Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Le déni de Justice se poursuit dans le deuxième procès intenté contre Pierre Désiré Engo depuis 16 ans. Comme depuis 2014, l’ancien directeur général (DG) de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (Cnps) a de nouveau comparu devant le Tribunal criminel spécial (TCS) mardi dernier, 29 juillet 2021, pour rien. En fait, le ministère public a obtenu un trente-deuxième renvoi censé lui permettre de rassembler davantage d’éléments à charge sur le détournement imaginaire de 25 milliards de francs prétendument réalisé à la Cnps lorsque l’ancien haut commis de l’Etat dirigeait cette entreprise d’Etat.
Lors de cette audience, le tribunal, comme depuis sept ans, n’a posé qu’une seule question : «Est-ce que la diligence qui nous retient a été accomplie ?». La diligence alléguée concerne en fait les résultats d’une ordonnance prise le 7 mai 2014 autorisant le ministère public à procéder à un complément d’enquêtes à l’étranger (commission rogatoire internationale), précisément dans des banques en France, dans le but de permettre à l’accusation de réunir plus d’ingrédients sur les charges retenues contre l’ancien DG.
Le procureur, la voix quasiment inaudible, hésitant sur chaque mot, a réitéré sa traditionnelle réponse à la question du tribunal : «Nous sollicitons votre indulgence parce que la diligence n’a pas été accomplie. Nous sollicitons un renvoi, un ultime renvoi, à une date assez éloignée». «M. Engo vous avez suivi ? Le ministère public demande un renvoi. Nous espérons qu’à cette date tout sera fait», a réagi le président de la collégialité des juges à la suite de la réponse du représentant du parquet.
Invité par le tribunal à donner son avis sur la énième demande de renvoi formulée par l’accusation, Maître Alexis Bayebec, l’avocat de M. Engo, a profité de l’occasion pour passer un savon au ministère public et au tribunal. L’avocat est en effet sorti de ses gongs en fustigeant l’attitude avec laquelle les juges se soumettent aux caprices du ministère public visant à faire traîner la procédure.
Le tribunal pris en otage
«Ça commence à ressembler à un feuilleton dont je ne sais à quel numéro d’épisode nous sommes. C’est la même chose qui se produit depuis 2014. C’est comme-ci nous plaidons pour les éléments périphériques au dossier. Nous avons dit devant ce tribunal, autrement composé, c’est d’ailleurs la cinquième ou sixième composition collégiale, que rien ne viendra de Paris. Ça ressemble à un cirque. C’est depuis 2005 que mon client subit ce calvaire. Le ministère public a décidé de prendre le tribunal en otage. Rien ne viendra de France. Ce qu’on attend de Paris est dans votre dossier. Ouvrez votre dossier. Qu’attendons-nous ? Une Justice tardive équivaut à un déni de Justice. Les standards internationaux parlent de délai raisonnable pour rendre Justice. Qui dans ce pays aura attendu une décision de Justice pendant une vingtaine d’années ? Le ministère public bénéficie ici d’un privilège. Un privilège. Pourquoi nous malmène-t-il ? Ce n’est pas pour rien que le menuisier qui a fabriqué nos box nous a mis au même niveau.»
L’avocat va poursuivre : «M. Engo ne demande qu’à être jugé. Il a toujours comparu. Ça ne ressemble plus à rien ! Au lieu de la Justice, on utilise des termes appropriés. Quand vous lirez votre dossier, rien d’un semblant de renvoi ferme n’a jamais été accordé pour mettre un terme à ce calvaire. C’est une nouvelle composition [nouvelle équipe de juges, ndlr], elle fera la même chose. Renvoi. Renvoi. Renvoi. Renvoyer cette fois l’audience au mois de novembre : le mois des saints. Là au moins, il y aura un nouveau mot qui va s’ajouter : affaire renvoyée à la Saint Glin Glin.»
Après avoir brièvement consulté la chemise du dossier de procédure, sans doute pour vérifier la forme des précédents renvois, le tribunal va indiquer : «l’audience est renvoyée au 28 octobre 2021». Avant de préciser : «il s’agit d’une suspension d’audience et non d’un renvoi».
En rappel, M. Engo est accusé d’avoir, alors qu’il était DG de la Cnps, effectué un virement de 25 milliards de francs dans son compte bancaire personnel ouvert dans les livres du Crédit Lyonnais en France. Chose curieuse, présentée par le ministère public comme la victime du prétendu forfait, la Cnps ne s’est pas constituée partie civile convaincue, que cette procédure est une perte de temps.