Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
C’est à un autre épisode de la bataille judiciaire qui oppose Patrice Tsimi Enyegue à l’avocate Sandrine Soppo que le public a eu droit devant le Tribunal administratif (TA) de Yaoundé le 13 avril 2021. C’était à l’occasion de l’examen du recours en annulation d’une lettre du secrétaire général du ministère de la Justice signée par ordre de Laurent Esso, le Garde des Sceaux. La lettre en question, datée du 23 septembre 2013, portait «convention N° 09260», était adressée à Maître Sandrine Soppo. La lettre informe cette dernière de sa constitution pour la défense de l’Etat du Cameroun dans le procès qui opposait alors le Port autonome de Douala (PAD) à M. Tsimi Enyegue devant le Tribunal criminel spécial (TCS).Tsimi Enyegue estime que cette décision du ministre de la Justice est «d’une extrême gravité en ce qu’elle constitue un grave conflit d’intérêt», car «non seulement injustifiée», «mais a été conclue en violation flagrante de la réglementation». Selon lui, «un acte administratif signé du ministre de la Justice a rendu inéquitable le déroulement du procès qui m’opposait au PAD, et ce au bénéfice de ce denier». Il sollicitait donc l’annulation de la «convention» contestée pour abus de pouvoir. Il a perdu la partie sur tapie vert.
En fait, le tribunal s’est déclaré incompétent à statuer au prétexte que, selon la loi du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs, ces juridictions «ne connaissent pas des litiges concernant les contrats conclus même implicitement sous l’empire du droit privé». «La constitution de Me Sandrine Soppo comme conseil de l’Etat dans l’affaire susvisée est un acte sous seing privée». C’est un argument que le représentant du ministère de la Justice avait développé dans son mémoire. Le parquet aussi.
Dayas Mounoume
Dans ce litige, Me Soppo avait été constituée par le ministère de la Justice dans une procédure assez bizarre alors pendante devant le TCS. Sur la base d’une dénonciation de Me Samnick Blanchard disant agir au nom d’une société dénommée White Nile Corporation (WNC), un opérateur économique, Patrice Tsimi, et certains cadres du Port autonome de Douala (PAD), dont un ancien Directeur général, Dayas Mounoume, et son adjoint, M. Essomba, s’étaient retrouvés sur le banc des accusés pour répondre d’un supposé détournement de 435 millions de francs. Me Samnick prétendait en fait que cet argent, légalement dû par le PAD sur la base d’une condamnation judiciaire, avait été payé entre de mauvaises mains, celles de M. Tsimi. Me Samnick affirmait avoir reçu mandat de WNC pour agir. Un mandat dont l’authenticité n’a jamais été établie.
Alors que la dénonciation de Me Samnick peinait à produire des effets, un avocat du PAD, Maître Dominique Fousse, décidait à son tour de porter plainte au nom de l’entreprise publique au même Patrice Tsimi Enyegue en se fondant sur les mêmes motifs, mais en précisant que le mis en cause avait bénéficié de la complicité de certains membres du conseil d’administration du PAD. Lors du jugement, l’ancien DG du PAD, M. Etoundi Oyono, de regrettée mémoire, avait témoigner en faveur des accusés indiquant que le PAD n’avait perdu aucun radis et l’argent payé à M. Tsimi l’avait été en toute régularité.
Lettre incendiaire
En dépit de ces explications, tous les mis en cause avaient été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement. Le TCS avait décidé que les mis en cause paient des dommages et intérêt au ministère des Finances, qui n’était pourtant pas partie au procès. Une décision entièrement confirmée à la Cour suprême. Pour maquiller la réalité, la Cour avait décidé de présenter Me Sandrine Soppo comme avocate constituée par… le ministère des Finances.
En dehors du recours devant le TA de Yaoundé, M. Tsimi Enyegue avait parallèlement déposé une plainte contre Me Soppo au Tribunal de grande instance (TGI) du Mfoundi. Il reproche à l’avocate sa constitution jugée abusive contre lui devant le TCS et dont les effets néfastes avaient conduit à sa condamnation à 20 ans de prison. Convoquée par le juge d’instruction pour l’entendre sur les faits mis à sa charge, Me Soppo avait décliné l’invitation en optant de remonter les bretelles au magistrat dans une lettre incendiaire le 22 janvier 2020 [Kalara N° 338]. «J’espère qu’avec [les] explications à vous fournies pour une énième fois, je ne ferai plus l’objet des convocations permanentes qui risqueraient de s’assimiler à un harcèlement judiciaire qui n’a pas de raison d’être», écrit-elle, après avoir précisé que «dans le cadre de [sa] profession et étant régulièrement investie d’un mandat, [elle] ne [voit] pas en quoi [elle devrait] faire l’objet des poursuites par plainte avec constitution de partie civile au demeurant abusif (sic) et sans objet».
Dans cette lettre, l’avocate déclare s’être «limitée à défendre les intérêts des clients qui ne sont pas antinomiques à ceux du Port autonome de Douala puisque poursuivant les mêmes accusés pour les mêmes faits». Des clients qu’elle se garde de citer dans sa correspondance. Depuis lors, la procédure tourne en rond.