Les instances ordinales du barreau du Cameroun ont pensé que je pouvais, ce jour, prononcé l’éloge funèbre de notre défunt confrère, Maître Ngalle Miano Jean Paul, certainement mues par la proximité qui me liait à lui. En leur faisant part de ma gratitude et de mes remerciements, je voudrais pour être juste avec l’histoire associer à cet hommage, Monsieur le Bâtonnier Yondo Black, qui fut son parrain, son patron puis son associé. C’est à lui que revenait naturellement le droit de prononcer cet éloge funèbre. Sollicité par la famille du défunt, c’est lui qui m’a proposé pour cet exercice. Qu’il soit ici remercié. Je n’oublie pas son associé Henry Bekima et tous ceux qui ont travaillé avec le défunt : avocats et collaborateurs.
Mesdames et Messieurs,
[…] C’est avec une grande tristesse et une émotion non retenue que nous nous retrouvons encore ici ce jour, dans la cour de ce prestigieux palais de justice, chargé d’histoires et de symboles, pour rendre un ultime hommage à un homme, à un symbole, à une icône, bref à un éminent confrère bourré de persévérance et de talents qui a traversé le temps, en y laissant une empreinte forte que seule l’histoire du barreau du Cameroun saura, en temps utile, en restituer la quintessence.
Maître Ngalle Miano, nous a quittés le 16 septembre 2021, des suites de maladie dans un Hôpital de Douala. Cet événement tragique nous plonge, encore une fois, à nous questionner sur le sens de la mort. Cette mort dont la banalité rend désormais indicible la distance qui la sépare de la vie. Que devient donc la vie d’un homme après la mort? Qui sommes-nous? D’où venons-nous? Où allons-nous? Qu’est-ce que c’est la vie? C’est quoi la mort? Voilà quelques-unes des interrogations basiques que l’homo sapiens formule depuis que la nuit des temps a porté à sa connaissance l’idée qu’il pouvait y avoir une finitude au frétillement quotidien de la chair et des os. […]
Les religions monothéistes ont appris au monde que le sens de la vie ne tient finalement de manière assez paradoxale que de l’inéluctabilité de la mort: toutes tentent alors de résoudre cette question ardue, en donnant à l’humain le sentiment que tout ce que l’on fait ici-bas n’a finalement de sens que rapporté à une place que chacun espère occuper un de ces jours, dans un au-delà de bien-être et de réconfort.
Parcours…
C’est d’ailleurs, en partie en cela, que les anthropologues estiment pouvoir distinguer l’Homme de l’animal : le premier a parfaite connaissance de sa finitude, alors que le second vit l’ici et maintenant sans aucune forme d’arrière-pensée. On ne peut alors s’empêcher d’être optimiste en pensant que Maître Ngalle Miano Jean Paul a pu trouver en lui-même et par lui-même, le chemin qui lui ouvre la voie du Paradis. L’exercice d’hommage de ce jour et en ces lieux, revêt une double particularité : de par l’importance du disparu et de par le fait qu’au-delà de sa mort, c’est un peu tout un pan de l’histoire du barreau du Cameroun, de la Justice camerounaise et du Cameroun tout entier qui s’en va avec lui. Qui était donc cette icône, cet homme de parole et de la parole, bref ce prince aristocrate d’un barreau orphelin ?
Né le 6 mai 1955 à Douala, fils de feu Joseph William Ngalle-Miano et de feue Jeanne Cécile Diwouta-Loth, après un parcours primaire exemplaire, il va rejoindre le Collège Alfred Saker où il obtint son baccalauréat, puis s’envolera pour l’Europe pour rejoindre l’université François Rabelais de Tours en France où il obtint sa Licence en droit. Il reviendra au Cameroun et intègrera le cabinet d’avocats du Bâtonnier Yondo Black à Douala en 1984. Par la suite, il prêtera serment comme avocat en 1989 à la Cour suprême de Yaoundé et ouvrira son cabinet à Douala de 1992 à nos jours. Au moment où il nous quitte, il est père de 5 enfants et grand-père de 5 (cinq) petits-enfants.
Pour ceux qui connaissent Maître Ngalle Miano Jean Paul, il est issu d’une très grande famille, où l’on trouve de très grands intellectuels dans des domaines les plus variés. Il nous quitte en pleine maturité, après avoir parcouru son chemin dans la vie avec ses faiblesses et ses qualités, son bonheur et les souvenirs que les uns et les autres garderont de lui. Fauché par la violence de la mort à l’âge de 66 ans, il a dû éprouver ce sentiment que la mort est toujours violente mais que rien ne vaut la liberté.
Tous ceux qui l’ont vu avant son départ de ce monde, nous ont tous dit qu’il regardait son nouveau cheminement avec beaucoup de distanciation, tout en se raccrochant à l’idée qu’il pouvait retourner bientôt à son cabinet pour s’occuper de quelques dossiers urgents. Sympathique, enthousiaste, Jean Paul aimait partager ses idées, communiquer et échanger avec son entourage, et cela lui réussissait souvent. Il avait souvent besoin d’une personne de confiance pour lui rappeler qu’il n’était pas le centre du monde, mais n’allez pas croire que Jean Paul était un égocentrique, c’était un être d’une générosité extrême et d’une bienveillance à nulle autre pareille, c’était un être pacifique dans l’âme et, bien qu’étant avocat, il détestait les conflits. Jean Paul était un personnage complexe et protéiforme, ce caractère correspond parfaitement à l’origine et à la signification de son prénom. […]
Déception…
Depuis que nos chemins se sont croisés, pour ne plus se séparer, dans le bonheur, comme dans le malheur, nous nous sommes toujours parlés. A mon arrivée dans cette ville, c’est chez Maman Ngalle Miano à la rue Bernabé à Akwa que nous allions presque tous les midis prendre notre pause et déguster les repas qu’elle nous préparait avec tant d’amour. Il en était de même lorsque ma mère est venue me rejoindre à Douala pour y passer les 10 (dix) dernières années de sa vie. Nous étions des frères jumeaux par la relation presque fusionnelle que nous entretenions au quadruple plan de nos vies professionnelle, sociale, familiale et philosophique. Jean Paul était un ami loyal et fidèle.
Il détestait les clans, les idiologies, les partisans, les replis identitaires, il refusait d’être étiqueté en raison de sa tribu. Lors de notre dernière rencontre à la veille de son hospitalisation, il me disait encore qu’il était déçu et effrayé par la tournure que prenaient les débats publics dans notre pays, où l’injure, la calomnie, la violence et l’insolence avaient supplanté les échanges d’idées contradictoires. Qui sont ces nouveaux prescripteurs de la pensée unique qui n’ont ni humilité, ni doute dans leur démarche intellectuelle, s’écriait-il ? Et de convoquer Oscar Wilde: «douter c’est vivre, avoir des certitudes c’est commencer à mourir». […]
Mesdames, messieurs, mes très estimés confrères,
Avec Maître Ngalle Miano, nous partagions le fait d’appartenir à la même confrérie: celle de l’avocature; et de la même passion: celle de la Justice. C’est cette passion qui l’a habité jusqu’à la fin de ses jours. Il s’est toujours refusé de juger l’autre sans l’avoir compris. En cet instant où nous lui rendons ses derniers hommages, gardons-nous de le juger.
Mon cher confrère Maître Ngalle Miano, tu nous laisses le souvenir d’un confrère bon, généreux et disponible. Malgré ton fort relationnel, tu n’as jamais souhaité entrer dans des ordres conflictuels tels la politique, car tu nous disais avoir perçu les ravages que ce milieu pouvait faire sur un homme et sur une famille. Tu nous disais souvent que le métier d’avocat était pour toi une vocation, mais surtout une passion et que ce choix pour toi était définitif. Tu t’y es donné corps et âme, tu as formé plusieurs générations d’avocats, auxquels tu as inculqué le sens de la mesure et du devoir. Pour tout ce que tu as fait dans ce monde, qui t’a pratiquement tout donné, tu as souhaité que personne ne te juge, pour ne point être jugé. Nous respecterons ton souhait.
C’est pourquoi ton barreau n’a pas à te juger et là où tu es, tu sais que ton Bâtonnier ne te jugera point. Talentueux et visionnaire, tel était notre ami, notre confrère et notre frère : un avocat qui a été de tous les combats du barreau et de la Justice.
Homme de l’année
Il a été tour à tour dans une longue et belle carrière: défenseur des droits et libertés fondamentaux dans ce pays et plus particulièrement de la liberté d’expression et de la presse; membre fondateur et premier vice-président de l’Organisation camerounaise des Droits de l’Homme (Ocdh). Porte-parole de ladite organisation; avocat plaidant dans le procès Célestin Monga, Njawe et Le Messager; avocat des étudiants exclus des universités d’Etat et réfugiés à l’ambassade de la Communauté économique européenne à Yaoundé; avocat plaidant dans la fameuse affaire Yondo Black et autres au seuil du multipartisme; président du jury de l’homme de l’année du groupe «La Nouvelle Expression» qui a consacré tant de talents dans notre pays. Sans compter ses nombreuses affaires civiles et commerciales desquelles, au demeurant, il tirait l’essentiel de ses revenus.
Il fut, de 2006 à 2009, président de la Commission de conciliation et d’arbitrage du Barreau pour la région du Littoral, période durant laquelle il régla plus de 500 (cinq cent) litiges dans lesquels les avocats étaient impliqués. Pour être complet, il convient d’indiquer qu’au plan International, il a fait partie de plusieurs commissions d’enquêtes internationales au Bénin et au Togo alors en pleine crise politique.
En cela, il a été tour à tour le défenseur de la veuve et de l’orphelin, du fort et du faible, du riche et du pauvre, du puissant et du misérable, de l’Etat et du citoyen. Il savait à chaque fois, comme Machiavel sous le règne de Médicis en Florence (Italie), allier la force du lion et la ruse du renard avec un regard d’où dégoulinaient les histoires les plus ordinaires en miroir, de toutes ces bibliographies minces et mutilées qui peuplent l’ordinaire de notre paysage.
Volontiers blagueur, très épicurien et grand connaisseur du bon vivre, c’était aussi cela sa marque de fabrique. Une façon de se projeter dans son temps, une sorte de machine à accélérer la dégénérescence de ces jours que le bonheur fuit.
Il avait 66 ans, l’âge de la maturité qui précède celle de la sagesse, il ne rêvait donc plus de quelques conformismes éthérés, sur la banquette de toutes ces révolutions qu’il ne souhaitait pas, de toutes ces rébellions qu’il ne traînait pas, de toute cette vie faite de scandales plus ou moins raisonnables dont il ne voulait absolument pas entendre parler.
Dernière boutade
Il estimait que tout cela était trop pour lui et que l’essentiel était sans doute de se laisser aller à l’accomplissement inéluctable de son destin d’homme ordinaire. Sans doute, nous observe-t-il du lieu où il se trouve en ce jour, en laissant comme une dernière boutade à ceux qui l’ont connu, les questionnements effrénés sur l’utilité de la souffrance.
Comment donc ne point s’interroger sur le sens de la vie, lorsque ceux qui sont partis représentaient la crème et l’élite de notre Barreau? Comment ne pas évoquer cette terrifiante compagne, non invitée, mais toujours présente qu’est la mort? […]
Mon très cher Confrère,
Te voilà libéré des inhumanités et des violences de ce monde. Te voilà enfin libéré des contraintes et des hypocrisies de cette société. Te voilà enfin au bout du chemin après avoir goûté à la douleur de la violence, mais tout de même à la découverte certaine de la lumière.
Maître Ngalle Miano Jean Paul était un homme libre et de bonnes mœurs, un authentique chercheur de lumière. Il était tolérant, généreux, convivial, homme du monde d’agréable compagnie et bon vivant.
Voici, mes chers confrères, l’avocat que nous sommes venus saluer en cette circonstance, en cet éloge rendu à sa mémoire et à sa vie professionnelle. Voilà l’homme que beaucoup d’entre vous connaissent, que les plus jeunes d’entre vous n’ont pas connu, l’homme qui demeure à jamais dans votre mémoire et dans notre cœur comme synonyme de ce qui constitue le bien, le juste et le bon.
Nous ne le verrons plus arpenter les couloirs de nos Palais de Justice. Nous ne le verrons plus dans nos prétoires, où sa voix de stentor nous manquera. Nous ne le verrons plus dans nos Assemblées générales où le cœur se retrempe et se sent à l’aise, se levant toujours à propos pour faire entendre des paroles de modération, de sagesse et aussi de noble indépendance. Mais son esprit vivra toujours au milieu de nous. Sa place restée vide dans nos assemblées, nous parlera de ses vertus. Son exemple nous affermira dans la pratique et la défense de nos principes auxquels il tenait tant. Hermès Trismégiste nous enseigne que «ce qui est en haut est comme ce qui est en bas pour réaliser le miracle de l’unité». […]
Jean Paul, mon bien aimé frère, nous te disons adieu, très cher ami, adieu à ce monde de la matière; et si nous sommes assez chanceux pour suivre la voie que tu nous as tracée, nous nous retrouverons par-delà l’Orient, en la lumière Eternelle, au cœur de la Jérusalem céleste que garde l’ange au roseau d’or.
Dans cette fervente espérance, nous te disons : au revoir Jean Paul. Au revoir mon ami. Au revoir mon très cher frère.