Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
Le chef de file du trio des juges chargé de l’examen de l’affaire opposant la Société nationale de Raffinage (Sonara) à son ancien Directeur général (DG), M. Metouck Charles, qui est poursuivi avec certains de ses anciens collaborateurs, n’a pas masqué sa surprise de constater que l’enquête judiciaire ayant conduit au renvoi en jugement des mis en cause n’avait pas totalement joué son rôle. Devant l’impression d’acharnement qui se dégage à chaque fois que l’ancien DG prend la parole pour donner sa version sur les faits qui lui sont reprochés, M. Lagmago Martin a demandé spontanément si les mêmes explications avaient été données lors de l’enquête préliminaire et de l’information judiciaire. À chaque fois, l’accusé a répondu par l’affirmative, donnant parfois lecture de certaines parties de l’ordonnance de renvoi qui corroborent ses dires. Et, à chaque fois, l’argument retenu par le juge d’instruction pour maintenir les poursuites à son égard a toujours paru curieux.
Lors de la dernière audience de l’affaire tenue le mercredi 08 janvier 2025, l’ancien DG s’est défendu à propos de trois des 46 accusations de détournement de fonds publics qui pèsent sur lui dans la procédure en cours d’examen. Ces trois accusations ont pour point commun de concerner des paiements effectués par la Sonara en faveur de la société Fako Ship. Les trois paiements en cause sont évalués à un peu plus de 2,2 milliards de francs et concernent les prestations de «lamanage maritime», pour le premier paiement, et «d’entretien et maintenance des installations portuaires de la Sonara», pour les deux autres paiements.
Le lamanage maritime, faut-il le préciser, est une opération d’assistance des navires lors de leur accostage ou de leur départ (décostage) du port de la raffinerie lors des livraisons de pétrole brut à la Sonara ou du transport maritime de produits finis à destination des cuves de stockage de la Société camerounaise des Dépôts pétroliers (Scdp) à Douala. Fako Ship disposait de navires appelés remorqueurs, qui aidaient les gros tankers d’une capacité d’environ 105 à 110 milles tonnes à amarrer sans causer de dégâts sur les installations portuaires. Et cette entreprise était aussi chargée de l’entretien et de la maintenance quotidienne des installations portuaires de la raffinerie. Les inspecteurs d’État dépêchés à la Sonara dans le cadre de la mission d’inspection dont le rapport est à l’origine de la procédure judiciaire reprochent à l’ancien DG d’avoir, selon eux, payé les prestations de ce fournisseur, tantôt sans justificatifs, tantôt en violation de la législation des marchés publics.
Inspecteurs d’Etat
Sur la première accusation de détournement de 1.750.207.291 francs, voici l’explication de M. Metouck : «L’accusation prétend que j’aurais payé les prestations de Fako Ship sans que les feuilles, qui attestent des opérations journalières, aient été attachées à la facture. Contrairement à ce que l’accusation affirme, les pièces d’attachement existent mois par mois, avec les signatures requises. La somme retenue contre moi est le montant de l’ensemble des prestations fournies par Fako Ship pendant la période concernée. Comment peut-on recevoir des fournitures de pétrole brut et livrer des produits finis par voie maritime sans opérations de lamanage ?» Pour l’ancien DG, le simple bon sens aurait dû empêcher qu’on lui impute un tel détournement de fonds publics qui laisse croire que les prestations payées étaient fictives.
Pour cette accusation, comme pour les précédentes, l’accusé a encore confié au tribunal qu’il répond des faits qui ne relèvent pas directement de ses tâches de DG. Les opérations de lamanage, par exemple, sont de la responsabilité de la direction d’exploitation à travers son service maritime. Or, a-t-il expliqué, «la direction d’exploitation gère son budget qu’elle élabore du reste. C’est elle qui engage les dépenses. Le fournisseur dépose sa facture avec les feuilles d’attachement auprès du service maritime qui vise le tout et le porte au directeur d’exploitation. Après vérification, le directeur d’exploitation vise la facture et émet un ordre de paiement qu’il transmet à la direction financière sans les feuilles d’attachement qui restent à la direction d’exploitation». Le DG a précisé qu’après vérification de la disponibilité de la ligne, la direction financière assure la suite de la procédure de paiement jusqu’à son aboutissement.
Le problème, a révélé l’ancien DG, c’est que l’accusation prétend que les feuilles d’attachement n’existent pas. En fait, on n’est jamais allé les chercher là où elles se trouvent. D’ailleurs, l’ancien DG a présenté au tribunal toutes les feuilles d’attachement concernant la durée du contrat de Fako Ship, sur trois ans, avec les signatures requises. Et il s’est plaint d’être devant le tribunal sans que les inspecteurs d’État, à l’époque du contrôle, l’aient personnellement questionné sur ces justificatifs des prestations de Fako Ship. «À chaque fois, j’apprends qu’on a adressé une demande d’explication à M. Metouck qui n’y a pas répondu, sans jamais apporter la preuve de cette affirmation. Ce que je sais, c’est que des demandes d’informations ont été adressées à la Sonara et dispatchées aux services concernés qui ont toujours répondu. Je voudrais qu’on me montre la demande adressée à Metouck, qui n’y a pas répondu», a-t-il déclaré aux juges.
Sur la seconde accusation, qui porte sur un détournement de fonds publics supposé d’un montant de 177 millions de francs payé à Fako Ship, voici l’explication de l’accusé : «Cette entreprise était chargée des installations portuaires. Je suis accusé d’avoir payé les factures ici sans commission de réception des prestations. J’aurais donc violé la législation sur les marchés publics. Or, on ne peut pas faire une commission de réception pour des travaux quotidiens comme ceux-là. C’est tous les jours que les travaux sont effectués. Dans la pratique, en fin de journée, on ne peut pas réunir les membres de la commission. Ce qu’on fait, c’est que les travaux sont constatés tous les jours sur des feuilles d’attachement qui sont signées par la Sonara et le prestataire. (N.B : il montre des exemplaires des feuilles d’attachement). La procédure de paiement est la même que celle décrite pour les prestations de lamanage.»
Justificatifs non-certifiés
Le scénario de la troisième accusation débattue varie d’un tout petit peu, l’ancien DG étant accusé d’avoir payé la somme de 275,5 millions de francs, toujours pour les travaux d’entretien et de maintenance des installations portuaires, mais sans contrat. Explications de l’accusé : «Fako Ship est un prestataire permanent de Sonara. Il arrive que les procédures de la commission de passation des marchés prennent du retard et débordent donc le délai souhaité avant la conclusion du marché. Fako Ship étant le prestataire du marché qui se termine, et les besoins impérieux de maintenance des opérations portuaires étant permanents, les services compétents ont accepté de poursuivre la collaboration avec ce prestataire. Cette somme représente le paiement des prestations rendues en attendant la signature du marché.»
Bien qu’il ait pris le soin de présenter au tribunal les copies des justificatifs (feuilles d’attachement) des prestations querellées pour les trois accusations, celles-ci n’ont pas été transmises aux juges. Et pour cause : elles ne sont pas revêtues des mentions de certification, la Sonara s’étant refusée à le faire. D’ailleurs, avant d’entamer l’audition de son client, Me Alima, l’avocat de l’ancien DG, a pris le soin d’interpeller le tribunal sur le refus par l’actuel DG de la Sonara de certifier les documents sollicités (lire l’encadré). Mais l’avocat a réussi quand même à faire admettre par le tribunal, après de nombreuses péripéties, des pièces à conviction relatives à des accusations sur lesquelles le DG avait déjà été auditionné.
La suite de ce procès est prévue le 26 février 2025. Sauf cas de force majeure, l’ancien DG entamera sa défense sur les accusations pour lesquelles il est poursuivi en coaction ou en complicité avec quatre de ses anciens collaborateurs dont deux sont déclarés en fuite. Rappelons que dans cette procédure judiciaire, la partie accusatrice n’a présenté aucun témoin. Les inspecteurs d’État, auteurs du rapport d’audit à l’origine de l’affaire, après avoir témoigné devant le juge d’instruction, n’ont jamais accepté de participer à la recherche de la vérité devant le tribunal. Ce qui soulève un doute sur leurs propres convictions par rapport à leurs écrits.
Me Alima : «Quel est le message que Sonara adresse au TCS ?»
«Nous avons reçu de la Sonara, le 13 septembre 2024, une correspondance datée du 5 septembre à travers laquelle elle nous transmettait 5 pièces relatives au volet Mission Laïque Française. Le dernier paragraphe de cette correspondance informe que la Sonara ne retrouve pas dans ses archives tous les autres documents sollicités pour la défense de mon client.
Je voudrais rappeler que c’est depuis le 13 juin 2023, soit bien avant le début de l’audition de mon client, que la Sonara avait reçu notre courrier et les photocopies des pièces, à peu près 159 au total, dont nous sollicitions la certification pour leur usage dans le cadre de la défense de M. Metouck. C’est seulement le 16 mars 2024 que la Sonara nous a adressé 19 pièces. A l’audience du 16 mai 2024, il a été observé que la certification n’était pas conforme. Le tribunal a ainsi décidé que ces pièces soient retournées à la Sonara pour corriger les manquements constatés.
Un courrier a été adressé à la Sonara le 23 mai 2024, dans lequel étaient répercutées les instructions du tribunal pour la régularisation des pièces en même temps qu’on relançait la Sonara sur les autres pièces qui n’étaient pas toujours certifiées. A l’audience du 3 juillet 2024, ce problème n’était pas toujours réglé et le tribunal nous a demandé d’adresser une nouvelle correspondance à la Sonara. Ce qui a été fait le 22 juillet 2024. C’est le 13 septembre 2024 que nous avons reçu la dernière requête qui clôt le débat
M. le président, l’ordonnance de renvoi comporte 46 points dont 27 concernent M. Metouck tout seul et 19 pour lesquels il est poursuivi en complicité ou en coaction pour un montant total de plus de 60 milliards de francs. Ceux qui comparaissent devant vous risquent gros. C’est pourquoi nous avons sollicité la Sonara pour la certification des pièces. Nous allons poursuivre avec son audition, mais nous serons butés au problème des pièces. Le législateur n’a jamais pensé qu’une partie civile peut être de mauvaise foi.
Au moment de poursuivre l’audition, qu’allons-nous faire ? Même les PV des conseils d’administration de la Sonara ne sont pas présentés alors qu’il est accusé de s’être octroyé d’autorité des salaires… Les copies des contrats d’achat de brut 2007, 2008, 2009 et 2010, retrouvés en machine à la Sonara, n’ont pas été certifiées. L’attention du tribunal est appelée par rapport à cette situation.»