Des anciens collaborateurs de Eko Eko dans le collimateur du nouveau patron de la Dgre

Par Emile Kitong – ekitong@gmail.com M. Jean-Pierre Ghoumo, le patron de la Direction générale de la Recherche extérieure (Dgre), a-t-il été désigné à ce poste le 19 décembre dernier pour enfoncer son prédécesseur qui est empêtré depuis un an dans des ennuis judiciaires en rapport avec l’enlèvement et la mort atroce de Martinez Zogo ? Au sein de l’institution, beaucoup en sont convaincus. A peine arrivé, le nouveau Directeur général (DG) s’est en effet engagé dans une espèce de chasse aux sorcières contre certaines personnes. Suspectées sur un fondement encore inconnu d’être des proches de son prédécesseur, ces dernières sont des cibles d’une enquête ouverte au Service central des Recherches judiciaires (Scrj) de la Gendarmerie nationale. C’est le cas de Mme Ndi Mballa Liliane, la directrice des affaires générales (DAG) de la Dgre, qui a d’ailleurs été limogée sans ménagement de son poste depuis le 14 janvier 2024. Selon les informations de Kalara, l’enquête ouverte à la gendarmerie fait suite à une plainte (dissimulée aux mis en cause) du nouveau Dgre contre inconnu pour «destruction, dissipation des preuves et autres». Elle concerne, pour l’instant peut-être, outre la DAG, le chef du garage de la Dgre, l’inspecteur de police Ngwame Elle Jean Francis ; le chef du service de l’informatique, M. Ndima, qui est incarcéré depuis des semaines au SED ; mais aussi un certain Allioum Abathy. Les premières auditions de ces «suspects» portent sur l’implantation et le fonctionnement du dispositif de vidéo-surveillance installé à la DAF. Le système aurait-il été désarticulé par les mis en cause pour empêcher à la justice de cerner les contours de certains aspects de l’affaire Martinez Zogo ? C’est ce que laisse-croire l’objet de la plainte et l’orientation de l’enquête, selon des sources proches du dossier. Le problème avec cette enquête, c’est qu’elle a été déclenchée au lendemain de la descente à la Dgre du juge d’instruction du Tribunal militaire de Yaoundé. Le 3 décembre 2023, peu après avoir hérité du dossier de l’affaire Martinez Zogo, le colonel Nzié Pierrot avait en effet fait extraire de leurs lieux de détention respectifs l’ancien patron de la Dgre, M. Eko Eko, et l’ancien Directeur des opérations de la Dgre, le lieutenant-colonel Justin Danwé, qu’il avait conduits dans les locaux de la Dgre afin de mener des investigations supplémentaires sur les images de vidéosurveillance. Ce «transport judiciaire» s’était effectué en présence du commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire de Yaoundé et des avocats des deux inculpés. Une mesure d’investigation qui avait tout juste permis au nouveau juge d’instruction de se faire sa propre opinion sur certains aspects du dossier, selon diverses sources, aucune découverte particulière n’ayant été faite à l’occasion (lire Kalara N°481). Vidéosurveillance… Déjà, longtemps avant l’entrée en scène du colonel Ndzié dans le dossier, lorsque l’affaire était encore au stade de l’enquête policière conduite par la commission mixte gendarmerie-police mise sur pied par le chef de l’Etat, cette dernière avait émis une «réquisition à personne qualifiée» adressée à la Dgre le 1er mars 2023, pour obtenir la «production des images extraites des caméras de surveillance installées aux couloirs et cabinets du DG/Dgre». En réponse, l’adjoint au DG de la Dgre, qui assurait alors l’intérim, après avoir précisé que le cabinet de M. Eko Eko était sous scellés et que le système de vidéosurveillance de l’immeuble siège abritant le cabinet du DG/Dgre «ne sont pas fonctionnelles depuis longtemps», avait transmis le même 1er mars 2023 à la commission mixte «deux bandes vidéo extraites des caméras de surveillance installée dans le bureau du directeur des opérations pour les journées du 18 et 23 janvier 2023». Le nouveau patron de la Dgre, M. Jean-Pierre Ghoumo, met-il en doute ces informations portées à l’enquête ? Pense-t-il que certaines données ont été altérées et le dispositif démantelé pour empêcher aux enquêteurs de voir clair dans la relation entre M. Danwé et M. Eko Eko pendant la période des faits soumis à l»examen du juge d’instruction du Tribunal militaire est saisi ? Qui l’a informé et sur quelle base Mme le DAG et ses compagnons d’infortune sont-ils ciblés par l’enquête récemment ouverte par la gendarmerie ? Qu’est-ce qui justifie l’immixtion de M. Ghoumo dans cette affaire déjà sous-main de justice ? Kalara n’est pas en mesure de trouver des réponses à toutes ces questions pour moment. Pour les conseils de M. Eko Eko, l’enquête actuelle du Service central des Recherches judiciaires de la gendarmerie est illégale, voire abusive, d’autant que l’information judiciaire se poursuit. Au regard de la loi (article 170 du code de procédure pénale), soutiennent-ils, aucun officier de police judiciaire ne peut plus connaître des faits dont est déjà saisi le juge d’instruction depuis le 3 mars 2023 sauf en cas de commission rogatoire, ce qui n’est pas le cas. Les preuves prétendument dissipées, selon la plainte du nouveau Dgre, échappent-ils à la compétence du juge d’instruction chargé de l’affaire Martinez Zogo ? De toutes les façons, plusieurs mis en cause de l’affaire Martinez Zogo, tels M. Stéphane Martin Savom, le maire de Bibey, et M. Godje, chauffeur de Justin Danwé, qui n’avaient pas été entendus au stade de l’enquête policière, ont directement été inculpés par le juge d’instruction. Le procédé concernant l’ancienne DAG et ses compagnons d’infortune est, de ce fait, particulier. Commissaire du gouvernement Depuis le 14 janvier 2024, cette situation quelque peu curieuse par rapport aux usages judiciaires a été portée à la connaissance du Commissaire du gouvernement, qui coordonne l’action des officiers de police judiciaire intervenant notamment dans le dossier Martinez Zogo, sous forme d’une dénonciation. Mais le courrier reçu ce jour-là par le chef de bataillon Cerlin Bélinga, pour qu’il mette un terme aux initiatives du lieutenant-colonel Bialo et du nouveau Dgre, n’a pas produit aucun effet, en tout cas jusqu’au moment où notre journal va sous presse. Les auditions de Mme Ndi Mballa Liliane et de ses compagnons d’infortune se sont poursuivies le 18 janvier dernier au SED, précisément dans le bureau du chef du Service central des Recherches judiciaires de la Gendarmerie nationale, en dépit des contestations élevées par ses avocats. Ce qui se passe à la gendarmerie ces dernières semaines porte à croire que M. Eko Eko est la principale cible du stratagème qui consiste, pour l’actuel homme fort de la Dgre, à déposer une plainte contre inconnu et à obtenir l’ouverture d’une enquête visant les anciens collaborateurs de son prédécesseur. Pour certains, la gendarmerie cherche à fragiliser moralement les anciens collaborateurs de M. Eko Eko dans l’espoir de leur arracher des déclarations de nature à soutenir le maintien en détention de l’ancien DG/Dgre. En fait, accusé par le lieutenant-colonel Justin Danwé d’être à l’origine du traitement infligé à Martinez Zogo, M. Eko Eko n’a enregistré aucun autre témoignage accablant contre lui, ni dans le cadre de l’enquête menée à l’époque par la commission mixte gendarmerie-police, ni par le juge d’instruction dans le cadre de l’information judiciaire. C’est une situation qui ne fait sans doute pas sourire ses détracteurs éventuels. En fait, la commission mixte avait conclu son enquête en ne trouvant aucune charge retenue contre M. Eko Eko. «Quant au nommé Eko Eko Léopold Maxime, est-il écrit dans son rapport, il y a lieu de soutenir, au vu des contradictions relevées au cours des différentes auditions et confrontations du Lieutenant-colonel Danwé Justin, que celui-ci (Eko Eko) n’a ni été au courant, ni commandé une opération à l’endroit du journaliste Zogo Martinez. Il a établi que ses rencontres physiques dans le cadre du service avec le lieutenant-colonel Danwé Justin datent de plusieurs mois avant cette opération… Qu’à l’issue de cette opération, aucun compte rendu ne lui a été adressé par le lieutenant-colonel Danwé Justin». Le 1er décembre 2023, le juge d’instruction était allé dans le même sens, avec des arguments additionnels, notamment en rapport avec la vidéosurveillance. Il avait ordonné la mise en liberté de M. Eko Eko, qui fut bloquée par le ministre de la Défense. Rappelons que ce n’est pas la première fois que l’entourage de M. Eko Eko est mis sous pression depuis le début de ses ennuis judiciaires. Au lendemain de sa mise aux arrêts, les hommes du Service central des recherches judiciaires de la gendarmerie nationale avaient aussi débarqué, armes au poing, à l’Inspection générale du ministère des Finances, où, sans convocation préalable, ils étaient allés chercher le maître des lieux, l’une des épouses de M. Eko Eko. Ils avaient sommé la concernée, absente de son bureau, à se rendre sans tarder au SED. A l’époque, une enquête était ouverte à la gendarmerie au sujet du cadeau fiscal de près de 9 milliards de francs accordé quelques semaines plus tôt par le Minfi à M. Amougou Bélinga au cours d’un processus où Mme Eko Eko était suspectée d’avoir joué de grands rôles. Ayant découvert tout le contraire, les gendarmes n’ont jamais montré le même zèle à l’égard de ceux qui avaient joué le rôle attribué faussement à Mme Eko Eko. Enjeux politiques… M. Eko Eko, qui est loin d’être un enfant de chœur, est convaincu que l’affaire Martinez Zogo n’est qu’un prétexte pour l’écarter de la position qu’il occupe depuis 13 ans. C’est en tout cas ce qui ressort de son audition par la gendarmerie le 1er février 2023 : «Je dis que M. Danwé sait qui lui a donné l’ordre et les moyens de mener l’opération contre Zogo Martinez. Et qui lui a dit de m’imputer cette affaire pour me couler. Car, il y a des enjeux politiques. Il y a des camps qui me font pression pour la succession du président Biya. Pour cela, je subis des représailles, des blocages de paiement des factures par différents groupes. […] Tous ces derniers temps, on invente des choses pour me faire tomber. On me bloque tous les crédits parce qu’on pense que je suis avec le ministre d’Etat secrétaire général de la présidence de la République. Et au Palais (présidence de la République), on me tape parce qu’on dit que je suis avec le ministre Motaze». D’ailleurs, dans la «requête aux fins de libération sous cautions et/ou sous surveillance judiciaire», les avocats de M. Eko Eko avaient stigmatisé ce qui leur apparaissait comme la complaisance de la gendarmerie à l’égard de leur client, en pointant l’influence «d’un cabinet noir qui n’a pour seules ambitions hautement malveillantes que de faire feu de tout bois, voire de saisir toute opportunité pour discréditer le leadership du plus haut responsable de la Dgre (à l’époque, M. Eko Eko), afin de le mettre en disgrâce aux yeux du chef de l’Etat et de l’opinion populaire». Ils ajoutaient que le but poursuivi avec acharnement est «de faire remplacer par un personnage qui sera assez malléable, fidèle et obséquieux vis-à-vis du leader "bien connu" de ce cabinet noir aux ambitions pouvoiristes démesurées et plusieurs fois affirmées». Pour mémoire, le nouveau patron de la Dgre, comme le patron de la gendarmerie, est connu comme le protégé du ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République, M. Ferdinand Ngoh Ngoh. Ce dernier n’a pas la réputation d’avoir entretenu des rapports cordiaux avec M. Eko Eko. Au contraire….

Des anciens collaborateurs de Eko Eko dans le collimateur du nouveau patron de la Dgre

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