«J’ai confiance à la justice camerounaise qui, dans sa sagesse me rétablira dans mes droits dans cette affaire qui m’oppose au notaire Maître Happi Julienne Marie Claude et à Afriland First Bank civilement responsable». Cette phrase est un extrait des déclarations faites par M. Alhadji Aboubakar Saidou, homme d’affaires résident en Arabie Saodite depuis plus d’une trentaine d’années. C’était au cours de son témoignage le 12 avril 2022 devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Mfoundi statuant en matière criminelle. Il poursuit en coaction la banque et le notaire pour faux en écritures authentiques et publiques. Il reproche à ses adversaires d’avoir vendu aux enchères sa villa au quartier Bastos à Yaoundé sur la base d’une fausse convention de crédit. L’audience de la semaine dernière a donné lieu à l’audition et du représentant de la banque.
«Le 2 mai 1995, j’ai acheté cash devant notaire avec un chèque certifié de 34 millions de francs l’immeuble litigieux. Cette somme provenait de mon compte logé dans les livres de CCEI Bank disposant des provisions d’un montant de 42 millions de francs à l’époque des faits. Je n’ai pas pris de crédit dans cette banque pour l’achat de cet immeuble. Je ne comprends pas pourquoi il a été bradé à mon insu à 7 millions de francs sous prétexte que j’avais pris un prêt de complément d’achat de l’immeuble qui s’élevait à 5 millions de francs. Prêt qu’on prétend que je n’avais pas remboursé dans le délai de deux mois comme prévoyait la prétendue convention signée entre la banque et moi le 7 avril 1995», a déclaré le plaignant.
Pendant son témoignage, M. Alhadji Aboubakar Saidou a présenté des documents des documents au soutien de l’accusation qu’il a réussis à faire admettre comme pièces à conviction dans le dossier de procédure. Il raconte avoir ouvert un compte bancaire dans les livres de la Ccei Bank, ancêtre de Afriland First Bank, le 28 octobre 1994 en y versant 30 millions de francs, puis 12 millions de francs le 29 octobre suivant. Le 31 octobre de la même, son compte affichait, dit-il, des provisions d’un montant de 42 millions de francs. Le 4 novembre 1994, il explique avoir demandé à sa banque de lui accorder une caution bancaire de 5 millions de francs pour les frais de dédouanement d’un véhicule Toyato Camry pour handicapé que lui avait offert l’Organisation islamique mondiale. Ce que son banquier avait fait, poursuit-il.
Sauf qu’entretemps, M. Alhadji Aboubakar Saidou dit avoir obtenu une exonération des frais et taxes de douanes auprès du ministre des Finances (Minfi) à cause de son handicap. Ce qui lui avait permis d’obtenir des autorités compétentes des douanes une lettre de main levée de la caution bancaire qu’il avait demandée à la banque. L’exonération évitait à l’homme d’affaires de payer les frais de douanes pour son véhicule. Il indique avoir répercuté cette information à son banquier avec pour conséquence que ce dernier reverse dans son compte, les 5 millions de francs qu’il avait débités pour lesdits frais et taxes de douanes. « Dans ces conditions, mon compte totalisait toujours la somme de 42 millions de francs. Et ce n’est que le 11 décembre 1994 que j’avais tiré un chèque certifié de 34 millions de francs dans ce compte pour l’achat d’un immeuble bâti dans une superficie de 930 m2 au quartier Bastos à Yaoundé. Cet immeuble faisait l’objet du titre foncier no 2585/Mfoundi appartenant à M. Njontor Ngufor Peter», a noté M. Alhadji Aboubakar Saidou. L’affaire revient le 13 mai 2022 pour les réquisitions du ministère public et les plaidoiries des avocats.
C’est alors que, dit-il, les responsables juridiques de la banque de l’époque l’avaient conseillé et conduit à l’Etude de Maître Happi Julienne Marie Claude, pour la finalisation des formalités d’achat de l’immeuble litigieux. Le 2 mai 1995, il déclare avoir remis le chèque certifié de 34 millions de francs à Maître Happi Julienne Marie Claude qui lui avait établi, séance tenante, une expédition de vente. Ensuite, une somme globale de 5,9 millions de francs représentant les frais de notaire avait été versée à cette dernière pour la confection du dossier technique. M. Alhadji Aboubakar Saidou, explique que sur la base de la confiance qu’il accordait à son banquier et au notaire, il était reparti en Arabie Saodite pour des raisons professionnelles, laissant le soin à Maître Happi Julienne Marie Claude de s’occuper du suivi de finalisation de l’achat de son immeuble. Il s’agissait pour le notaire, dit-il, d’obtenir la mutation du titre foncier 2585/Mfoundi en son nom.
Sans attendre la mutation du titre foncier qui allait prendre assez de temps, selon le notaire, le plaignant indique avoir immédiatement engagé les travaux de réfection et d’embellissement de l’immeuble pour recaser sa famille. Entretemps, sur proposition des responsables juridiques de la banque qui lui rendaient des visites de courtoisie sur le site querellé, l’homme d’affaires avait commis un expert immobilier qui avait évalué l’immeuble réhabilité à plus de 75 millions de francs. Ledit expert immobilier avait, d’après le plaignant, reçu une rémunération de 250 mille francs.
Seulement, selon ses dires, l’homme d’affaires sera surpris de constater à son retour au Cameroun en 2005 que Afriland First Bank avait déjà vendu aux enchères sa villa à Me Twengembo. Pis, ajoute-t-il, le nouvel acquéreur avait immédiatement expulsé sa famille de l’immeuble sans ordonnance de justice. «Approchés, les responsables de la banque, qui m’avaient tourné en dérision, m’avaient finalement dit que j’avais contacté le 7 avril 1995, un prêt de 5 millions pour complément d’achat de l’immeuble querellé pour une durée de 2 mois. Et que faute d’avoir remboursé cette dette dans les délais de deux mois que prévoyait la convention de prêt, la banque avait décidé de vendre aux enchères à 7 millions de francs en vue de récupérer ses fonds». M. Alhadji Aboubakar Saidou s’est indigné que son banquier vende son immeuble qui avait coûté 34 millions de francs et était évalué à 75 millions de francs après réfection à une somme aussi dérisoire. Ces agissements de Afriland First Bank cachaient, d’après lui, une connivence entre sa banque et le notaire qui ne lui a jamais remis le titre foncier muté en son nom et qui se retrouve curieusement à la banque.
C’est la raison pour laquelle, l’homme d’affaires avait alors saisi le juge civil du Tribunal de grande instance du Mfoundi pour d’obtenir l’annulation de la «vente frauduleuse» de son immeuble. Mais il déclare que c’est au cours de cette procédure que Me Twengembo, le nouvel acquéreur, avait brandi le jugement no 173 du 11 décembre 1996 qu’aurait rendue la chambre civile du TGI du Mfoundi et l’acte de l’adjudication. C’est à cette occasion que le plaignant dit avoir appris que le jugement no 173 du TGI l’avait débouté de sa requête d’annulation de l’acte de vente de son immeuble. Dans sa décision, le juge avait fait valoir le principe de l’autorité de la chose jugée et avait en outre indiqué que Me Eloundou, constitué par M. Alhadji Aboubakar Saidou pour la défense des intérêts de ce dernier, avait saisi le tribunal d’une requête d’arrêt des poursuites le 25 décembre 1995.
Le plaignant raconte que, c’est sur la base de ce jugement que la banque avait adjudiqué son immeuble à Me Me Twengembo. Des informations que l’homme d’affaires qualifie de fausses parce qu’il ne reconnaît pas avoir constitué un avocat dans cette procédure judiciaire qui lui avait été cachée avant de souligner que Me Eloundou dont il s’agit, avait nié toute implication dans cette affaire. Le plaignant a attiré l’attention du Tribunal sur la célérité avec laquelle la prétendue procédure ayant abouti à la décision 173 du TGI civil avait été diligentée quand on sait que l’affaire qui ne relève pas du référé. «La curiosité dans ce jugement, est que la requête avait été déposée au greffe du TGI le 25 décembre 1996 et le tribunal a rendu la décision le 11 décembre 1996 jusqu’à la rédaction de la grosse. Soit 6 jours seulement de procédure».
Dans la suite de son exposé, le plaignant a relevé d’autres incongruités de l’affaire. D’abord, il explique que la banque lui attribue une hypothèque qu’il aurait signée le 7 avril 1995 alors qu’il n’était pas encore propriétaire de l’immeuble. Il note aussi que Afriland varie dans les montants qu’il prétend lui réclamer. Il signale également les contradictions de sa banque qui lui avait annoncé la clôture du compte litigieux le 13 février 1996 avec un montant de plus de 5 millions de francs et le 25 octobre 2005, celle-ci lui avait délivré une domiciliation bancaire attestant que le compte supposé avoir été clôturé, est fonctionnel. L’autre point saillant sur lequel le plaignant a attiré l’attention du tribunal est le fait que la décision devenue définitive du TGI du Mfoundi ayant permis la vente de l’immeuble à Me Twengembo le 10 décembre 1996, avait été enregistrée au centre des impôts de Mfou alors que la villa, objet de la vente est située à Yaoundé. D’autres griefs reprochés à Me Happi Julienne et Afriland First Bank par le plaignant seront certainement développés par les avocats de ce dernier lors de leurs plaidoiries.
Pour sa part, répondant aux questions des avocats, Nounenou Alain, le représentant de Afriland First Bank, a précisé que l’actuelle procédure judiciaire porte sur les faits de faux en écritures authentiques et publiques et non sur l’adjudication de l’immeuble de M. Alhadji Aboubakar Saidou. Il a ajouté que le TGI statuant en matière civile, avait déjà clos le débat sur cette question en donnant raison à son employeur. Il a, par ailleurs, indiqué que le faux décrié par l’accusation ne concerne pas Afriland First Bank, étant donné que c’est le notaire qui, en toute responsabilité, avait établi les actes critiqués, notamment le procès-verbal de vente de l’immeuble et son enregistrement aux impôts. Il a également démenti les informations selon lesquelles Me Twengembo travaillait à la banque. Il soutient que la banque a cessé d’intervenir dans cette affaire à partir du moment où elle avait vendu aux enchères l’immeuble au centre du procès en 1996 dans le but de récupérer les fonds qu’elle réclamait à M. Alhadji Aboubakar Saidou. Le représentant d’Afriland First Bank a conclu son propos en notant que son employeur ne peut pas répondre des actes posés par un notaire qui n’est pas un employé de la banque.