Alors que les fonctionnaires des greffes attendent depuis dix ans le décret d’application de leur statut spécial signé le 4 février 2011 par le chef de l’Etat, Paul Biya vient plutôt de prendre un autre décret modifiant et complétant certaines dispositions dudit statut. Rendu public le 20 août dernier, le texte présidentiel toilette sept articles de ce statut spécial. Les modifications concernent en fait les articles 2, 18, 27, 33, 51, 72 et 118 du décret de 2011.
En effet, les dispositions nouvelles traitent principalement des questions portant sur les conditions de mise en stage, des concours professionnels, d’avancement en grade, de formation, de spécialisation ou de perfectionnement, de l’âge de départ à la retraite (60 et 55 ans) des fonctionnaires des greffes. Il suffit cependant de s’attarder sur les dispositions de l’article 33 «nouveau» pour découvrir le fait le plus important du décret du chef de l’Etat. Ledit article ouvre (enfin) la possibilité aux personnels de l’Etat et contractuels d’administration en service au ministère de la Justice et dans les juridictions d’être intégrés ou d’être recrutés dans le corps des fonctionnaires des greffes.
Greffier avant l’heure
De manière précise, l’alinéa 1er de cet article indique que «des concours spéciaux peuvent être ouverts aux agents de l’Etat relavant du Code du travail en service au ministère de la Justice ou dans les juridictions en vue de leur recrutement et intégration dans le cadre permanent du corps des fonctionnaires des greffes». L’alinéa 2 précise que les agents de l’Etat en service à la Chancellerie ou dans les juridictions «disposant d’une qualification dans un domaine spécifique utile au fonctionnement de l’administration judiciaire peuvent présenter des concours spéciaux en vue de leur intégration et reclassement dans le cadre permanent du corps des fonctionnaires des greffes en tenant compte de leur spécialité».
Bien entendu, les intéressés remplissant les conditions mentionnées dans le décret devront réunir «à la date du concours, au moins 5 années de service effectif». Et les candidats admis «sont astreints à un stage de mise à niveau d’une durée de 9 mois», soit à l’Ecole nationale d’Administration et de la Magistrature (Enam), soit dans les juridictions en fonction du niveau d’étude des candidats. «Le contenu des programmes, la durée de la formation théorique à l’Enam et celle pratique en juridiction» sont fixés par un arrêté conjoint signé par les ministres de la Justice et celui de la Fonction publique. «A l’issue desdits stages, les intéressés sont intégrés dans le cadre correspondant à leur niveau de formation», dit le nouveau texte.
La situation des agents de l’Etat en service dans les juridictions suscitait jusqu’ici de nombreuses curiosités. Il est presque banal de les voir remplir les fonctions de greffiers dans les audiences parfois en robe, y compris à la Cour suprême. Pourtant, seuls les fonctionnaires des greffes ayant reçu la formation appropriée et ayant prêté serment sont habiletés à manipuler les dossiers judiciaires. L’admission des non-greffiers à des tâches techniques, voire même la désignation des contractuels à certains postes techniques du greffe, n’a jamais enchanté les professionnels du corps, qui n’en font jamais mystère par la voix de certains délégués du personnel et responsables de leurs syndicats.
Avec le texte du 20 août dernier, le président Biya a simplement réchauffé une vieille recette à laquelle il a souvent fait recours pour offrir un pont d’accès à certains de ses employés non-fonctionnaires. C’est par exemple ce qu’il avait fait dans le Statut des fonctionnaires de la Sûreté nationale signé le 12 mars 2001. Selon l’article 190 de ce statut, les agents de l’Etat, en service depuis au moins 10 ans à la Délégation générale à la Sûreté nationale (Dgsn), à la Direction générale de la Recherche Extérieure (Dgre) ou à la Direction de la Sécurité présidentielle (DSP) sont admis à titre spécial à l’Ecole nationale supérieure de Police (Ensp) ou dans les Centres d’instruction et d’application de la Police.
Silence sur les revendications
Le décret du chef de l’Etat signé il y a trois semaines prend-il en considération les revendications régulièrement portées par le Syndicat des fonctionnaires du corps des greffes ? Tous les greffiers interrogés, qui ont souhaité garder l’anonymat pour des raisons évidentes, répondent par la négative. Ils estiment que les plaintes portées à l’attention des pouvoirs publics n’ont pas été prises en compte (voir Kalara N°372 parue le 15 février 2021). La «maltraitance», la «misère», «l’intimidation», le «mépris» dont ils se disent victimes au sein des juridictions continuent. Ils déplorent le fait que tous les postes de responsabilité au ministère de la justice soient toujours occupés par les magistrats. Ce qui donne l’impression que la justice se résume à un seul corps. De quoi entretenir davantage l’impression pour les greffiers d’être encore les mal-aimés de la Fonction publique, en général, et des personnels en service dans les milieux judiciaires.
C’est en tout cas une impression qui habite Maître Thomas Sylvain Aimé Etoudi, le président du syndicat des greffiers. Interrogé par Kalara, il dit n’avoir pas lu le décret pour n’avoir pas pu le télécharger, mais témoigne que ses collègues, qui lui en ont parlé, en sont courroucés. Il voit, dans le décret du 20 août dernier, le témoignage de l’hostilité des magistrats à l’égard des greffiers : «Comme vous le savez, dit-il, notre ministre est juge et partie dans les affaires entre les greffiers et les magistrats. Il améliore la situation des magistrats chaque fois qu’il en a l’occasion, mais il veille à ce que le texte d’application du statut des greffiers ne soit jamais signé. Dans le décret actuel, il ressort clairement qu’il utilise notre statut pour améliorer la situation des secrétaires et des contractuels (25000) en les transformant en greffiers. Comme quoi, ils veulent nous diviser, car ces futurs greffiers, anciens secrétaires vont casser le syndicat. Ils seront reconnaissants envers ceux qui les ont fabriqués et vont combattre le syndicat de l’intérieur».
Pour les greffiers interrogés donc, seule la mise en exécution de leur statut spécial pourrait leur permettre d’exercer leur profession de manière décente. Le statut réclamé leur octroie de nombreux avantages, des primes, une meilleure grille de salaire permettant aux bénéficiaires d’augmenter leurs revenus et d’améliorer leur condition de travail. Il faudra peut-être attendre dix ans de plus pour voir les choses véritablement changer pour les greffiers. Triste réalité pour les membres de l’un des deux corps des fonctionnaires dédiés pourtant au service de la Justice.