Par Christophe Bobiokono cbobio@gmail.com
Mme Beyene Bekono Justine, veuve Meki, 76 ans, ses enfants et petits-enfants, viennent de passer la deuxième fête consécutive de la Saint-Sylvestre avec les yeux embués de larmes, à pleurer l’un des plus éminents membres de cette famille, le nommé M. Angoula Manfred. Le corps sans vie du concerné avait été retrouvé accroché à une corde à l’étage de son duplex, à Nkoabang, aux aurores du 31 décembre 2023. Plus d’un an après la découverte macabre, la justice et la gendarmerie n’ont pas évolué d’un iota avec l’enquête ouverte pour rattraper les auteurs de la tragédie, alors que l’autopsie médico-légale réalisée sur la dépouille, en février 2024, est péremptoire sur le caractère criminel de la disparition brutale de ce chef de famille, père de trois enfants. «La cause du décès du nommé Angoula Manfred est une asphyxie de cause indéterminée (…). Il s’agit d’un corps suspendu. Il ne s’agit pas d’une pendaison», dit en effet la conclusion du rapport dressé par un duo de légistes de l’Hôpital central de Yaoundé.
Ce nouvel an 2025, la veuve Meki avait envisagé de le vivre en ayant un peu plus d’informations sur ce qui est arrivé à son premier fils. L’enseignante à la retraite, qui vit d’ordinaire à Lomié, dans les confins de la région de l’Est, a donc décidé d’aller elle-même, le 13 décembre dernier, à la rencontre du procureur de la République près les tribunaux de Mfou, dont le territoire de compétence s’étend jusqu’à Nkoabang. La rencontre, après une très longue attente, a failli tourner au drame pour cette vieille dame en proie aux maladies de son âge. Depuis plus de six mois, a-t-elle constaté, le magistrat en question n’a aucune information sur l’évolution de l’enquête confiée par lui-même au Service central des recherches judiciaires (SCRJ) du Secrétariat d’État à la Défense (SED) chargé de la gendarmerie. La présence de cette veuve et de ses enfants éplorés dans son bureau a poussé le procureur de la République à préparer une dépêche destinée au SCRJ pour actualiser ses informations sur un dossier dont il semble ne pas se préoccuper.
En fait, la veuve Meki n’a pas caché au procureur de la République son amertume devant le suivi du dossier de son fils. Elle lui a déclaré qu’elle n’a pas autant de pouvoirs que «ceux qui torpillent l’enquête» et qui «partagent l’argent un peu partout». Une accusation de corruption à peine voilée que le procureur de la République a relevée, pour s’en offusquer, à l’attention des accompagnateurs de la vieille dame. En fait, en dehors du rapport de l’autopsie médico-légale dont la gendarmerie et le parquet ont connaissance, la famille du défunt a rassemblé et confié aux enquêteurs, mais aussi à un nombre de hauts dirigeants du pays, dont le président de la République, une foultitude de faits intrigants par rapport à la survenance du drame. Tout cela a été sans grande conséquence. Et même que le parquet de Mfou avait déjà classé l’affaire sans suite, le 4 juin 2024, avant de relancer l’enquête après une intervention de l’auteur de ces lignes, devant une issue aussi curieuse pour tout ce qui a les contours d’un crime de sang-froid prémédité.
Dossier classé…
Le SCRJ, où l’affaire est pendante depuis le 11 juin 2024, est la troisième unité de gendarmerie à connaître du dossier de l’assassinat de M. Angoula Manfred sous le contrôle du parquet de Mfou. Affaire qui est parallèlement suivie depuis huit mois par le ministre de la Défense à travers la Division de la sécurité militaire (Sémil), mais surtout la Légion de gendarmerie du Centre, où une autre enquête est ouverte, qui avance également à pas de chenille… La brigade de gendarmerie de Nkoabang était la première unité à entrer en scène, dès la découverte du corps de M. Angoula. La compagnie de gendarmerie de Mfou prenait ensuite le relais jusqu’au 4 juin 2024, avant de proposer au parquet de classer le dossier «sur instruction de la hiérarchie». Le SCRJ héritait de l’enquête après cet épisode. «On a retrouvé le dossier dans les affaires de l’enquêteur désigné exactement comme il l’avait reçu depuis plus de six mois», confie à Kalara, dépité, Paul Desmoyer Meki, le cadet du disparu, qui fait office de représentant de la famille dans le suivi de l’affaire.
Pour comprendre certaines des pesanteurs qui empêchent la justice et la gendarmerie de mener l’enquête avec diligence, un retour aux premières heures de la découverte du drame pour l’instant impuni s’impose. Lorsque le corps de M. Angoula Manfred est découvert accroché à une corde dans sa maison au petit matin du 31 décembre 2023, son épouse, Adeline, est en séjour en cette veille du nouvel an à Souza, où elle a décidé de passer la fête avec ses parents, loin de son mari et de leurs trois enfants. Elle a voyagé le 30 au petit matin, accompagnée par son défunt mari à l’agence de voyage, comme le dit elle-même. Dans la maison, apprend-on, les deux benjamins du couple ont dormi seuls. C’est leur unique fille, Sylvia, deuxième née de la fratrie, qui aurait découvert le corps de son père, vers 4h du matin, en attendant sonner, à l’étage, le téléphone qu’elle venait d’appeler à partir du salon où elle aurait passé la nuit. Le père, Manfred Angoula, était parti de la maison la veille, sans son trousseau de clés et en laissant sa voiture. C’est en tout cas la version des faits qui est racontée.
Les cris stridents de la jeune fille, qui est à la veille de ses 20 ans, vont réveiller l’entourage et provoquer, comme toujours en pareille circonstance, un afflux de curieux qui viennent observer le spectacle macabre. L’une des belles-sœurs de M. Angoula et son époux, le colonel de gendarmerie Engozo’o Sylvain, pour ne pas le nommer, seront les premiers, parmi les proches du défunt, à arriver sur les lieux. Le couple trouve sur place le maréchal de logis chef Benanga, en service à la Brigade de gendarmerie de Nkoabang, qui aurait passé la nuit à patrouiller dans le quartier. La curiosité du sous-officier aurait été attirée par le remue-ménage créé dans le quartier par les pleurs de Sylvia.
Très rapidement, le maréchal de logis chef Benanga va procéder à un constat sommaire de la situation. Il le fait curieusement tout seul, comme si sa patrouille ne comptait que sa seule personne… Chose curieuse : les effets (papiers et téléphone) retrouvés dans les poches du défunt sont confiés au colonel. Il les gardera toute la journée, en les présentant à certains proches de la famille. Personne ne parle de testament à ce moment-là… Le sous-officier quittera les lieux après avoir décroché le corps de la poutre sur laquelle il était pendu. Toutes les précautions habituelles d’usage (voir cas Martinez Zogo en encadré), comme l’information préalable de l’autorité administrative compétente et du procureur de la République, n’ont pas été observées. La dépouille est descendue de l’étage, emballée dans un drap et posée dans la banquette arrière du Toyota 4×4 de l’officier supérieur pour être déposée à la morgue.
Thèse du suicide
Le colonel s’est servi de son propre téléphone pour immortaliser certaines images du drame. On y voit, accrochée à la corde, la victime qui porte toujours ses lunettes médicales… Son corps est plutôt propre : pas de traces d’excréments, ni d’urine, comme dans les cas habituels de suicide. Pas de marques particulières de violence. Sur lesdites images, le corps paraît relâché. On dirait que M. Angoula somnolait… De toutes les façons, la dépouille sera déposée à la morgue de l’Hôpital militaire de Yaoundé, le CFTA, situé à Ekounou, par le colonel Engozo’o, en présence des premiers membres de la famille directe du défunt arrivés de justesse sur les lieux, informés par la rumeur.
Quelques autres proches du disparu vont accourir dans les heures qui suivent. Le colonel est déjà revenu de la morgue. Il dit aux curieux qui s’étonnent de la disparition brutale de son frère par alliance que «Angoula avait des tendances suicidaires». La thèse du suicide va ainsi faire son petit chemin, même si quelques proches se montrent sceptiques compte tenu de l’état du corps au moment de la découverte du drame. La désormais veuve Angoula, ramenée par sa famille de Souza, dans le Moungo, «sans être informée du décès brutal de son époux», comme il se dit alors, arrivera à Nkoabang vers 14h ce 31 décembre, en compagnie de son père, un sous-officier de gendarmerie à la retraite, et de l’une de ses jeunes sœurs, Huguette. Cette dernière raconte que la veuve a fait le voyage de Souza à Yaoundé sans être informée du décès de son mari. De toutes les façons, elle n’a eu aucun contact téléphonique jusqu’à ce moment-là avec un quelconque membre de la famille de son mari, ce qui n’est pas pour entretenir la sérénité dans la famille…
À ce moment, les conciliabules vont bon train dans la cour du défunt. Certains projettent un enterrement le plus rapide possible, compte tenu des croyances locales liées aux disparitions sanglantes. Lorsqu’arrivent la mère et les autres frères et sœurs du défunt, en fin d’après-midi, il est déjà projeté que ses obsèques soient organisées à Yaoundé au plus tard le mercredi d’après. Natif de la Haute-Sanaga, dans la région du Centre, le défunt n’avait pas l’habitude d’amener sa femme et ses enfants au village. De ce fait, le projet de l’inhumer à Yaoundé paraît logique. Et si son frère cadet direct y trouve peu d’inconvénient, il se montre intransigeant à ce qu’un délai raisonnable soit observé pour que les responsables de la famille, dont certains résident à Minta, voisine de la région de l’Est, rejoignent Yaoundé pour organiser les choses. C’est un timing qui ne plaît pas à la veuve.
Tard, dans la nuit du 31 décembre 2024 au 1er janvier 2025, Mme Leumega Adeline décide de prendre le taureau par les cornes pour imposer la date des obsèques de son défunt mari. La plupart des amis de la famille sont déjà partis des lieux avec la tombée de la nuit. Faisant venir sa belle-mère, Mme Beyene Bekono Justine, du coin de la salle à manger où elle est couchée avec d’autres membres de sa famille, Adeline leur annonce qu’elle entend enterrer son mari dans un délai de 72 heures, soit le 03 janvier 2025 au plus tard. «Si quelqu’un s’oppose à ce que je dis, se souvient Clarisse, l’une des cadettes du défunt, qu’il me remette la somme de 5,9 millions de francs que j’ai dépensée pour rembourser ses dettes (le défunt). Il ne faudrait pas me pousser à sortir de mes gonds», fulmine-t-elle. Cette déclaration va aggraver le grand malaise déjà né à partir des silences d’Adeline devant les coups de téléphone de sa belle-famille qui ont suivi l’annonce du drame.
Le «testament» mystérieux
Comptable de formation, M. Angoula Manfred avait précipitamment quitté son emploi à la Socem, une entreprise de vente d’appareils électroménagers, où il exerçait jusqu’en 2012, pour une affaire de «manquant de caisse» qui avait failli le conduire en prison. Aurait-il essayé de se suicider du fait de cette perspective ? Son épouse et le colonel Engozo’o l’affirment sans nuance, ce dernier revendiquant le fait de l’avoir persuadé d’abandonner son projet criminel. L’officier supérieur de gendarmerie s’appuie sur cet épisode pour soutenir que le défunt avait des «tendances suicidaires». Mais la mère et les autres parents du disparu contestent totalement cette version des faits. Pour eux, le défunt comptable s’était simplement éloigné de son domicile après son départ brusque de la société Socem, pour éviter d’être interpellé par la police, où une plainte de son patron avait déjà été déposée. De toutes les façons, le manquant de caisse avait été réglé avec l’appui de la veuve et d’autres proches du défunt. La convocation de cet épisode de la vie du défunt pour précipiter son enterrement à la suite de sa mort controversée ne va pas manquer d’accroître la zizanie autour de ses obsèques.
M. Paul Desmoyers Meki, qui a été réveillé par les alertes de ses sœurs, faisant part des «menaces» et du «chantage» de la veuve à leur égard dans la nuit, attend les toutes premières heures du 1er janvier 2024 pour avoir un conciliabule avec le beau-père, l’adjudant Leumega, encore au domicile de sa fille. À la suite de cette rencontre, M. Meki prend immédiatement le chemin de la Brigade de gendarmerie de Mfou pour s’informer sur les circonstances de la découverte du corps de son frère aîné et du constat des gendarmes. Sur les lieux, accompagné de deux membres de sa famille, il apprendra de la bouche du maréchal de logis chef Benanga qu’un document ayant valeur de testament a été retrouvé dans les poches du défunt au moment du constat. Le document aurait été remis au colonel Engozo’o, qui l’aurait transmis au fils aîné du disparu. Personne n’en a parlé jusque-là.
La visite de M. Meki à la Brigade de gendarmerie de Nkoabang n’est pas du goût de tout le monde. Dans la soirée du 1er janvier 2024, lors de la première concertation officielle des familles avec pour objet la préparation des obsèques du défunt, le colonel ne masque pas sa colère par rapport aux initiatives du frère cadet de M. Angoula. Il ne goûte surtout pas à l’idée d’une autopsie médicale sur la dépouille que suggèrent quelques membres de la famille pour en avoir le cœur net sur la cause de la mort. «Il n’y a que la veuve seule pour demander une autopsie», déclare celui qui se présente comme porte-parole de la belle-famille. Le climat se durcit entre les deux camps, mais un consensus est trouvé sur la date des obsèques qui sont projetées pour le 10 janvier.
Tôt le mardi 2 janvier 2024, premier jour ouvrable de la semaine, la Compagnie de gendarmerie de Mfou convoque la veuve pour mettre le corps sous scellés. Cette dernière se fait accompagner par un avocat au rendez-vous qui se tient dans les minutes qui suivent. L’avocat en question, Me Mbunny, conseil du couple dans un conflit foncier avant le drame, est de ceux qui ont le plus «tonné» pour dire qu’une enquête était nécessaire pour cerner les causes de ce qui est arrivé au chef de famille. «De mémoire d’avocat et du haut de mes 20 ans d’exercice, clame-t-il, je n’ai jamais vu un suicide où le mort n’a pas déféqué ou fait pipi sur lui», dit-il devant une veuve sceptique. La mise sous scellés du corps apparaît comme le premier acte de l’enquête que la gendarmerie amorce. Une autopsie est annoncée sur la dépouille. La rumeur laisse entendre que cette enquête a été instruite par le procureur de la République près les tribunaux de Mfou.
Conclusions de l’autopsie
Un accord consensuel ayant été trouvé pour un enterrement autour du 10 janvier 2024, des pistes sont recherchées pour que ce programme soit respecté «afin de libérer les familles du poids du deuil». Par l’entremise d’un ami magistrat, le procureur de la République près les tribunaux de Mfou est informé de la volonté des familles de faire inhumer M. Angoula aussitôt l’enquête achevée, si rien ne s’y oppose. En transmettant le message à son destinataire, le missionnaire découvre que le procureur de la République près les tribunaux de Mfou n’est pas encore informé du drame 72 heures après la découverte du corps. C’est une situation curieuse. De toutes les façons, compte tenu des circonstances, le magistrat va prescrire que l’autopsie soit pratiquée par un collège de légistes de l’Hôpital central de Yaoundé alors que la Compagnie de gendarmerie de Mfou avait initialement requis les services d’un médecin militaire.
C’est seulement le 26 février 2024 que l’autopsie sera finalement réalisée après un ou deux rendez-vous manqués. La famille du disparu, la seule à la désirer finalement, a dû se battre pour payer les frais y afférents. Le rapport est dressé le 11 mars 2024. Ses conclusions tordent le cou à l’idée du suicide soutenue sans réserve par certains. Les légistes ont constaté sur le corps, entre autres, «des lésions traumatiques cutanées des jambes» et des «lésions traumatiques des jambes», qui laissent penser que le disparu a subi des violences avant son décès. Ils notent aussi l’absence «de fractures décelables des os du cou, particulièrement l’os hyoïde» et des «signes d’asphyxie». «L’absence d’infiltration hémorragique et d’ecchymose, l’absence de fractures des os du cou nous indiquent que le sujet n’est pas décédé de suite de pendaison ; il s’agit d’un corps suspendu», analysent les légistes. Qui notent, en passant, la mauvaise conservation du corps.
Dans leur conclusion, les légistes sont clairs : «La cause de décès du nommé Angoula Manfred est une asphyxie de cause indéterminée, l’état de conservation du corps ne nous permettant pas de faire plus amples examens. Il s’agit d’un corps suspendu. Il ne s’agit pas d’une pendaison.» Il apparaît donc que M. Angoula n’a pas seulement été tué. Il a d’abord été violenté. Et ses bourreaux ont pris le soin de pendre son corps pour maquiller les faits en suicide. À la découverte, plus d’un mois plus tard, de cette conclusion qui n’intervient du reste qu’à la suite d’une intervention auprès du procureur de la République, on croit, dans la famille du défunt, que les conclusions de l’autopsie médico-légale vont relancer l’enquête. Que la piste du suicide est totalement écartée. Et que le prétendu testament trouvé sur le corps peu après la découverte du drame pourra susciter une plus grande curiosité de la gendarmerie, de même que l’origine de la rumeur du suicide et ses tenants.
La compagnie de gendarmerie de Mfou a-t-elle mené des études graphologiques sur le «testament» ? A-t-elle recouru aux données de géolocalisation pour s’assurer de la fiabilité de tout ce qui se dit autour du drame et des proches du disparu ? Personne ne le sait. Il n’y aura même pas de confrontation entre les tenants de la thèse du suicide, qui ont déjà témoigné dans ce sens, et ceux qui en ont douté. Les voisins du domicile de M. Angoula Manfred à Nkoabang ont-ils été interrogés pour dire ce qu’ils savent du drame et les circonstances de sa découverte ? Personne n’est inquiet par l’enquête. Alors que la famille, intriguée par la conduite de l’enquête, a déjà adressé une requête à certaines autorités pour que soient prises en considération certains faits en sa possession, mais que la compagnie de Mfou ne semble pas intéressée à découvrir, elle est informée le 13 juin 2024 que la dépouille est à sa disposition pour l’inhumation.
Cri de cœur
En fait, le 4 juin 2024, la Compagnie de gendarmerie de Mfou adresse son procès-verbal d’enquête au procureur de la République en proposant, dans ses conclusions, que le dossier soit classé. Les gendarmes auraient conclu ainsi «sur instruction de leur hiérarchie». C’est en tout cas ce que la famille apprend auprès des autorités judiciaires, sans rien savoir de l’auteur de l’instruction alléguée. Une telle issue est d’autant incohérente que le rapport de l’autopsie a été sans nuance sur la cause criminelle du décès. Face à cette incongruité et devant l’intervention des proches du défunt, dont l’auteur de ces lignes, le procureur de la République va exhumer le dossier. Le 14 juin 2024, il confie la suite de l’enquête au Service central des renseignements judiciaires du SED. Mais, jusqu’au 13 décembre 2024, aucun acte d’enquête n’a été posé par ce service. C’est lorsque la mère du disparu va à la rencontre du parquet que la situation apparaît au grand jour.
Entre-temps, la Légion de gendarmerie du Centre a reçu instruction de la présidence de la République, via le ministre de la Défense, en réaction à une requête de la famille du disparu déposée le 23 mai 2024, de mener «une enquête minutieuse» sur le même drame. Personne ne sait, non plus, où en est cette unité avec l’enquête effectivement ouverte. «On sait qu’à un moment, l’interpellation de certaines personnes était envisagée, mais on ne sait pas ce qui s’est passé pour empêcher cette évolution des choses», explique M. Meki, dépité, mais toujours déterminé à se battre pour que la vérité soit découverte sur la disparition de son frère. La division de la sécurité militaire aurait également reçu le même dossier pour enquête. Mais tout reste brouillé au sujet de l’assassinat de M. Angoula Manfred. Tout se passe comme si une main noire s’acharne à tout bloquer.
Il y a quelques semaines, une nouvelle requête a été adressée par les familles du défunt au président de la République et à de nombreux autres responsables publics pour espérer relancer l’enquête. Ce cri de cœur sera-t-il enfin entendu par le chef de l’État ? De toutes les façons, plus de douze mois après la survenance des faits portés à la connaissance des responsables publics, la question devient incontournable : qui protège les auteurs de cet assassinat sauvage et pourquoi ?
L’exemple qui vient de l’affaire Martinez Zogo…
Le procès ouvert devant le Tribunal militaire de Yaoundé pour faire la lumière sur l’assassinat de Martinez Zogo connaît un temps mort ces dernières semaines, en raison des recours engagés par certaines parties au procès contre une décision des juges. À la veille du deuxième anniversaire de l’enlèvement suivi de la tuerie de l’animateur radio, l’affaire s’enlise dans un combat de procédure. Cette procédure avait pourtant été engagée de fort belle manière. Probablement du fait de la notoriété du concerné, la justice avait pris les meilleures précautions d’usage, au moment de la découverte de sa dépouille, pour que les choses se fassent selon les règles de l’art.
Enlevé le soir du 17 janvier 2023, le corps de Martinez Zogo est en effet retrouvé dans la nuit du 22 janvier, en état de putréfaction avancée. Informé de la situation dans la nuit, le commandant de la brigade de gendarmerie de Soa saisit rapidement le médecin-chef de l’Hôpital de district de Soa pour effectuer les premiers constats, sans polluer la scène. Le compte rendu de la situation est adressé dans la même soirée au commandant de la compagnie de Mfou, qui le transmet au procureur de la République, la dépouille étant restée là où elle avait été découverte. Le lendemain matin, une équipe comprenant le procureur de la République, le commandant de la Légion de gendarmerie du Centre, le commandant du 10e Groupement des sapeurs-pompiers et un médecin légiste va faire ses premiers prélèvements sur la dépouille sur le terrain.
Dans le cas de M. Angoula Manfred, le corps a rapidement été décroché de là où il était pendu moins de deux heures après la découverte du drame par l’unique élément sur place, le maréchal de logis chef Benanga. Sans le légiste, ni le sapeur-pompier. Dans l’ignorance du procureur de la République. Qui avait intérêt à agir ainsi avec précipitation ? Et pourquoi ?