Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
On ne retrouvera peut-être plus jamais le dossier de la procédure judiciaire qui oppose Mme Cécile Nanga Zengue, styliste-modéliste basée à Paris, à Mme Deungoue Ngamani Gaëlle Sonia épouse Biyiti Bi Essam, expert-comptable installée elle-aussi en France. Auteure d’une plainte (citation directe) déposée contre sa compatriote depuis le 2 mars 2017 devant le Tribunal de première Instance (TPI) de Yaoundé centre-administratif pour «déclarations mensongères, violation de correspondance, menaces simples, menaces sous condition, chantage, dénonciation calomnieuse et diffamation», Mme Nanga Zengue Cécile n’a plus les nouvelles de sa procédure judiciaire depuis le milieu de l’année dernière. Dans le même temps, la styliste-modéliste est sous le coup d’une condamnation de 2 ans d’emprisonnement prononcée dans des conditions troubles par la même juridiction en faveur de l’expert-comptable.
En fait, les deux dames avaient introduit des procédures judiciaires séparées l’une contre l’autre, qui avaient fini par être jointes pour un examen concomitant, avant qu’une seule des deux plaintes ne connaisse un premier dénouement curieusement isolé pendant que l’autre a disparu de la circulation. Première à déclencher les hostilités par une correspondance adressée au Secrétariat d’Etat à la Défense (SED) chargé de la gendarmerie début août 2016 dans ce qui était le début d’un bras de fer entre deux anciennes copines, Mme Biyiti Bi Essam poursuivait Mme Cécile Nanga Zengue notamment pour «escroquerie» et «abus de confiance». Les appuis de la plaignante à la gendarmerie étaient tels que son adversaire fut interpellée quasiment à l’entrée de l’avion, à l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen, tard le 19 août 2016, alors qu’elle s’apprêtait à rejoindre son lieu de résidence habituel en France.
Pour agir avec une aussi redoutable efficacité, le chef du Service central des recherches judiciaires (Scrj) de la gendarmerie nationale, chargé de la plainte de Mme Biyiti Bi Essam, avait confectionné un avis d’interdiction «de sortie du territoire national» à l’encontre de Mme Nanga Zengue en précisant que l’intéressée était susceptible d’être poursuivie «pour atteinte à la sûreté de l’Etat». Cette dernière s’était de ce fait retrouvée dans le filet de la gendarmerie sans que l’un quelconque de ses proches en soit informé. Quasiment «enlevée», Mme Nanga Zengue était à la merci de ses geôliers. Heureusement pour la styliste-modéliste, son adversaire avait tôt fait de se vanter de ses exploits. L’information, malicieusement portée aux oreilles de M. Malbrunot, compagnon de Mme Nanga Cécile, avait permis à ses proches de la retrouver. C’est ainsi qu’un certain Nlend Beleck Médard était venu au secours de Cécile, s’invitant du même coup au calvaire de cette dernière en devenant con coaccusé.
Boko Haram
Pour bien comprendre ce qui oppose les deux parties devant le TGI de Yaoundé centre-administratif, il faut repartir en France. Mme Biyiti Bi Essam et Mme Nanga Zengue y sont résidentes depuis un moment et se sont connues en 2015 précisément dans le cadre de diverses activités autour de la Résidence Cameroun à Paris, notamment la marche de soutien organisée au profit du chef de l’Etat et du peuple camerounais contre la secte terroriste Boko Haram et le renouvellement des organes de base du Rassemblement démocratique du Peuple camerounais (Rdpc). Styliste modéliste de profession, Mme Nanga Zengue est déjà membre d’une puissante ONG dénommée Savoir Plus. Elle est engagée dans de nombreux projets de développement pour son pays. Mme Biyiti Bi Essam achève pour sa part ses études d’expertise-comptable à Paris. Les deux dames se lient d’amitié, la cadette, Mme Biyiti Bi Essam, nourrissant l’ambition de marcher sur les traces de son aînée, qui lui fait totalement confiance.
En mai 2016, Mme Nanga Zengue reçoit une invitation à prendre part à Yaoundé à un «forum économique» organisé les 8 et 9 juin 2016 à l’attention des Camerounais de la diaspora par le secrétariat général de la présidence de la République. Elle en parle à Sonia Biyiti Bi Essam. Cette dernière recevra à son tour l’invitation. Les deux dames, après quelques hésitations et vérifications au téléphone, s’engagent à remplir les formalités nécessaires au voyage sur le Cameroun. Mme Nanga Zengue, en premier, se déleste d’une somme en euros équivalente à un peu plus de 412 mille francs représentant le coût du transport par vol Camair-Co, la compagnie désignée par les organisateurs du forum. Mme Biyiti Bi Essam fera aussi pareil via Western Union. Sauf qu’après paiement de la somme, les contacts téléphoniques qui auraient déterminé les deux dames à effectuer la réservation du billet d’avion vont devenir injoignables. Ces dames découvrent qu’elles viennent de se faire arnaquer.
En fait, au regard des réticences émises par Mme Biyiti Bi Essam lorsqu’elle est informée de l’organisation du forum, elles ont pris la précaution de passer quelques coups de fils au Cameroun. L’un des correspondants de Mme Nanga Zengue, un certain Ngoh Ferdinand, se présentant alors comme M. Ngoh Ngoh Ferdinand, le secrétaire général de la présidence de la République (Sgpr) en personne, a confirmé l’organisation du forum. Mme Nanga aurait également eu au téléphone quelqu’un d’autre qui répond faussement au nom de M. Nana Sandjo, le DG de Camair-Co à l’époque des faits. C’est une certaine Pauline Aimée Ewolo, présentée comme la collaboratrice de M. Nana Sandjo, qui est destinatrice des sommes expédiées via Western Union. Les faussaires se sont joués des deux dames, qui vont quand même effectuer le voyage pour le Cameroun dans la période voisine. Et c’est dans leur pays que les hostilités sont engagées par Mme Biyiti Bi Essam.
Mme Biyiti Bi Essam estime que Mme Nanga Zengue s’est servie du prétendu «forum économique» pour lui voler aussi bien l’argent dépensé pour l’achat de son billet d’avion, 399.500 francs, et pour lui arracher certains projets, notamment un plan d’électrification rurale qu’elle nourrirait pour sortir certaines parties du continent africain du noir. Dans sa plainte, elle affirme que Mme Nanga Zengue a essayé de la dissuader de porter plainte contre ceux qui l’auraient arnaquée en utilisant les noms des personnalités publiques comme le Sgpr. «J’ai des présomptions qu’elle est un des maillons de ce réseau de malfaiteurs qui usurpent les noms et titres des personnalités», précise-t-elle dans sa plainte, qui va servir à interpeller sa compatriote à l’aéroport et plus tard M. Nlend Beleck. Mme Nanga Zengue, qui crie à la calomnie et aux déclarations mensongères de son adversaire, va déposer à son tour sa citation directe, d’autant qu’elle est interdite de sortir du territoire…
Procédures jointes…
Après l’enquête menée par la gendarmerie, la procédure introduite par Mme Biyiti Bi Essam fait l’objet d’une première audience publique des flagrants délits du TPI le 29 septembre 2016. Elle va connaître plusieurs renvois. La citation directe de Mme Nanga Cécile et de M. Nlend Beleck est pour sa part enrôlée le 7 mars 2017. Les conseils de ces derniers vont se battre pour obtenir une jonction des deux procédures. Cette dernière est ordonnée le 17 août 2017 par un jugement prononcé par Mme Abdoul Kadiri, juge au sein de la juridiction, «en raison des liens de connexité» entre les deux affaires. Le procès va connaître de nombreuses autres péripéties, notamment la mise en place d’un collège des juges pour en connaître. Le fait que Mme Biyiti Bi Essam et Mme Nanga Zengue résident en France ne favorise pas des audiences régulières. Mais les débats sont ouverts.
En octobre 2020, alors que la pandémie à Covid 19 fait fureur, le dossier va connaître une tournure extraordinaire. Affecté comme juge au TPI de Yaoundé centre administratif à la suite de la dernière session du Conseil supérieur de la magistrature le 10 août 2020, M. Choup Saah Bernard Clovis va hériter d’une partie du dossier, celui concernant la plainte de Mme Biyiti Bi Essam, à la suite d’obscures manœuvres. Quand est-ce que la jonction des procédures intervenue le 17 août 2017 par décision formelle d’un juge a-t-elle été remise en cause ? Personne ne le sait. Qu’est devenu le collège des juges chargé du dossier ? Le nouveau juge du TPI et le représentant du parquet ne vont pas se poser toutes ces questions.
Le 5 octobre 2020, sans aucun débat entre les parties, le nouveau juge met l’affaire en délibéré et annonce sa décision pour le 2 novembre 2020. A cette date, il ne va pas se poser plus de question. Il estime que les prévenus (Mme Nanga et M. Nlend Beleck) «ont contrefait les papiers de la présidence de la République du Cameroun par des procédés et logiciels informatiques alléguant qu’ils envoient une invitation à dame Deungoue épouse Biyiti Bi Essam l’invitant à assister au forum post économique supposé avoir lieu du 8 au 9 juin 2016 à Yaoundé». Et que «les prévenu ont déterminé dame Deungoue Sonia épouse Biyiti Bi Essam par la ruse et des fausses qualités à se défaire de la somme de 412 mille francs […] pour sa participation à un supposé forum économique sous la houlette du chef de l’Etat».
C’est avec ces arguments que Mme Nanga Zengue et M. Nlend Beleck sont «déclarés coupables d’escroquerie» Ils sont condamnés chacun à deux ans d’emprisonnement et 90 mille francs d’amende. Des mandats d’arrêt sont immédiatement décernés contre Mme Nanga Zengue et son compagnon d’infortune. A aucun moment dans sa décision, M. Choup Saah n’a fait allusion au sort de la plainte de Mme Nanga Zengue. Depuis novembre 2020, soit plus de 7 mois aujourd’hui, toutes les recherches menées aussi bien par l’avocat de la concernée que par certains de ses proches pour retrouver trace de cette procédure, demeurent vaines. On ne retrouvera probablement jamais ce dossier judiciaire là au TPI de Yaoundé centre administratif. Pour le bonheur de la bien nommée Biyiti Bi Essam.