Par Jacques Kinene et Marie Bahané welao (Stagiaire)
Le mardi 11 mai 2021, le Tribunal de grande instance (TGI) du Mfoundi a clos les débats dans l’affaire opposant Mme Ngangnou épouse Kemoue Vivianne enseignante dans une école primaire privée à Yaoundé à sa collègue Mme Ongbakandjaken Aimée Marie en service dans le même établissement à l’époque des faits et son coaccusé M. Minko Obam Guy Roger agent de l’Etat employé à la délégation régionale du transport du Centre. Incarcérés à la prison centrale de Yaoundé Kondengui depuis 2019, les accusés initialement renvoyés devant la justice pour répondre des faits de détournement de deniers publics et de faux et usage de faux en coaction à la suite d’une plainte déposée par Mme Kemoue Vivianne, ont été finalement jugés pour coaction de détournement des deniers publics et falsification d’une carte nationale d’identité.
Il est reproché aux deux détenus d’avoir frauduleusement obtenu le matricule au nom de la plaignante et procédé à l’ouverture d’un compte bancaire leur ayant permis de percevoir indûment le salaire mensuel de 135 000 francs et autres avantages évalués à 5 millions de francs pour un montant global de plus 11 millions de francs au détriment de Mme Kemoue Vivianne dans la période allant de 2008 à 2018. Au cours de vifs débats du 13 avril 2021, les avocats des accusés avaient demandé au collège des juges de requalifier les faits de détournement de fonds publics et faux et usage de faux en coaction en ceux de vol simple et usurpation d’une carte nationale d’identité. Le tribunal ne les a pas suivis.
Requalification ambiguë
Le 11 mai dernier, Mme Ongbakandjaken Aimée Marie et M. Minko Obam Guy Roger qui avaient plaidé non coupables pour les charges retenues à leur encontre à la précédente audience qui se tenait le 13 avril 2021, ont avoué les nouveaux faits qui leur sont reprochés. Sauf que la nouvelle qualification des faits a créé une certaine ambiguïté dans cette affaire. La preuve, les réquisitions du ministère public traduisaient amplement un embarras qui semblait désapprouver la décision du tribunal. « C’est un détournement de deniers publics et la victime dans cette affaire c’est l’Etat du Cameroun. Les accusés méritent une peine d’emprisonnement à vie », a déclaré le magistrat du parquet avant de constater que c’est un particulier qui se constitue partie civile. Or, l’argent débloqué par le ministère des Finances, indique le représentant du parquet, n’était pas encore parvenu entre les mains de la présumée victime. Il a, par ailleurs noté que la plaignante n’a jamais travaillé pour le compte de l’Etat à l’époque des faits. Il a ajouté en laissant l’impression de se contredire que l’Etat a perdu et Mme Kemoue Vivianne a aussi perdu avant de laisser à l’appréciation des juges, la demande de réparation faite par la plaignante.
Pour leur part, les avocats de la défense ont contesté la manière dont le tribunal a requalifié les faits au centre du procès. Néanmoins, ils ont plaidé pour de larges circonstances atténuantes en faveur de leurs clients qui sont des délinquants primaires et parents de nombreux enfants. «Au moment de prendre votre décision finale, soyez équitables et appliquez à ces accusés une peine de principe. Notamment, une condamnation qui correspond au temps qu’ils ont déjà passé en détention », a conclu un avocat de la défense.
Rappelons que cette affaire qui revenait le 11 mai avait connu des débats au cours desquels, Mme Ngangnou épouse Kemoue Vivianne avait donné sa version des faits. Elle avait déclaré avoir déposé son dossier d’intégration depuis 2008 au ministère de la Fonction publique. En attendant l’aboutissement de celui-ci, elle a dit être allée prêter ses services à une école privée où elle assumait les fonctions de directrice. C’est dans cette structure que sa collègue Mme Ongbakandjaken Aimée Marie a volé ses pièces d’identités pour monter un dossier parallèle qui lui a permis d’obtenir un matricule au nom de la plaignante et ouvrir un compte bancaire dans lequel ils avaient fait virer le salaire pendant 10 ans à son insu. La plaignante dit n’avoir pas connu Guy Roger Minko Obam avant le déclenchement de cette affaire.
Mme Kemoue Vivianne raconte que c’est lors du recensement physique du personnel de l’Etat qu’elle avait été informée de son recrutement depuis 2008 comme institutrice contractuelle affectée dans la région de l’Extrême nord. C’est ainsi qu’elle s’était rapprochée de la direction des ressources humaines du ministère de l’Education de Base pour plus d’amples informations. Des recherches approfondies de cette direction révèleront que depuis 2008, elle perçoit un salaire mensuel de 135 000 francs et aurait déjà perçu un rappel de salaires d’un montant de 5 millions de francs dans un compte domicilié à Afriland First Bank. Des informations que la plaignante dit avoir contesté pour n’avoir jamais été notifiée de cet acte de contractualisation.
Partage du butin
La plaignante explique, en outre, qu’une enquête interne à Afriland permettra d’établir que les sommes détournées s’élevaient à 11 millions de francs et que le dossier qui était déposé portait tous les éléments de sa filiation à l’exception de la photo qui était d’une autre femme. Elle déclare qu’il s’agissait de la photo de Mme Ongbakandjaken Aimée Marie. Interpellée, cette dernière avait reconnu les faits qui lui étaient imputées avant de dénoncer Guy Roger Minko Obam comme étant son complice.
Pour sa défense Mme Ongbakandjaken Aimée Marie qui tentait de nier le forfait ce 13 avril, a dit avoir agi à la demande d’une de ses connaissances qui occupe un poste de responsabilité au Ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative dénommée Marguerite Kouna. Selon elle, cette dernière lui aurait proposé le projet d’accepter de percevoir le salaire d’une enseignante ayant déserté son poste de service. Elle relate que ladite connaissance lui aurait révélé qu’elle s’occupait des cas pareils et que si elle avait connaissance d’autres cas, qu’elle lui en apporte. Elle souligne que c’est Marguerite Kouna qui détenait le dossier de Mme Kemoue. Elle dit n’avoir fourni que sa photo pour l’opération avant de contacter M. Minko Obam Guy Roger. Ce dernier avait été chargé de dresser une carte nationale d’identité et créer par la suite un compte dans une banque.
Poursuivant son témoignage, Mme Ongbakandjaken Aimée Marie a reconnu avoir consciemment perçu les salaires qui ne lui appartenaient pas et qui ont fait l’objet du partage entre, M. Minko, Mme Kouna, et elle-même. Elle a indiqué que chacune des personnes impliquées dans l’affaire avait perçu 1000 000 de francs.
Minko Obam Guy Roger, quant à lui, a déclaré avoir aidé Mme Ongbakandjaken Aimée Marie pour la confection d’une carte nationale d’identité ainsi que l’ouverture d’un compte bancaire. Mais, il affirme n’avoir pas pris une part active à cette affaire où il a perçu des sommes aux comptes gouttes. La décision du tribunal est attendue le 8 juin 2021, date de la prochaine audience.