Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Pierre Désiré Engo, 80 ans, est désormais au centre de la plus vielle affaire pendante devant le Tribunal criminel spécial. Ce vendredi, 29 juillet 2021, l’ex-directeur général (DG) de la Caisse nationale de Prévoyance sociale (Cnps) doit en principe honorer un énième rendez-vous au sujet de l’affaire du détournement imaginaire de la somme de 25 milliards de francs.
Ce déplacement pourrait être encore inutile. Comme lors de ses précédentes comparutions, les débats ont souvent tourné autour d’une demande de renvoi formulée par le ministère public avec une phrase devenue rituelle. «Nous restons dans l’attente des résultats de l’exécution de la commission rogatoire adressée aux autorités judiciaires françaises, raison pour laquelle le parquet demande un renvoi de six mois en espérant qu’à cette date cet ADD sera entièrement exécuté», va sobrement déclarer le représentant parquet général dès que la parole lui sera donnée. Une déclaration que Me Bayebec Alexis, l’avocat de l’ancien DG a chaque fois qualifiée de véritable comédie.
En fait, le 7 mai 2014, le tribunal avait ordonné une mesure d’enquête supplémentaire en décidant de lancer une commission rogatoire internationale dont le but était d’apporter une plus grande lumière sur les faits reprochés au vieil homme. Le rapport de cette prétendue commission est encore attendu.
Dans cette procédure, la Cnps ne s’est jamais plaint d’un quelconque détournement. Elle considère que cette procédure ne constitue qu’une perte de temps, ne se fait pas représenter aux audiences. Bien qu’il ne soit plus en détention depuis 2014, M. Engo est donc un otage judiciaire.
Le 18 juin 2020, M. Engo n’a pas hésité à prendre la parole pour s’insurger devant ce qui lui arrive (lire ci-dessous). Son avocat s’est aussi indigné du traitement infligé à son client. «Vous constatez avec moi que le ministère public vous prend en otage ; il prend en otage les auxiliaires de justice que nous sommes et l’accusé qui a toujours été présent à l’audience comme quelqu’un qui a soif de justice. Le ministère public devrait être à égalité avec la partie d’en face ; ça ne me semble pas être le cas. Si une demande de renvoi justifiée ou injustifiée avait été présentée par un justiciable depuis six ans, est-ce que le tribunal aurait continué à le lui accorder ?»
«Je dis que ce procès invraisemblable a trop duré»
«Monsieur le Président,
Honorables membres de la collégialité,
Le 15 février 2005, un énième mandat de dépôt avait été décerné à votre très humble serviteur, pour un présumé détournement de la somme astronomique de 25 milliards de francs CFA.
A ce jour, cela fait exactement quinze (15) ans, quatre (4) mois et trois jours, que ce procès inédit traine devant les tribunaux. D’abord devant le TGI de Yaoundé, puis devant le TCS où nous évoluons apparemment vers un vingt-sixième renvoi !
Dans l’intervalle, l’Etat a eu à lancer des enquêtes tous azimuts. Comme rien ne se cache de nos jours, les réseaux sociaux ont révélé qu’une somme de 500 mille euros, soit 325 millions de francs CFA, avait d’abord été débloquée pour permettre à certains avocats, triés sur le volet, «d’entamer les recherches». Loin de se contenter de si peu, les intéressés auraient ensuite réussi à se faire octroyer un pactole de 2.292 millions de francs, pour accomplir leur basse besogne. La SNH en aurait fait les frais. Elle s’en mord encore les doigts.
Bien plus, par la résolution N° 1397/2005 du 22 juillet 2009, le Comité International des droits de l’Homme, avait expressément demandé à l’Etat du Cameroun de me rendre la liberté dans les 180 jours. Cette recommandation a superbement été ignorée par le gouvernement de la République, alléguant, «s’agissant du cas particulier de M. Engo, de l’absence de mécanismes précis de réception des décisions des organes des traités dans l’ordre interne» !
Je viens de citer, à l’instant, les termes exacts d’une lettre du Ministre d’Etat chargé de la Justice. La correspondance est datée du 17 septembre 2012. Le vénérable membre du gouvernement y rendait compte, à qui de droit, des avancées positives, en faveur d’autres Camerounais, de la mise en œuvre des décisions «des organes des traités», sous l’égide du Comité de suivi des décisions et/ou recommandations des mécanismes régionaux et internationaux des Droits de l’Homme. Ce Comité, dois-je le rappeler, siège régulièrement dans les services de M. le Premier ministre. Les honorables membres du TCS apprécieront, sans doute, la portée de la discrimination instituée en l’occurrence !
Pendant ce temps, mon nom est trainé dans la boue. Mon honneur et ma dignité sont bafoués. Je ne parle pas de l’interdiction de sortie du Cameroun, qui a récemment été levée par votre Tribunal, à qui je renouvelle ma reconnaissance. Je ne parle pas non plus de toutes les tribulations que j’ai dû endurer au plan personnel. J’ajoute que ma famille est disloquée, jetée aux orties, exposée aux pires souffrances depuis plus d’une vingtaine d’années».