Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
C’est peut-être le 15 avril prochain que les 17 accusés de l’affaire Martinez Zogo auront la possibilité de répondre à la question rituelle des juges chargé de l’examen de leur dossier, pour dire s’ils plaident coupable ou non coupable des faits qui leurs sont reprochés au sujet de la mort atroce de l’homme des médias. Ce sera donc, le cas échant, le début proprement dit des débats dans le procès qui les concerne. En effet, bien que la première audience de leur affaire se soit tenue le 25 mars 2024 pendant 3 longues heures dans la magnifique salle du Tribunal militaire de Yaoundé (TMY), qui a fait sa toilette des grands jours à l’occasion, aucun des mis en cause n’a eu véritablement l’occasion de s’exprimer. Presque tous se sont contentés de répondre simplement «présent» à l’appel de leur nom par le président du tribunal, excepté le sergent Godje Oumarou, orphelin de son avocat absent, qui a pu indiquer en quelques mots que ce dernier annoncera lui-même sa constitution le moment venu.
En fait, le commissaire divisionnaire Léopold Maxime Eko Eko, l’homme d’affaires Jean Pierre Amougou Bélinga et les 15 autres, qui brûlent peut-être d’envie de défendre rapidement leur cause, ont été réduits au rôle d’observateurs de leurs avocats respectifs lors de leur première comparution dans la phase de jugement public de leur affaire. Et pour cause : à peine l’appel des parties achevé tout comme l’enregistrement de leurs conseils, le collège des juges s’est trouvé obligé d’écouter les observations et doléances des avocats au sujet notamment de l’organisation pratique du procès. Le nombre relativement élevé des mis en cause, 17, et le fait que les ayants-droit de Martinez Zogo et l’Etat du Cameroun, enregistrés au rang des parties-civiles, soient associés pour la première fois au dossier, n’ont pas été étrangers aux nombreuses prises de parole qu’on a observées, du fait aussi des 35 avocats enregistrés dont 8 pour l’ancien patron de la Dgre…
Parties-civiles contestées
De longues heures avant 10h48, au moment où l’audience a effectivement démarré avec l’entrée en salle du colonel-magistrat Misse Njone Jacques, président du TMY, assisté de M. Fentchou Tabopda Gabriel, juge au TPI de Yaoundé – Ekounou, et de Mme Happi Tiani Solange Sandrine épouse Ngouongue, en service aux tribunaux de grande et petite instances de Mfou, tous des juges attitrés de la juridiction, les observateurs avaient déjà pressenti que des réglages seraient nécessaires avant l’ouverture des débats. En effet, bien que des dispositions aient été prises pour sonoriser la scène du procès et prévenir quelque désordre, à la façon militaire, au regard de l’affluence des spectateurs, les avocats constitués pour la défense des intérêts de la famille de M. Zogo ont longuement parlementé pour trouver leur juste place dans la salle. Chose curieuse : le greffe de la juridiction les voyait partout, sauf à proximité du banc réservé au commissaire du gouvernement où ils sont installés d’ordinaire au regard des usages judiciaires.
Cette méprise n’est pas passée inaperçue, tout comme le silence du rôle de l’audience sur les parties-civiles dans le procès, situation que le président du tribunal a relevée d’emblée à l’attention du commissaire du gouvernement, le lieutenant-colonel Cerlin Belinga. Mais ce dernier, assisté de trois substituts au total (Mme Ngwang Claudine, M. Tchatieu Kameni et le capitaine Ze Ekotto Freddy), s’en est expliqué plus tard, exprimant son embarras notamment devant la multitude des groupes qui se présentent devant lui comme des ayants-droit de Martinez Zogo (lire par ailleurs). Mais, c’est une situation qui a donné lieu à de vives protestations des avocats, Me Joseph Kenmoe, conseil de l’une des épouses de Martinez Zogo, regrettant que certains essaient de les «faire-passer pour des imposteurs» et Me Calvin Job, conseil d’une autre épouse, déclarant qu’il n’a «jamais vu ailleurs un tel traitement des parties civiles».
La grosse hypothèque à l’ouverture immédiate des débats a sans doute résulté des revendications quasi-unanimes de tous les avocats au sujet de l’égalité (rompue) des armes entre les parties. En fait, les tomes volumineux du dossier de l’affaire, visibles sur la table du commissaire du gouvernement, contrastaient avec la maigreur des chemises tenues par la plupart des conseils, qui ont successivement pris la parole pour demander qu’ils soient autorisés, à leurs frais, à obtenir une copie complète des pièces du dossier pour être à la même page que le ministère public avant le combat. Certains avocats ont d’ailleurs présenté, séance tenante, une demande écrite dans ce sens et d’autres ont rappelé avoir déjà pris, en vain jusque-là, des initiatives analogues avant la date du procès. Des assurances ont été données par le parquet, que les attentes des avocats seraient honorées dans le respect des dispositions légales en rapport avec la consultation du dossier ou l’obtention des copies des pièces.
17 témoins pour JPAB
Plusieurs avocats ont explicitement sollicité que l’ouverture des débats soit ajournée au regard de l’impossibilité pour eux de respecter le délai prévu par la procédure pénale, soit cinq jour avant cette ouverture, pour la présentation de la liste des témoins de leurs clients. Le collège des quatre avocats de M. Amougou Bélinga, par la voix du bâtonnier Charles Tchoungang, avait déjà mis subtilement la pression sur les autres parties, en déclarant avoir fait déjà mis à la disposition de tous les acteurs une liste de 17 témoins. Les «retardataires», particulièrement les parties civiles qui ont dit avoir été écartées de l’instruction de l’affaire et les avocats qui n’ont été constitué que depuis le renvoi en jugement de leurs clients, ont évoqué soit la difficulté d’accéder au dossier, soit leur arrivée tardive dans la procédure, pour dire qu’il était nécessaire de prendre connaissance des pièces du dossier pour être en mesure d’identifier efficacement des témoins pour leurs clients.
De nombreuses autres demandes ont été formulées par les avocats pour lesquelles le commissaire du gouvernement entend répondre le moment venu, sans doute le temps pour lui d’obtenir la non-objection de sa hiérarchie, donc du ministre de la Défense. Il en est ainsi de la suggestion faite par la défense de M. Amougou Belinga d’avoir la possibilité de faire usage du matériel électronique (écran, vidéoprojecteur et autres) pour les besoins du procès et de la demande controversée d’un huis-clos partiel pour les débats formulée par l’avocat de l’accusé principal de l’affaire, le lieutenant-colonel Danwé. Pour le reste, la suggestion d’organiser le procès en session, c’est-à-dire avec la possibilité de tenir des audiences en plusieurs jours d’affilés pour la célérité des débats et compte tenu de ce que plusieurs avocats ne résident pas au Cameroun, voire à Yaoundé, ne semblent pas posés de véritables difficultés.
Me Jean Pierre Buyle, avocat au barreau de Bruxelles et ancien bâtonnier, qui a formulé la demande que son client, M. Eko Eko comparaisse libre par application de l’ordonnance de main levée d’office de son mandat d’incarcération qui avait été prise le 1er décembre 2023 par le lieutenant-colonel Sikati II Kamwo, à l’époque juge d’instruction du dossier, s’est heurté à l’opposition des avocats de certains ayants-droit de Martinez Zogo et du commissaire du gouvernement. L’avocat Belge avait du reste demandé qu’une audience spéciale soit programmée pour discuter des demandes de mise en liberté. M. Cerlin Belinga, reprenant une rengaine conforme à l’intrusion du ministre de la Défense dans le dossier a déclaré que l’ordonnance dont se prévalait l’avant de l’ancien Dgre est un faux, qui n’existe pas dans le dossier. Il n’est pas sûr que cette demande, pour laquelle la défense de M. Amougou Bélinga est restée curieusement muette, soit définitivement enterrée. Le collège des juges entend y répondre, ainsi qu’à toutes les autres observations et sollicitations des avocats le 15 avril 2024. Ce sera peut-être l’occasion pour les 17 accusés de se faire véritablement entendre.
Deux veuves pour Martinez Zogo
Ce qu’on avait subodoré au lendemain du décès de l’homme des médias, avec des divergences au sein de sa famille à l’occasion d’une tentative d’organisation de ses obsèques, emble se confirmer lorsque deux collèges d’avocats distincts se déclarent au tribunal pour défendre les intérêts des ayants-droit de Martinez Zogo. Le premier collège est composé par Me Job Calvin et Me Zeifman, des barreaux du Cameroun et de Paris. Il se constitue pour les intérêts de la compagne officielle du défunt, Mme Arlette Diane Zogo, ses enfants et certains parents. Le second collège, qui se compose de Me Joseph Kemwoe et de Me Manyim Jean-Pierre, avocats au barreau du Cameroun, qui défend les intérêts de cinq personnes au total dont Mme Zogo née Ndzié Dorothée Marie, mariée à l’état-civil sous le régime de la monogamie et des biens communs avec l’animateur radio, et les enfants du couple Zogo-Ndzié. Il apparaît donc que M. Zogo était polygame…
A peine l’annonce des constitutions des avocats pour les parties au procès est-elle achevée que Me Singha Jean-Paul, conseil de M. Eko Eko, fait observer aux juges que «les parties civiles n’ont pas déclaré leurs qualités par rapport aux procès». Il estime que ce qui a été dit n’est pas suffisant. Le bâtonnier Tchoungang va lui emboîter le pas en jetant un doute sur les qualités de certains des ayants-droits déclarés. Parlant des actes de mariage et actes de naissance déposés par les conseils des concernés, il estime que «ce sont des faux apparents établis à la mairie d’Ebebda». Le vieil avocat en veut pour preuve le fait que, sur ces actes, l’appellation Martinez Zogo est écrite soit comme époux, soit comme père. Or, pour lui, le défunt qui avait pour nom d’artiste Martinez Zogo, s’appelle plutôt Mbani Zogo Arsène Salomon. C’est une intervention qui va piquer au vif les collèges d’avocats constitués séparément pour les mis en cause.
Me Ziefman estime que le problème que ses contradicteurs interviennent de façon prématurée, les débats n’étant pas encore ouverts et les qualités des parties civiles devant être clarifiées lorsque les ayants-droit feront la demande au tribunal d’être reçues comme parties civiles. Puis, elle rappelle que «les actes d’état-civil sont vrais jusqu’à inscription de faux». Or, dit-elle, le tribunal n’as pas reçu une contestation de la validité des actes auxquelles Me Tchoungang a fait référence. Elle dit aux juges qu’ils ne sont pas compétents pour connaître de la validité des actes d’état civil. Me Joseph Kemwoe va, pour sa part, déplorer que certains prennent la parole «juste pour railler le défunt». «Il existe un certificat d’individualité», ajoute-t-il, qui montre que Zogo Martinez et Mbani Zogo sont la même personne. Il va d’ailleurs donner lecture du contenu de la carte nationale d’identité du défunt, établie le 3 mai 2015, dans laquelle il s’appelle Martinez Zogo.
Dans une autre série de prises de parole, Me Zeifman et Me Job vont dire que le débat soulevé est réglé par l’ordonnance de renvoi. Dans ce document qui est en fait le rapport de l’enquête judiciaire, il est écrit, s’agissant du défunt, qu’il s’appelle «Mbani Zogo Arsène Salomon dit Martinez Zogo». Et que cette ordonnance comporte dans toutes ses pages le nom de Martinez Zogo. Pour autant, le commissaire du gouvernement va dire sa difficulté à se prononcer sur les parties civiles compte tenu de tout ce qui a été évoqué. Cela justifie, dit-il, pourquoi il a eu du mal à prendre en compte les constitutions de parties civiles annoncées au cours de l’instruction et à indiquer lesdites parties dans le rôle de l’affaire, tel que relevé par le président du tribunal dès le début de l’audience. On attendra donc que le tribunal se prononce sur ce problème lors de la prochaine audience pour clore le débat.
La Dgre lâche-t-elle ses hommes ?
Dans la phase d’enregistrement des constitutions des avocats pour les parties, Me Assira Engoute Claude Bernard a été le dernier à prendre la parole. Sa place dans l’espace réservé aux conseils des parties civiles avait déjà quelque chose d’intrigant pour ce citoyen connu pour ses positions iconoclastes, et qu’on a surtout remarqué par le passé dans son office au profit des personnes en conflit avec l’Etat, notamment en matière de détournement des deniers publics. Et alors que tous ses prédécesseurs ont sacrifié à l’exercice en délivrant au tribunal une lettre de constitution en bonne et due forme, l’avocat a simplement dit aux juges qu’il annonçait «oralement» sa constitution pour le compte de l’Etat, avec à ses côtés son confrère Me Whyly Nikefack. Il a évoqué les articles 13 et 5 du code de justice militaire et 385 du code de procédure pénale pour justifier sa constitution. Selon l’article 385(1) dudit code, «toute personne qui prétend avoir subi un préjudice du fait d’une infraction peut se constituer partie civile à l’audience, par conclusions écrites ou déclarations orales».
Me Jacques Mbuny, avocat du lieutenant-colonel Justin Danwé, s’est en effet interrogé sur la façon dont son confrère venait d’annoncer sa constitution. «On sait qu’il y a un préalable pour la constitution des conseils de l’Etat et ce préalable n’est pas encore rempli ici», a dit Me Mbuny, invitant aussitôt le tribunal à «mettre entre parenthèses la constitution de Me Assira». Et Me Charles Tchoungang a soulevé une autre préoccupation par rapport à cette constitution : «Qui agit pour le compte de l’Etat du Cameroun ? Le ministre de la Défense ? La Dgre ? La présidence de la République ?», s’est-il interrogé. En même temps qu’il a salué cette constitution responsable «comme civilement responsable», il a fait observer que certains mis en cause sont devant la justice «dans le cadre de leurs fonctions» et s’est demandé si l’Etat ne fuyait pas ses responsabilités en constituant avocat. Sur ce point, le vieil avocat a dit attendre des «précisions nécessaires» pour affiner la stratégie de défense de son client.
Pour Me Pepouere qui est intervenu dans ce débat à la suite, «la présence de l’Etat dans la procédure en cours est impérative. Il faudrait savoir qui paiera la note», a-t-il ajouté, en demandant quand même que l’identité de l’institution qui parle au nom de l’Etat soit clarifiée. Me Joseph Kenmoe, l’avocat de l’une des veuves de Martinez Zogo et de ses enfants a pour sa part demandé au tribunal de «citer formellement l’Etat comme civilement responsable dans cette procédure», en précisant que «l’Etat qui est mis en cause dans la procédure».
En reprenant la parole pour réagir aux observations de ses confrères, Me Assira Engouté a déclaré qu’il trouvait «indécent et cynique que certains viennent à contester les constitutions des parties civiles». Se désolant, sans le citer, que Me Mbuny n’ait pas indiqué comment se fait la constitution d’avocat pour le compte de l’Etat, il a insisté pour dire que le code de procédure pénale est l’élément qui décrit comment les choses se font. L’avocat de l’Etat ajoute en plus, à l’attention de Me Tchoungang, que «l’Etat est la seule personne morale qu’on puisse connaître», puisque, précise-t-il pour montrer qu’il est superflu d’exiger plus de précision sur qui il représente, «la seule entité qui a une personnalité, c’est l’Etat du Cameroun et lui seul», et non ses différents démembrements cités.
L’avocat et enseignant de procédure pénale à l’Université catholique d’Afrique centrale va ensuite vigoureusement contester le propos de l’ancien bâtonnier qui a dit attendre les précisions dur l’entité de l’Etat qui a constitué avocat pour affiner sa stratégie de défense de son client. «Il n’y a pas de stratégie», dit Me Assira, en précisant qu’on «est là pour la manifestation de la vérité. Et elle doit être la même qu’importe le nom qu’on donne à l’Etat.» Cette prise de parole va presque révolter Me Mbuny, qui arrache quasiment le micro pour réagir : «Me Assira ne peut pas venir dire ici, comme s’il parlait aux étudiants, que je me constitue pour l’Etat du Cameroun sans aucun document. Lorsque vous défendez l’Etat du Cameroun, vous devez avoir un mandat». Pour étouffer rapidement l’incendie qui prend, le président du tribunal va donner lecture de la lettre du patron de la Dgre, datée du 15 mars 2054 et classée dans le dossier, par laquelle Me Assira et Me Whyly Nikefack sont constitués.
Le débat, dès ce moment, est moins celui de la régularité de la constitution des avocats de l’Etat (ou de la Dgre) que celui des conséquences d’une telle décision. «La Dgre abandonne ses anciens employés et s’octroie le statut de victime», commente Me Tchoungang. «Vous devez analyser cette situation : quelle est le statut des avocats de la Dgre dans ce dossier ?», s’interroge encore l’ancien bâtonnier dans une forme d’insistance qui traduit à la fois une forme de surprise et de contestation de la situation par l’avocat de M. Amougou Bélinga. Me Mbuny, dans le même esprit, se réjouira de la clarification pour laisser supposer que son client, le lieutenant-colonel Justin Danwé, ne se privera pas de servir au public des secrets d’Etat (lire par ailleurs), encouragé par le positionnement de la Dgre et de l’Etat, qui entendent laver par le procès en cours leur image ternie par l’affaire Martinez Zogo.
Retransmission médiatique des débats ou huis-clos ?
Avant même l’ouverture de l’audience de l’affaire Martinez Zogo, le tribunal militaire a pris des dispositions pour une meilleure sonorisation de la salle d’audience de nature à favoriser un bon suivi des débats pour les personnes présentes. Cette précaution ne semble pas suffisante pour le bâtonnier Tchoungang, ce dernier ayant du reste déjà dévoilé depuis quelques jours la volonté de son client d’obtenir que les débats tout au long du procès soient retransmis à la radio et à la télévision pour assurer leur totale transparence et prévenir ainsi ce que les proches de l’homme d’affaires considèrent comme un acharnement du juge d’instruction à son égard. Au cours de ses observations préalables à l’ouverture des débats, le vieil avocat expose cette demande.
«Compte-tenu de l’implication extraordinaire des médias et du public (dans l’affaire Martinez Zogo), dit l’ancien bâtonnier au tribunal, nous sollicitons qu’un ou deux chaines nationales soient autorisées à diffuser ce procès. Nous voulons que la vérité apparaisse au grand jour.» Il ajoute qu’à défaut pour les juges d’ordonner cette mesure, «pour l’histoire et pour la vérité de la justice», il sollicite l’enregistrement des débats «quitte à le soumettre à un embargo de dix ans par exemple». Pour lui, le procès qui s’ouvre n’est pas en mesure de démontrer ce qui s’est concrètement passé le 17 janvier 2023, jour de l’enlèvement, voire de la mort de M. Zogo. Me Ofomo Toueli Justin, l’un des conseils de M. Eko Eko, ne tarde pas à emboiter le pas à Me Tchoungang : «le procès retransmis va accroître le caractère public des débats», dit-il.
Me Mbuny, l’avocat du lieutenant-colonel Justin Danwé a un autre son de cloche : «Il est dangereux que ce procès soit totalement public», affirme-t-il, après avoir rappelé qu’au cours des travaux de la commission mixte police-gendarmerie, son client «ne pouvait pas dire certaines choses». «Est-ce que nous pouvons nous délier de toute réserve, même des secrets d’Etat ?». Pour lui, cela relève de l’impossible. Il demande au tribunal de s’appuyer sur l’article 302 alinéa 2 du code de procédure pénale pour que les juges décident par jugement avant dire droit qu’il y ait une frange des débats, lorsqu’il sera question de parler du fonctionnement de la Dgre, «que cela soit fait à huis-clos», propose cet avocat.
Me Seri Simplice Zokou, autre avocat de M. Eko Eko, inscrit au barreau de Buxelles, estime que la demande de Me Mbuny ne peut pas être une mesure de principe qui se prend à priori, tant que le tribunal n’a pas constaté par lui-même que les débats troublent à l’ordre public. Le principe, rappelle-t-il, c’est la publicité des débats. «Il ne faut pas céder à une forme de chantage. Il n’y a plus de secret à l’endroit de la Dgre», poursuit le juriste, rappelant que le dossier est dans la presse et dans les réseaux sociaux. «Je ne vois pas quel péril on voudrait faire éviter à ce service et à ce pays aujourd’hui», insiste-t-il. Et pour clore sa prise de parole, Me Zokou va rappeler aux juges que son client, Eko Eko, «n’a jamais dérogé à son obligation de réserve». Il est resté «digne» depuis les enquêtes, dit-il, pour suggérer que ce n’est pas de lui qu’on pourrait attendre des déclarations tonitruantes.
Sur le banc de la partie civile, l’idée d’un huis clos des débats ne passe pas. Ni pour Me Job, qui défend les intérêts de certains ayants-droit supposés de Martinez Zogo et qui est d’accord avec la proposition faite par Charles Tchoungang, encore moins pour Me Assira qui décide de mettre les pieds dans le plat par rapport à la question débattue. «Si vous restreignez la publicité des débats, dit-il aux juges, vous allez donner la possibilité aux seuls qui ont accès aux réseaux sociaux de diffuser leur vérité. Je suis étonné qu’on évoque des secrets d’Etat. C’est l’Etat qui doit lui-même se protéger. Nous demandons que vous ne restreigniez en aucune des façons les débats». Rappelant qu’une bonne partie des accusés sont des agents de l’Etat qui sont détenteurs, de ce fait, d’un mandat de ce dernier, il dit que «si un mandat de l’Etat a été mal utilisé, il va falloir que cela se sache. Le peuple a le droit de savoir ce qui s’est fait».
Après cette sortie, Me Mbuny, partisan du huis-clos au départ, est obligé d’abandonner. Il retire sa demande, constatant qu’il s’est fait plus royaliste que le roi et laissant-croire que son client ne manquera pas de se glisser dans la brèche ouverte. Le public ne boude pas son plaisir.