Les ayants droit de feu Eboa Henri sont désormais sans domicile fixe. En tout cas, le 1er juillet dernier, la Section civile de la Cour suprême a validé les deux décisions de Justice rendues successivement par le Tribunal de grande instance (TGI) du Wouri et par la Cour d’appel du Littoral ordonnant leur déguerpissement de gré ou de force du site abritant leur maison familiale à Douala, ainsi que leurs biens ou les occupants de leur fait.
La haute juridiction a rejeté leur recours au motif que leur mémoire accompagnant leur pourvoi ne démontre pas comment les juges de fonds auraient mal appliqué la loi ou apprécié les faits dans leurs décisions. Les Eboa perdent à nouveau un autre pan du litige foncier qui les oppose depuis plusieurs années à l’homme d’affaires Moulongo Oscar.
Les tensions entre les parties trouvent leur source suite à un arrêté signé du ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (Mindcaf) le 7 décembre 2007, portant retrait du titre foncier N° 8863/Wouri. Ce titre foncier délivré à feu Eboa Henri le 15 septembre 1979, couvrait jusque-là un terrain d’une superficie de 165 mètres carrés situé à Douala.
Sommation
Feu Eboa avait en effet acheté la parcelle de terre querellée auprès de David Dia Mbengue qui disposait d’un terrain d’une superficie totale de 1061 mètres carrés couvert par le titre foncier N° 1241/Wouri. Et avait bénéficié du morcellement dudit titre foncier le 15 septembre 1979. Il se trouve qu’au moment où la vente en question est conclue, le terrain de M. Dia Mbengue faisait l’objet d’un bail à longue durée (emphytéotique) conclu deux ans plus tôt, le 17 novembre 1977, au profit de Maurice Diwoutha Loth.
Le 23 septembre 1999, après le décès de M. Dia Mbengue, ses deux fils avaient procédé à la mutation du titre foncier N° 1241/Wouri en leurs noms. Deux ans plus tard, les Dia Mbengue vendaient 800 mètres carrés à M. Moulongo Oscar, qui devenait de fait le propriétaire du titre foncier N° 1241/Wouri.
En décembre 2007, M. Moulongo a fait servir à la famille Eboa Henri une sommation en déguerpissement. L’homme d’affaires signalait à ses adversaires qu’ils occupent une partie de sa propriété sans droit ni titre. Face à l’opposition des Eboa, M. Moulongo portait l’affaire devant le TGI du Wouri sollicitant l’expulsion de ses adversaires sous astreinte (pénalité) de 500 mille francs par jours de retard. Les Eboa soutiennent que c’est à cette occasion qu’ils ont découvert le retrait de leur titre foncier. Une décision qu’ils ont aussitôt attaquée devant le juge administratif [Kalara N° 142 du 4 avril 2016].
Pour retirer le titre foncier des Eboa, le ministre des Domaines a prétendu s’être appuyé sur les conclusions d’un rapport monté par le conservateur foncier du Wouri. Dans ledit rapport, il est indiqué que la procédure d’établissement du titre foncier N° 8863/Wouri au profit de Henri Eboa est entachée d’irrégularités, car au moment des faits, le terrain cédé par David Dia Mbengue au concerné «était rendu indisponible» à cause du bail emphytéotique déjà mentionné. Autrement dit, la parcelle de terre ne méritait pas d’être cédée. De plus, la procédure de morcellement du titre foncier dont a bénéficié feu Eboa ne figure ni dans le livre foncier du département du Wouri, ni dans le duplicatum (copie) du titre foncier de David Dia Mbengue.
Devant la Chambre administrative le 30 mars 2016, Me Jacques Matanda, l’avocat des Eboa, avait balayé d’un revers de la main l’argumentaire du Mindcaf. Expliquant que ses clients ont toujours occupé le site litigieux de manière paisible depuis qu’ils l’ont acquis. Il indiquait que c’est à la demande de M. Moulongo Oscar que le conservateur foncier du Wouri a dressé le rapport a base duquel le Mindcaf a fondé son arrêté, un rapport qualifié de «complaisant».
Document falsifié
Le 23 juillet 2014, les Eboa avaient commis un huissier de Justice afin de procéder à des vérifications sur le livre foncier du département du Wouri. Dans son exploit dressé à cette occasion, indiquait l’avocat, l’huissier de Justice avait constaté que les mentions de la transaction effectuée entre feus Eboa Henri et David Dia Mbengue «ont été arrachées du livre foncier et remplacées par de nouvelles mentions dont les caractéristiques n’ont rien à voir avec les autres documents établis en 1979». Me Matanda pointait un doigt accusateur sur l’adversaire de ses clients. «Moulongo Oscar et certains préposés véreux de l’administration des Domaines, estimait-il, ont pu détériorer, mieux falsifier et surcharger les mentions initialement portées» sur le bordereau analytique, le document qui retrace les différentes étapes qui retracent l’établissement d’un titre foncier. L’avocat signalait qu’une procédure pour faux est ouverte au pénal contre les personnes indexées. Mais la Chambre administrative avait finalement rejeté le recours des Eboa formé contre l’arrêté du Mindcaf retirant leur titre foncier.
La Section civile de la Chambre judiciaire vient à son tour de validé le déguerpissement des Eboa dans le site à problème. L’arrêt de la Cour d’appel du Littoral avait néanmoins condamné M. Moulongo Oscar à leur verser une indemnité de 9 millions de francs, un montant correspondant aux réalisations effectuées par les concernées sur le site disputé.