Par Jacques Kinene – jkine7@yahoo.fr
Le juge correctionnel du Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centre administratif doit se prononcer sur l’exception de prescription soulevée par l’avocat de la défense dans la bataille judiciaire qui oppose depuis 5 ans la société Mimba à sa partenaire camerounaise Ngoma dirigée par Ismailla Yusofa, alias Yusufa. La décision du tribunal attendue le 1er octobre 2021 sera déterminante pour l’issue de ce procès. M. Ismailla Yusofa est poursuivi pour les faits d’abus de confiance et d’émission de chèque sans provision. Il lui est reproché, d’une part, d’avoir reçu des cargaisons de pommes en fruit dont les fonds tirés de la vente n’ont pas été reversés à son partenaire d’affaires étranger et, d’autre part, d’avoir émis un chèque sans provision de 120 millions de francs. Une version des faits que le mis en cause conteste vivement.
Pour la défense de M. Ismailla Yusofa, présent à l’audience le 3 septembre 2021, son avocat a expliqué que ce dernier, qui réside en Afrique du Sud, avait noué un partenariat d’affaires avec le président directeur général (PDG) de la société Mimba. La convention signée en 2007 entre les deux parties prévoyait que Nimba livre les marchandises accompagnées d’une facture à sa partenaire basée au Cameroun. Et le paiement se faisait plus tard par les mécanicismes qui avaient été fixés de commun accord. Pendant des années les transactions entre les deux entreprises avaient atteint d’importants chiffres d’affaires. Sauf qu’en 2010, M. Ismailla Yusofa avait reçu une cargaison de pommes au port de Douala qui faisait problème. «Il s’était finalement rendu compte qu’une bonne partie de la marchandise de ce stock était avariée. Il avait fait constater les dégâts par un huissier de justice. Le constat d’huissier avait arrêté la valeur de la marchandise à 80 millions de francs», a confié l’avocat. Après un échange entre les deux parties, il avait été convenu qu’à la prochaine livraison, le préjudice subi par Ngoma devait être réparé.
Chèque en blanc
Seulement, quelques jours après cet entretien, poursuit l’avocat de la défense, le PDG de Mimba avait rendu l’âme au cours d’une agression. Or, M. Ismailla Yusofa avait déjà signé un chèque blanc (un chèque vide) à ce dernier avant son décès. Et lorsque les héritiers avaient pris la gestion de l’entreprise, ils avaient constaté qu’il y avait un solde de 80 millions de francs imputable à la société du mis en cause. En 2011, les nouveaux responsables de Mimba avaient rempli le chèque blanc hérité du défunt PDG et y avaient porté la somme de 120 millions de francs. Présenté dans une banque de Johannesburg en Afrique du Sud, le chèque avait été rejeté pour défaut de provision. D’après l’avocat, c’est plus tard que son client avait été informé de l’existence du chèque querellé.
En 2014, au cours des pourparlers avec un avocat camerounais mandaté par la société Mimba, M. Ismailla Yusofa s’était porté garant de payer 50 millions sur 120 millions de francs litigieux. Il avait proposé de donner 15 millions de francs, séance tenante et étalait le paiement du reliquat sur une période de deux ans. Cette proposition avait été rejetée par son partenaire, qui avait exigé le versement de la totalité de la somme en question dans un délai de 8 jours. Les parties s’étaient séparées en queue de poisson. En août 2016, le promoteur de Ngoma avait été informé d’un mandat d’arrêt qui avait été décerné contre lui. D’autres discussions avaient de nouveau été engagées pour un règlement amiable du litige. Une entente devant le juge d’instruction obligeait M. Ismailla Yusofa, à payer un montant total de 50 millions de francs. La somme de 15 millions représentant une avance avait été remise à l’avocat mandataire dans le bureau du juge. Et les 35 millions restants avaient été payés par le même canal en plusieurs tranches jusqu’en septembre 2019. Sauf que le mis en cause qui ne se doutait plus de rien, avait été surpris d’être de nouveau convoqué devant le juge d’instruction qui l’avait inculpé des faits d’abus de confiance et d’émission de chèque sans provision.
Arrêt de la procédure
Pour l’avocat de M. Ismailla Yusofa, le procès doit s’arrêter étant donné, d’après lui, que lesdits faits sont prescrits. Il explique que s’agissant de l’infraction d’abus de confiance, la cargaison litigieuse de pommes était arrivée au Cameroun en 2010, pendant que la citation directe, la plainte et l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction ne sont survenues qu’en 2014. Par ailleurs, l’avocat indique que pour l’infraction de chèque sans provision, il est important de signaler que le chèque blanc dont il est question avait été émis sous forme de garantie. Et il n’avait été rempli qu’en juillet 2011 par le nouveau patron de Mimba. Tandis que la plainte de ce dernier n’a été déposée devant la justice qu’en décembre 2020. Dans les deux cas, l’avocat de la défense conclut que le délai de 3 ans ordonné par les dispositions légales en vigueur a largement été dépassé. Ce qui annule d’office l’actuelle procédure. Il a, pour cela, demandé au tribunal de relaxer purement et simplement son client.
Le représentant du parquet a, pour sa part, contesté le point de vue développé par l’avocat de M. Ismailla Yusofa. Il a soutenu que le mis en cause avait bel et bien reçu les marchandises de son partenaire étranger, et en attendant le paiement de celles-ci, il avait émis un chèque de 120 millions de francs le 14 juillet 2014. «C’est à cette date que les responsables de Mimba avaient constaté que M. Ismailla Yusofa faisait usage de la ruse. L’infraction de chèque sans provision a commencé à courir dès cet instant». Le magistrat du parquet a ajouté que cette infraction est continue.
Le ministre public a, en outre, indiqué que c’est quand Mimba se rend compte de la supercherie de son partenaire qu’elle dépose sa plainte. Il demande au tribunal de rejeter l’exception formulée par l’avocat de la défense. Quelques minutes après le même représentant du parquet a reconnu qu’il s’est trompé sur les dates de l’établissement du chèque litigieux. Une manière de donner raison à la défense. Le 1er octobre 2021, date de la prochaine audience, le tribunal compte rendre son verdict sur l’exception de prescription soulevée par l’avocat de M. Ismailla Yusofa.