Depuis 25 ans, Safca, la Société de fabrication de cahiers, est à la recherche de 72 rouleaux de papiers. Filiale du groupe Fotso Victor, elle poursuivait cinq entreprises afin d’obtenir réparation suite à la disparition d’une partie d’une commande de papiers qu’elle a passée en 1995. La Section civile de la Cour suprême l’a désavouée en confirmant l’arrêt rendu par la Cour d’appel du Littoral blanchissant tous ses adversaires. Safca est sanctionnée pour des irrégularités décelées dans son mémoire.
L’affaire commence en 1995. Safca était cette année-là destinataire de 424 rouleaux de papier en provenance d’un pays européen, et convoyés par Matrama, entreprise française spécialisée dans le transport maritime. La marchandise était chargée dans le navire H/S Hudsongracht. Mais sur les 424 rouleaux de papier attendus, 72 manquaient à la livraison à Safca le 25 mai 1995.
Pour matérialiser le déficit en question, Matrama avait délivré à Safca un certificat provisoire de non livraison. Parce que l’importation des biens litigieux était assurée, Safca s’était aussitôt tournée vers son assureur pour solliciter le paiement de 67,5 millions de francs de dommages et intérêts estimant que le montant équivaut à la marchandise non livrée. L’assureur avait conditionné le paiement par la présentation d’un certificat définitif de non livraison de la marchandise à problème. Un document que Safca dit n’avoir jamais pu obtenir auprès de Matrama après plusieurs mois, «pour des raisons non valables, ni légitimes», indique-t-elle.
Absence de contrat
Le 18 avril 1996, Safca décidait de lancer les hostilités en portant l’affaire devant le juge civil du Tribunal de grande instance (TGI) du Wouri au motif que la non délivrance du document évoqué l’a empêché d’obtenir un dédommagement de la perte d’une partie de sa marchandise auprès de son assureur. Une abstention qui lui a causé un important préjudice. Sa plainte (assignation) s’arc-boutait sur deux dispositions du Code civil. D’abord l’article 1382 qui dispose : «Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer». Ensuite l’article 1384 qui précise qu’«On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou de chose que l’on a sous sa garde».
Outre Matrama, la plainte en question visait également tous ceux qui ont eu à intervenir dans la procédure de livraison des rouleaux de papier querellés, notamment le commandant du navire H/S Hudsongracht, l’armement Spliethoff’s Transport BV, ainsi que le manutentionnaire et le transitaire Socamac et Transimar. La plaignante sollicitait que ses adversaires soient condamnés à lui payer 67,5 millions de francs de dommages et intérêt.
Le 7 avril 1998, le TGI du Wouri a rendu son verdict en mettant hors de cause le commandant du navire H/S Hudsongracht et les entreprises Socamac et Transimar. En revanche, les autres mis en cause dans la procédure étaient condamnés à payer à Safca des dommages et intérêts pour la disparition décriée, augmentées d’«intérêts de droit à compter de la demande en Justice». L’affaire avait atterri à la Cour d’appel du Littoral suite au recours en contestation de la décision par Matrama.
Le 18 mars 2016, la Cour d’appel du Littoral a entièrement infirmé le jugement attaqué en mettant hors de cause Matrama et l’armement Spliethoff’s. En motivant son arrêt, la cour a trouvé que c’est à tort que le premier juge a condamné Matrama qualifiée de «simple agent maritime». Et précisait qu’en absence d’un contrat liant Safca à Matrama, aucune faute susceptible d’indemnisation ne peut être mise à la charge de l’entreprise française. Safca a à son tour attaqué l’arrêt devant la Cour suprême au motif que cette décision est viciée tant sur le fond que sur la forme.
Dénaturation des faits
S’agissant des griefs sur le fond, Safca trouve que les juges d’appel ont dénaturé les faits de la procédure en évoquant l’absence de lien contractuel. Or, précise-t-elle, «il n’a jamais été reproché à Matrama un quelconque manquement contractuel», mais plutôt, d’avoir commis une faute préjudiciable en s’abstenant d’établir un certificat définitif de non livraison. Mieux, Matrama elle-même, dit Safca, a reconnu sa responsabilité dans la commission du forfait décrié en délivrant un certificat provisoire de non livraison. Concernant la forme, la plaignante estime que l’arrêt est rempli de contradictions dans ses motivations. Et surtout, l’arrêt a omis de reproduire son assignation dans son intégralité, conformément à l’article 39 du Code de procédure civile.
Tous ces arguments, et bien d’autres, n’ont compté que pour du beurre. Le haut magistrat qui a procédé à l’analyse préalable du dossier pour le compte de la cour a fait remarquer que Safca n’avait pas entièrement cité les dispositions des lois prétendument violées par les juges d’appel. Au bout du compte, la cour a validé l’arrêt attaqué avec ses supposés vices. Débuté il y a un quart de siècle, Safca a finalement perdu le procès de ses 72 rouleaux de papier quasiment sur tapis vert.