Le juge en charge de l’affaire opposant M. Balata Bikouit Christian Eric à Mme Sanguale Guidjeu Rosalie Eveline devant le Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centre administratif, est face à sa responsabilité. Il doit trancher le débat portant sur la qualité ou non du plaignant à engager des poursuites judiciaires contre Mme Sanguale Guidjeu Rosalie Eveline, l’épouse de M. Nana Aboubacar, le ministre délégué auprès du ministre de l’Environnement, de la Protection de la Nature et du Développement durable.
Le 1er juillet 2021, alors que la phase de l’accusation était terminée, le représentant du parquet, lors de ses réquisitions intermédiaires a estimé les charges insuffisantes pour que Mme Nana, assise sur le banc des accusés, présente sa défense. Il soutient que M. Balata Bikouit Christian Eric n’a pas la qualité de traduire en justice Mme Sanguale Guidjeu Rosalie Eveline. Le magistrat du parquet estime que c’est l’entreprise MRM Sarl, qui devait se plaindre dans cette affaire pour avoir subi, d’après lui, le préjudice de 42,5 millions de francs.
Par ailleurs, le ministère public indique que Christian Eric Balata Bikouit, qui est un inspecteur des impôts, tombe sous le coup de la loi des incompatibilités qui interdit aux fonctionnaires d’exercer des activités commerciales. Il demande au juge de déclarer irrecevable l’action introduite par ce dernier.
Réagissant aux propos du représentant du parquet, les avocats de l’accusation retorquent que ce dernier fait une mauvaise interprétation de la loi. Ils pensent qu’il y a une première question à se poser dans cette affaire. C’est celle de savoir celui qui a remis de l’argent à Mme Nana. Ils répondent que c’est M. Balata Bikouit qui avait remis à titre individuel à Mme Nana, le pactole de 42,5 millions de francs. Il n’avait pas agi comme gérant ou représentant de la société MRM Sarl. Me Elisabeth Beback mentionne que la citation directe qui a saisi la justice, n’indique nulle part que le plaignant a remis l’argent à Mme Nana au nom de la société.
Ensuite, elle précise que la mention de PCA est superflue, étant donné que la Société à Responsabilité Limitée (Sarl) n’a pas de PCA, mais plutôt un gérant ou des co-gérants. De plus, dans la décharge de 41,5 millions de francs remise au plaignant par Mme Nana, il n’est pas mentionné que l’argent lui a été remis par la société MRM Sarl. Ces arguments, d’après l’avocate, ont été confirmés et soutenus devant la barre par le témoignage du plaignant, corroboré par ceux de ses témoins qui sont, d’ailleurs, des proches de Mme Nana.
Etat de droits
En outre, Me Beback estime que l’autre question importante à laquelle le juge doit répondre est celle de savoir si son client a un intérêt à agir comme plaignant dans cette procédure. La réponse est affirmative, selon elle, parce que M. Balata a remis son argent à Mme Sanguale et de ce fait, a subi un important préjudice. Ce qui lui donne d’office la qualité lui permettant de traduire la mise en cause en justice pour revendiquer le remboursement de ses fonds. Elle note également que le plaignant, en remettant la somme querellée, était libre de désigner la structure de son choix pour la réalisation dudit marché.
Me Marcellin Tsoungui soutient pour sa part que le représentant du parquet a été vague dans ses réquisitions étant donné qu’il n’a pas évoqué les dispositions légales sur lesquelles il s’est appuyé pour déclarer le défaut de qualité de son client. Pour l’avocat, un sage ne dit que ce qu’il peut prouver. Il poursuit son propos en soutenant qu’il n’y a pas de document dans le dossier de procédure qui démontre que M. Balata est le PCA de la société MRM. D’après l’avocat ; Mme Nana a usé des manœuvres en remettant de faux bons de commande à son client pour lui extorquer la somme de 42,5 millions de francs. « Mon client a été floué, il y a une forte odeur d’abus de confiance et d’escroquerie dans cette affaire», a-t-il déclaré. L’avocat indique également que le changement de camp du représentant du parquet qui a requis à décharge, traduit manifestement un intérêt caché dans ce dossier qui engage l’épouse d’une haute personnalité de la République. Il pense que les considérations d’ordre social viennent brouiller la vérité dans cette affaire. Les avocats de l’accusation se rejoignent pour dire que l’attitude du parquet confirment deux choses. D’abord, les propos de Mme Nana quand elle déclarait à l’enquête préliminaire qu’elle ne peut pas être poursuivie devant les juridictions de ce pays. Ensuite, elle justifie la raison pour laquelle, la plainte déposée par Balata Bikouit au Secrétariat d’Etat à la défense (Sed) contre Mme Nana avait été bloquée par le parquet, obligeant le plaignant à saisir le tribunal par voie de citation directe. Or, soutiennent les avocats, le Cameroun est un Etat de droits dans lequel les citoyens sont égaux devant la loi. Ils demandent au tribunal d’ordonner la poursuite des débats afin que la vérité se manifeste dans cette affaire.
Il ressort des débats lors des audiences antérieures que Christian Eric Balata Bikouit avait été approché par trois personnes proches de Mme Nana, notamment Bouba, Ahmed et Issa en 2020. Ces derniers qui ont témoigné en faveur du plaignant, avaient fait comprendre à leur interlocuteur que l’épouse du ministre recherche un partenaire pour financer le marché de livraison de deux bons de commande administratifs au Mindef à hauteur de 250 millions chacun. Intéressé par la proposition, M. Balata Bikouit avait rencontré Mme Nana à son domicile. Cette dernière avait promis de remettre au plaignant les deux bons de commandes en contre partie de la somme de 41,5 millions francs représentant ses commissions, c’est-à-dire la quote-part qu’elle devait toucher dans l’affaire.
Le plaignant explique que Mme Nana l’a déterminé à lui remettre cet argent, en lui faisant comprendre qu’elle avait l’habitude de réaliser des marchés dans ce ministère et lui avait présenté les procès-verbaux de réceptions des marchés déjà réalisés et des bons des marchés en cours au Mindef. Pendant les deux rencontres qui se sont tenues au domicile de Mme Nana, M. Balata Bikouit dit avoir remis à cette dernière contre décharge et en présence de témoins, la somme totale de 42, 5 millions de francs. Après la remise des fonds litigieux, le plaignant raconte que des tractations téléphoniques avaient commencé entre Mme Nana et un certain colonel. Le plaignant explique qu’il n’avait obtenu les dits bons qu’à l’immeuble siège de la CCA à Yaoundé après avoir été trainé au «Mess des officiers».
Seulement, c’est après l’enregistrement des deux bons aux services des impôts à hauteur de 13 millions de francs que le plaignant qui avait sollicité l’accompagnement de sa banque pour la réalisation dudit marché avait appris que les bons de commande étaient faux. Informée de la situation, Mme Nana aurait promis de rembourser les fonds litigieux. Après des nombreuses relances, M. Balata Bikouit n’est jamais rentré en possession de son argent.
En attendant la décision du tribunal qui doit se prononcer sur le sort réservé à ce procès le 20 juillet 2021, date de la prochaine audience, il faut signaler que Mme Nana poursuit également M. Balata Bikouit pour diffamation devant la même juridiction.