet général près la Cour suprême. Son représentant à l’audience évoque l’article 524 du Code de procédure pénale pour dire que le désistement au procès de l’ancien DG est acquis dès lors que la correspondance de son avocat a été enregistrée. Le texte évoqué par la magistrate stipule que «(1) le désistement du condamné prend effet à compter du jour de la déclaration du pourvoi. (2) Lorsque le désistement du condamné lui paraît régulier, la Cour suprême lui en donne acte et le condamne aux dépens». Le représentant du ministère public est allé plus loin, pour soutenir sa position : «la deuxième correspondance évoque les ayants-droits du défunt, qui ne sont pas partie dans ce procès. M. Mendo Ze est décédé avant d’avoir renoncé à son désistement. Il ne peut pas renoncer post-mortem à sa demande de désistement». Manifestement, les juges se montrent sourds à l’argumentaire du parquet général.
5 heures de débats…
Ils vont ordonner le renvoi de l’examen du dossier à plus tard, en demandant à Maître Angoni de faire tenir à la haute juridiction le certificat de décès de son client. Après un premier rendez-vous manqué, c’est l’administration pénale qui met finalement le document à la disposition de la haute juridiction. Cette dernière ouvre enfin les débats, qui seront longs : plus de 5 heures d’échanges, avant que le collège des juges décide de clore les débats et d’annoncer sa décision pour le 29 juillet. Comme Kalara l’avait pressenti dans son édition du 4 juin dernier, la Cour suprême a ignoré le désistement de l’avocat de M. Mendo Ze, l’acte sans lequel le dossier serait probablement encore rangé dans les tiroirs. Il a constaté l’extinction de l’action publique, qui produit de meilleurs effets sur la mémoire du défunt. La mission est donc accomplie…
Rappelons que le 19 mars 2019, le TCS avait déclaré sept personnes au total coupables des faits de détournement de fonds publics au préjudice de la Crtv. Gervais Mendo Ze avait écopé de 20 ans de prison ferme, pendant que Polycarpe Abah Abah, Jean Paul Amang Bitegni et Jean Marie Akono Ze recevaient chacun d’un emprisonnement ferme de 18 ans. Tous étaient frappés d’une déchéance de 5 ans et de la confiscation de leurs biens. Le TCS les condamnait en outre à payer des réparations au Trésor public, soit près de 1,5 milliard de francs pour M. Mendo Ze, à titre personnel. En coaction avec Jean Marie Akono Ze, le tribunal condamne l’ancien DG au paiement de 15,3 milliards de francs. Pareil en compagnie de Polycarpe Abah Abah pour 205 millions de francs. Jean Paul Amang Bitegni, quant à lui, était condamné à payer 98 millions de francs à l’Etat.
Par ailleurs, Elisabeth Mongori, Samuel Andang Mgbwa et Patricia Melone, accusés déclarés en fuite depuis l’ouverture du procès, avaient été condamnés par défaut à l’emprisonnement à vie assorti d’une déchéance (interdiction d’exercer une fonction publique ou de recevoir une distinction) de 10 ans. Ils étaient par ailleurs appelés à verser des dommages et intérêts respectivement de 44 millions, 364 millions et 370 millions de francs. Tous les accusés déclarés coupables étaient enfin condamnés à verser les dépens (frais générés par la procédure judiciaire) à hauteur de 909,8 millions de francs. Le verdict de la section spécialisée de la Cour suprême de la semaine dernière s’est gardé de dire ce qu’il advient notamment des peines pécuniaires prononcées à l’égard des coaccusés de M. Mendo Ze, c’est-à-dire Abah Abah, Jean Paul Amang Bitegni et Jean Marie Akono Ze, dès lors qu’il a été constaté une extinction des poursuites à l’égard du DG disparu. Le collège des juges entretient le flou jusqu’au bout, puisqu’il n’a pas ordonné la publication de sa sentence.