Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Paul Ndjom n’a pas hésité à lever sa main en signe de victoire en quittant la barre du Tribunal administratif de Yaoundé le 1er juin dernier. Il venait de gagner une manche importante dans la bataille judiciaire qui l’oppose à la Délégation générale à la Sûreté Nationale (Dgsn) au sujet de sa révocation du corps des fonctionnaires de la police intervenue le 2 mai 2017. La joie du flic résulte du fait que le tribunal s’est déclaré compétent à examiner partiellement son recours tendant à obtenir l’annulation de sa révocation objet d’un arrêté signé par le chef de l’Etat. Le plaignant estime que cette décision présidentielle est entachée d’excès de pouvoir.
Dans cette affaire, Paul Ndjom a été radié des effectifs de la police pour «rétention des biens saisis» et compromission portant atteinte à l’honneur de la sûreté nationale. Ses ennuis professionnels résultent du fait que, alors qu’il prenait part à une patrouille dans la ville de Douala dans la nuit du 20 au 21 mars 2012 en compagnie de 6 collègues, ils ont interpellé un gang de trois malfrats opérant à bord d’une moto. Les prétendus malfrats étaient en possession de plusieurs appareils électroniques ordinateurs portables, clés USB, téléphones portables etc. probablement dérobé lors d’un forfait. Les flics avaient confisqué le butin entre les mains des malfrats.
Mais au lieu de mettre sous-scellés les effets récupérés lors de la patrouille, Paul Ndjom qui avait alors le grade d’inspecteur de police et ses compagnons d’infortune auraient eux-mêmes se seraient partagés les biens au centre de l’affaire. Le forfait est arrivé aux oreilles des autorités. Les membres de la patrouille seront traduits devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Wouri pour répondre des faits de rétention de biens saisis entre autres.
Egalité des citoyens…
En effet, le Code pénal en son article 190 entend par détournement de biens saisis «celui qui détourne, détruit ou détériore des biens saisis ou placés sous séquestre». La peine encourue par le fautif peut aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement. Les flics mis en cause ont été condamnés à des peines d’emprisonnement à l’issue du jugement devant le TGI du Wouri.
Outre les poursuites pénales, l’inspecteur de police Paul Ndjom et ses compagnons d’infortune étaient également traduits devant le Conseil de discipline de la Sûreté nationale. Six des sept fonctionnaires de police ayant pris part à la patrouille querellée étaient révoqués.
Selon les dispositions de l’article 135 alinéa 3 à 5 du décret du 12 mars 2001 portant statut spécial des fonctionnaires de la sûreté nationale : «3) Le fonctionnaire de la Sûreté nationale condamné à une peine privative de liberté d’une durée inférieure ou égale à six (06) mois, ou encore avec sursis, est repris en service. Il ne peut prétendre à un rappel de solde ni à une reconstitution de carrière. (4) Les dispositions de l’alinéa ci-dessus ne s’appliquent en cas de condamnation devenue définitive pour crime ou pour délit touchant à la torture ou à la probité, notamment pour vol, faux, escroquerie, corruption, détournement de deniers publics et abus de confiance, ou encore assortie de l’une des déchéances prévues aux alinéas 1 et 6 de l’Article 30 du Code Pénal. (5) Le fonctionnaire de la Sûreté nationale condamné à une peine privative de liberté supérieure à six mois, devenue définitive, est traduit devant le Conseil de Discipline.»
Problème : M. Ndjom conteste la légalité et la régularité de l’arrêté le radiant des effectifs de la police. Pour lui, cette décision est prématurée au moins pour deux raisons. D’abord, il indique le jugement du TGI du Wouri le condamnant a fait l’objet d’un appel. La procédure est pendante, dit-il. De ce fait, l’arrêté attaqué a porté atteinte à ses droits, notamment en violant le principe de la présomption d’innocence dont toute personne mis en cause doit bénéficier durant son procès. L’autre grief retenu contre l’arrêté critiqué porte cette fois sur la prétendue violation de l’égalité des citoyens devant la loi, car seuls six des sept policiers incriminés ont été révoqués alors qu’on leur faisait le même reproche.
Sanction discrétionnaire
En dehors de l’annulation de l’arrêté attaqué, Paul Ndjom sollicite que l’Etat soit condamné à le réintégrer dans la police accompagnée d’une enveloppe de 20 millions de francs représentant les dommages et intérêts pour les différents préjudices qu’il dit avoir subi.
Pour sa part, le représentant de la Dgsn a soulevé l’incompétence du tribunal sur la demande de la réintégration du plaignant dans la sûreté nationale. Pour lui, accéder à cette demande serait une manière pour le tribunal de donner des injonctions à l’administration, «une compétence qui échappe au juge administratif». Il estime que M. Ndjom est de mauvaise foi. Il a tenté de convaincre en lisant les extraits des déclarations faites par le plaignant devant le Conseil de discipline dans lesquels il est passé aux aveux complets. S’agissant de de la violation de l’égalité devant la loi, le représentant de l’Etat a opposé que «la responsabilité disciplinaire est individuelle. La sanction est à la discrétion de l’autorité compétente». Le ministère public a fait chorus à cette position.
Finalement, le tribunal s’est déclaré compétent à examiner le recours de Paul Ndjom excepté sa demande sur sa réintégration dans l’administration publique. Un jugement à la Salomon qui a quand même réjoui l’ancien inspecteur de police qui n’a pas boudé son plaisir en faisant de gros signe de victoire. Le jugement au fond est désormais attendu.