Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
Le Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé – centre administratif est prêt à tout pour assurer une justice à la carte à Mme Djuidje Marie, ancienne collaboratrice du président de la République aujourd’hui à la retraite. En une semaine en effet, certaines affaires concernant cette enseignante de sociologie au sein de cette juridiction ont connu un extraordinaire coup d’accélérateur dans le sens de ses souhaits. Le 13 juillet 2022, en effet, à la suite d’une enquête sommaire, votre journal et deux de ses journalistes ont reçu notification d’une «ordonnance de renvoi» devant la chambre correctionnelle de la juridiction suite à une plainte déposée par l’enseignante plus d’un an plus tôt. Et deux jours plus tard, Mme Djuidje a obtenu que le procès l’opposant au locataire d’un de ses fils fasse l’objet d’un examen dans un secret quasi total. Cela fait 18 mois qu’elle se battait pour cela, obtenant dans cette période le gel de ses dossiers en instance.
Ces deux affaires sont en fait liées. Poursuivi pour des faits remontant pour certains en 2016, quand elle officiait encore comme chargée de mission au secrétariat général de la présidence de la République, Mme Djuidje Marie, enseignante de sociologie, avait été renvoyée en jugement après enquête le 26 mars 2020 pour diverses infractions : «blessures simples», «dénonciation calomnieuse», «destruction» et «rétention sans droit de la chose d’autrui», etc. Ses déboires judiciaires faisaient suites à diverses plaintes déposées contre elle aussi bien devant le TPI de Yaoundé CA que devant le Tribunal militaire de Yaoundé. Le plaignant, M. Abbo Bakari Mahamoudou, commerçant, était l’ancien locataire d’un certain Bogne Mouafo Eric, l’un fils de l’enseignante. Le journal Kalara est pris en grippe, avec des relents d’intimidation, pour avoir traité de la bataille judiciaire entre les deux protagonistes, révélant des faits qui ne font sans doute pas la fierté de l’ancienne collaboratrice du président de la République.
Mouammar Kadhafi
Il est utile de remonter l’histoire pour comprendre les attentions actuelles du TPI de Yaoundé –centre administratif en faveur de Mme Djuidje. Le 1er octobre 2013, M. Abbo Bakari prend en bail un studio dans une concession appartenant à M. Bogne Mouafo au quartier Tongolo de Yaoundé, au coût mensuel de 50 mille francs. Il y séjourne sans problème jusqu’au moment où l’enseignante se présente à lui pour recevoir les loyers. Cette dernière, qui n’est muni d’aucune procuration pour la circonstance, lui exige de nombreux arriérés de loyer. Ayant été éconduite, Mme Djuidje adresse à la police judiciaire, le 22 octobre 2014, une note de dénonciation anonyme au sujet des activités terroristes qu’elle accuse le commerçant de mener, en faisant allusion à la secte islamiste Boko Haram. La note laisse entendre que M. Abbo Bakari aurait des liens avec le président Libyen, Mouammar Kadhafi, le rebelle Angolais Jonas Savimbi, «et d’autres leader d’origine arable».
Le commerçant est interpellé et gardé à vue dans le cadre d’une enquête qui est ouverte d’urgence, compte tenu du danger que représente la secte Boko Haram à l’époque. La police l’interroge et perquisitionne son appartement. Les investigations de la police judiciaire ne trouvent aucun indice de nature à corroborer la dénonciation de l’enseignante. Le suspect est remis en liberté. Sous prétexte toujours de revendiquer le paiement des loyers de l’appartement qu’occupe M. Abbo Bakari, Mme Djuidje va encore se confronter au locataire de son fils des années plus tard. C’est ainsi que le 2 octobre 2017, elle va se retrouver dans le périmètre de l’appartement qu’occupe M. Abbo Bakari, semble-t-il, pour assurer le renouvellement de la peinture des lieux. Cette initiative qui se fait sans l’aval du locataire va finalement dégénérer dans la violence.
Le commerçant fait usage de sa tablette pour filmer la scène de la présence de la collaboratrice du chef de l’Etat dans son domicile. Cette dernière se fâche et décide d’y mettre un terme à sa manière. L’enregistrement vidéo tourné par M. Abbo Bakari à l’occasion montre la dame se déchaussant, prendre un morceau de bois et poursuivant le caméraman de circonstance pour le frapper. Ce dernier dit avoir reçu des coups aux côtes et d’avoir perdu ses lunettes médicales à la suite de cette agression. Les images montrent une Mme Djuidje folle de rage et prête à en finir avec son vis-à-vis. Le dossier médical dressé à la demande du commerçant corrobore sa relation des faits. «Fracture oblique de la 7e, 8e, 9e côte arc postérieur droit», peut-on lire sur le bulletin des résultats d’un examen radiologique du 24 octobre 2010. Ça donne 35, puis 50 jours d’incapacité, selon les certificats médicaux établis par l’homme de l’art.
Ces faits barbares et bien d’autres vont faire l’objet de diverses plaintes déposées par M. Abbo Bakari contre la collaboratrice du président de la République aussi bien devant le TPI de Yaoundé CA que devant le Tribunal militaire de Yaoundé. Pour en avoir parlé pour la première fois dans son édition N°264 du 3 septembre 2018, l’hebdomadaire du monde judiciaire va s’attirer les foudres de l’enseignante de sociologie. Une semaine après, elle saisira le Conseil national de la Communication d’une plainte dans laquelle elle prétend que l’article publié par le journal «ne reflète aucunement la réalité ni sur le fond, ni sur la forme, il se contente d’aligner des accusations sans preuve». Dans une logique de règlement des comptes internes au CNC dont l’éditeur de Kalara est membre à cette époque, un avertissement complaisant sera fait au journal. Mais ce dernier persiste dans la couverture continue des procès qui oppose la collaboratrice du chef de l’Etat au commerçant.
Ouverture forcée de porte
Entre-temps, la bataille entre M. Abbo Bakari et Mme Djuidje Marie donne lieu à de nouveaux développements judiciaires. Cette dernière est accusée d’avoir pris possession du studio qu’occupait M. Abbo Bakari à Tongolo, en y remplaçant la serrure et en confisquant les biens qui s’y trouvent, dont une somme d’un peu plus de 198 millions de francs que le plaignant dit avoir laissé dans sa chambre. Le commerçant lui a servi une sommation pour libérer les lieux et restituer ses effets à laquelle elle a opposé le silence. Pour retourner la situation en sa faveur, elle a obtenu au nom de son fils, le nommé Bogne Mouafo Eric, une ordonnance gracieuse du président du TPI de Yaoundé CA par laquelle l’autorité judiciaire autorise le supposé requérant «à faire procéder à l’ouverture des portes» du studio disputé, désigne un huissier de justice, Me Mpfouma Nana, «pour procéder à l’ouverture desdites portes… [dresser] procès-verbal d’inventaire des effets mobiliers trouvés sur les lieux et [constituer] M. Bogne Mouafo Eric gardien».
L’huissier de justice va s’exécuter, mais en confiant curieusement la garde des biens de M. Abbo Bakari, non pas à M. Bogne Mouafo, mais à Mme Djuidje qui l’a accompagné sur les lieux… Lorsque le commerçant décide de poursuivre par ailleurs l’enseignante pour «destruction et rétention sans droit de la chose d’autrui», elle va nier les faits. «Je ne suis jamais entré dans sa chambre et ce, jusqu’à ce que M. Timba, président du TPI de Yaoundé CA rende son ordonnance», dit-elle au juge d’instruction, M. Bias Joël Albert, avant d’ajouter que «suivant ordonnance du président Timba, Me Mpfouma, huissier de justice, a cassé la porte, changé la serrure et m’a remis les clés. Je l’ai ai.» Le nom du président du TPI est dès lors utilisé comme le talisman qui confère la légalité aux actes qualifiés de «destruction et de rétention sans droit de la chose d’autrui», qui lui sont reprochés.
Malheureusement pour l’enseignante, le juge d’instruction ne gobe pas sa version des faits. Lorsqu’il conclut son enquête, le magistrat est formel : «le procès-verbal d’ouverture forcée des portes a été dressé le 27 novembre 2018, soit plusieurs jours après que l’inculpé a expulsé sieur Abbo et emporté certains de ses effets». Le juge d’instruction conclut son enquête judiciaire en estimant «qu’il y a lieu de dire les charges suffisantes contre Djuidje Marie d’avoir, à Yaoundé […], détruit même partiellement les effets mobiliers appartenant en tout ou en partie au sieur Abbo Bakari Mahamoudou, notamment la paire de lunettes et la porte de ce dernier [et] retenu sans droit les effets évalués à 193.124.750 francs appartenant au susnommé». Elle est renvoyée en jugement pour répondre de cela aussi.
En effet, l’autorisation d’ouverture forcée des portes a été accordée sans que M. Abbo Bakari soit informé qu’une telle procédure était engagée. Et le procès-verbal d’ouverture forcée des portes n’a jamais été porté à sa connaissance. Mieux, Mme Djuidje a été constituée gardienne des effets de M. Abbo Bakari au mépris de l’autorisation du président Timba qui désigne plutôt le vrai propriétaire du local pour cela. Et pour le moment, ces curiosités bien connues de la juridiction semblent tolérées au TPI de Yaoundé CA, comme si tout était normal. Sans justifier d’un mandat formel de son fils, l’enseignante se substitue à ce dernier au point de déclencher des procédures judiciaires en son nom en recevant l’onction du président du Tribunal…
Procès à huis-clos…
Le journal Kalara, qui rend compte de l’évolution de cette bataille judiciaire va de nouveau s’attirer les foudres de Mme Djuidje. Et probablement aussi du président du TPI de Yaoundé CA, M. Timba. Dans son édition N°369 publiée le 19 janvier 2021, l’hebdomadaire du monde judiciaire rend compte de la tenue, cinq jours plus tôt, d’une audience du tribunal au cours de laquelle le dossier de la «destruction et rétention sans droit de la chose d’autrui» et «dénonciation calomnieuse», entre autres, est appelé. Me Pente, l’avocat de Mme Djuidje, sollicite que le juge ordonne que les débats se déroulent à huis-clos, c’est-à-dire en l’absence du public contrairement aux usages judiciaires en la matière. Cette demande curieuse fait l’objet d’un développement du journal, d’autant que la loi n’a prévu l’embargo autour des débats, en matière pénale, que dans les cas touchant à l’ordre public, à la sûreté de l’Etat et aux bonnes mœurs.
Dans une correspondance que Me Pente adresse au président du TPI de Yaoundé CA le 18 janvier 2021 en prélude à la prochaine audience de l’affaire prévue le 19 février suivant, elle explicite sa demande : «L’infraction de dénonciation calomnieuse retenue contre la prévenue (Mme Djuidje) touche le secret de la défense nationale et le débat public contribuera à sa divulgation. Vu le contexte sociopolitique actuel de notre pays, il est souhaitable d’éviter toute récupération politique». Il s’agit en fait d’une allégation non-fondée, aucun secret-défense n’ayant été évoqué depuis la fameuse dénonciation anonyme de l’enseignante d’ailleurs jugée fallacieuse par la police judiciaire. Le fait que Kalara ait parlé de cette demande de huis-clos en disant qu’il s’agit d’une volonté de «camoufler» le procès va lui coûter, le 5 avril 2021, ainsi qu’à l’auteur du texte et au directeur de la publication, une plainte avec constitution de partie-civile devant le président du TPI de Yaoundé CA.
Au bout d’une enquête sommaire au cours de laquelle M. Bernard Clovis Choup Saah, juge d’instruction qui hérite du dossier, n’a entendu les mis en cause sur les faits allégués qu’une seule fois en leur dissimulant au maximum le contenu de la plainte, il décide le 31 mai 2022 de renvoyer en jugement le journal et les deux journalistes. Il estime en effet que des «indices permettent de présumer que les inculpés peuvent répondre des faits décriés». Son argumentaire est simple : «en l’état, il n’est pas avéré que la victime (Mme Djuidje) a essayé, au cours de l’audience, de camoufler la procédure ; Qu’elle bloque une procédure devant le Tribunal militaire ; [Puis], les inculpés ne rapportent pas la preuve que la victime a cassé les côtes à un locataire avant de détruire la maison occupée par ce dernier».
M. le Juge d’instruction n’a jamais réellement interrogé les mis en cause sur ces faits qui sont bien connus du TPI de Yaoundé CA dont le juge d’instruction Joël Albert Bias avait renvoyé l’enseignante, entre autres, pour les faits relatifs aux fractures des trois côtes de M. Abbo Bakari… Qu’importe : les journalistes en répondront publiquement à une date qui reste à déterminer, dans le cadre d’un procès aux relents d’intimidation. Chose curieuse, 48 heures après que Kalara et ses journalistes ont été notifiés qu’ils doivent répondre de «diffamation», sur la personne de Mme Djuidje, c’est-à-dire le 15 juillet 2022, le TPI de Yaoundé CA va effectivement ordonner le huis-clos pour l’examen des plaintes contre l’enseignante. Quasiment 18 mois se sont écoulés depuis janvier 2021 pour attendre cette réponse… Le timing est parfait… Le public, et singulièrement les journalistes de Kalara, sont interdits d’aller suivre le procès des faits barbares mis à la charge de Mme Djuidje. Il s’agit quand même d’une ancienne collaboratrice du président Biya.
Du huis clos
D’après le vocabulaire juridique Gérard Cornu, le huis clos est une expression consacrée signifiant «toutes portes fermées» utilisée pour désigner soit l’audience à laquelle le public n’est pas admis par exception au principe de la publicité des débats , soit la décision prise par le juge de ne pas (ou de ne plus )admettre le public. S’agissant du huis clos, l’article 6 alinéa (3) la loi du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire modifiée et complété par la loi du 14 décembre 2011 dispose : «toutefois , en cas de dispositions expresse de la loi. Les débats, ont lieu hors la présence du public, en chambre du Conseil. En outre, toute juridiction peut, d’office ou à la demande ‘une ou de plusieurs parties et dans une affaire déterminée, ordonner le huis clos pour la sûreté de l’Etat, l’ordre public ou les bonnes mœurs. Dans ce cas, les débats ont lieu hors la présence du public et mention en est faite dans la décision qui est rendue publiquement». Selon le plaignant, le problème qui l’oppose à Mme Djuidjeu Marie est une affaire de rétention sans droit de la chose d’autrui qui n’a rien à avoir avec la sûreté de l’Etat, l’ordre public ou les bonnes mœurs.