C’est à pas de tortue que les débats avancent dans le conflit qui oppose le ministère public à Jean Marie Zambo Amougou, ancien conseiller technique à la Mission d’Aménagement et d’entretien des terrains urbains et ruraux (Maetur). L’instruction de cette affaire pendante devant le Tribunal criminel spécial (TCS) depuis 2018, n’a guère évolué le 25 octobre dernier à cause de nombreuses absences à l’audience, notamment celle de l’un des trois juges en charge de l’examen du dossier ainsi que celle de M. Zambo Amougou lui-même. L’affaire est renvoyée les 14 et 21 décembre prochain.
Le 27 août dernier, le tribunal avait entendu Maître Cakmenie Jeanne comme premier témoin de la défense. La dame officiait comme clerc de notaire (stagiaire) à l’étude du notaire à la retraite Maître Firmin Adda, également poursuivi dans cette procédure, Son témoignage avait essentiellement porté sur l’une des deux charges retenues contre M. Zambo Amougou, notamment le supposé détournement de biens publics d’une valeur de 534 millions de francs.
Concernant cette charge, on fait le reproche à M. Zambo Amougou d’avoir «dressé et signé» un procès-verbal (PV) le 6 mai 2009 portant règlement du litige foncier qui opposait la Maetur à certaines familles au quartier Ngousso à Yaoundé. Ce document, estime l’accusation, «a entraîné la dépossession de 35 parcelles» appartenant à la Maetur. En fait, ce PV attribue au nommé François Belibi, l’un des protagonistes du litige, les 35 lots évoqués sur un lotissement tenu par l’entreprise au quartier Ngousso. La cession du patrimoine allégué, qui est estimé à 534 millions de francs, est considérée comme un détournement imputé à M. Zambo Amougou en compagnie de Me Firmin Adda et Jean Marie Tsoungui, le fils de M. Belibi, décédé.
Vente en régularisation
Pour planter le décor, Me Cakmenie a expliqué qu’en 1985, les habitants de Ngousso avaient subi l’expropriation de plusieurs hectares retenus par le pouvoir pour la construction de l’Hôpital général de Yaoundé (HGY), et l’Hôpital Gynéco-Obstétrique de Yaoundé. Sauf que les parcelles de terres expropriées mais non touchées dans la réalisation de ces projets sont source de tensions.
En effet, si l’Etat a confié la gestion des terrains en question à la Maetur qui les a aménagés et possède d’ailleurs un titre foncier sur ledit site, les occupants initiaux des lieux avaient réclamé auprès de l’administration que ces terrains leur soient rétrocédés. Pour résoudre le problème, un comité ad-hoc présidé par le préfet du Mfoundi avait été mis sur pieds. C’est M. Zambo Amougou que feu Emmanuel Etoundi Oyono, alors directeur général (DG) de la Maetur, avait désigné en 2008 comme représentant de l’entreprise dans ledit comité. Parmi les résolutions du comité ad-hoc, se trouvent l’attribution des 35 lots querellées à feu Belibi
Selon Me Cakmenie, la famille Belibi avait vendu les lots ainsi reçus du litige à des tiers et avait déposé «21 dossiers» à l’étude de Me Firmin Adda pour la «régularisation des ventes». «C’est moi-même, en ma qualité de clerc de notaire, qui avait géré tous ces dossiers à l’étude», confie la dame précisant que tous les versements de fonds au centre de ces transactions ne se sont pas déroulés devant l’étude. En fait, dit-elle, «la famille Belibi avait perçu le prix de cession des terrains avant le règlement du conflit. Elle ne pouvait pas signer ni le PV de bornage, ni la demande de morcellement parce que le titre foncier sur lequel portaient les transactions ne portait pas son nom, plutôt le nom de la Maetur». Les Belibi «œuvraient» donc pour que leurs clients obtiennent des titres fonciers sur les lots vendus.
Le témoin indique que ces dossiers étaient souvent accompagnés, en dehors du PV de règlement dénigré, des plans de bornage, une attestation d’attribution des lots à M. Belibi, une lettre signée de M. Zambo Amougou adressée au délégué département du Cadastre du Mfoundi, etc. La lettre de l’accusé autorisait le service du Cadastre à procéder au morcellement du titre foncier de la Maetur au profit de M. Belibi au sujet des 35 lots.
Signature du préfet
Au détail, 15 dossiers ont abouti aux morcellements sollicités, les six dossiers restant non pas connu le même sort parce que les bénéficiaires n’avaient payé les différents frais exigés. «Aucune contestation n’a été reçue au cabinet au moment des faits», dit-elle. «Quelle relation entreteniez-vous avec M. Zambo Amougou tout le long de ce processus ?», demande Me Ngouen. «J’ai vu M. Zambo Amougou pour la première fois lors d’une réunion convoquée par l’actuel DG de la Maetur à laquelle Me Firmin Adda était convié aux fins de fournir des explications sur les actes passés dans son cabinet concernant les terrains de Ngousso», déclare Me Cakmenie.
Lors du contre-interrogatoire par l’accusation, l’avocat de la Maetur a demandé au témoin, si l’étude Firmin Adda avait mené des «investigations préalables sur le site» pour voir plus clair. «Il ne revient pas au notaire de descendre sur le terrain. C’est le travail du géomètre», répond Me Cakmenie. Le ministère public lui a de son côté demandé de citer les textes «qui prévoient les ventes en régularisation» en matière immobilière. «Je ne connais pas», a réagi la dame, précisant cependant que l’étude de son parrain n’avait «ni qualité, ni compétence d’apprécier un PV de règlement de litige adoubé par la signature du préfet, représentant de l’Etat».
En rappel, M. Zambo Amougou, ancien cadre à la Maetur, par ailleurs président national de la Confédération syndicales des Travailleurs du Cameroun (Cstc), passe en jugement pour la supposée braderie de 69 terrains appartenant à la Maetur se trouvant aux quartiers Ngousso et Mfandena. L’accusation chiffre le préjudice à 939 millions de francs.