Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
Quand est-ce que démarreront effectivement les débats du second procès devant le Tribunal criminel spécial (TCS) de M. Charles Metouck, l’ancien Directeur général (DG) de la Société nationale de Raffinage (Sonara) et ses coaccusés? Plus de 25 mois après la première audience publique de cette affaire, soit le 11 juin 2019, la question se pose de nouveau (Kalara l’avait posée dans les mêmes termes pour la première fois le 13 juillet 2020). Elle a rejailli ce 4 août 2021 lors du dernier rendez-vous des accusés avec la justice. A cette occasion, le collège des juges a renvoyé l’affaire sans préciser la date de la prochaine audience. Une décision inédite pour la juridiction d’exception.
En fait, M. Lagmago, le chef de file du collège, a prétendu que le dossier physique de cette affaire a été transmis à la Cour suprême depuis la précédente audience pour indiquer qu’il fallait attendre son retour au TCS avant de programmer de nouveau son examen. Une explication qui a soulevé l’ire des avocats de la défense, conscients de ce que leurs clients étaient pris en otage par cette espèce d’entourloupe judiciaire. L’un des avocats a évoqué le Code de procédure pénale pour dire que le tribunal violait la loi. «Le président qui ordonne le renvoi doit indiquer à haute voix le motif et la date fixée pour la prochaine audience», dit l’article 341 de cette loi. Et l’article 242 renchérit que «le tribunal ne peut renvoyer une affaire sine die sous peine de poursuites disciplinaires contre le magistrat, auteur du renvoi». Des rappels qui ont laissé les magistrats de marbre, sans doute conscients d’être totalement à l’abri de quelque sanction que ce soit.
Il faut remonter à la fin de l’instruction de ce dossier pour comprendre qu’une main noire (sans doute au-dessus du TCS) n’a jamais voulu que l’ancien DG de la Sonara et ses coaccusés passent en jugement public. Si le juge d’instruction chargé du dossier avait rendu son ordonnance de renvoi le 11 mai 2017, il y a un peu plus de 4 ans aujourd’hui, le procureur général près le TCS avait aussitôt fait pourvoi de cette sentence. La chambre de contrôle de l’instruction de la Cour suprême a pris cinq mois pour examiner ce recours, en rejetant le pourvoi du ministère public en novembre 2017. Contre les usages judiciaires, le dossier resta bloqué à la Cour suprême.
John Ebong Ngolè
Soucieux de faire respecter les délais légaux prévus par la loi portant création d’un Tribunal criminel spécial, M. Emmanuel Ndjere, devenu président de cette juridiction, allait se rendre compte que ce dossier, instruit depuis des années, n’avait pas encore été programmé (enrôlé) pour son examen public. Des recherches initiées par le nouveau président permirent alors de le retrouver à la Cour suprême. C’est à la suite de cette découverte que ce qu’il convient d’appeler la 2ème affaire Metouck devant le TCS va être appelé pour la première fois le 11 juin 2019.
Mais dès le début de ce procès public, un problème se pose : M. John Ebong Ngolè, l’ancien président du conseil d’administration (PCA) de la Sonara et coaccusé de M. Metouck, est présenté par ses avocats comme étant désormais dans l’incapacité psychique de se faire juger. Ces derniers sollicitent que le tribunal en prenne acte en l’excluant des débats. Le collège des juges présidé par M. Ndjere va décider de prendre l’avis de l’homme de l’art avant de se prononcer sur la conduite à tenir. Le 23 août 2019, il prend un arrêt avant dire droit (ADD, une décision qui ne touche pas au fond du procès) qui désigne le Directeur de l’Hôpital central de Yaoundé, avec la possibilité pour ce dernier de désigner un autre praticien de la médecine, pour dire dans le cadre d’une expertise médicale si, oui ou non, l’ancien PCA de la Sonara est encore en possession de ses moyens intellectuels.
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Le parquet, qui soutient que le tribunal doit ignorer la demande formulée par les avocats de l’ancien PCA et ouvrir aussitôt les débats, va bondir sur la situation pour introduire un pourvoi contre l’ADD (mesure d’instruction) pris par le tribunal par précaution. Ce recours va paralyser l’examen du dossier. La section spécialisée de la Cour suprême qui doit départager les parties devant le problème qui se pose ne l’a jamais examiné. C’est en tout cas ce qu’affirme invariablement le représentant du ministère public à chaque audience où l’affaire Metouck est programmée devant le TCS. Mais, entre-temps, M. John Ebong Ngolè est décédé à Yaoundé, alors qu’il venait honorer un rendez-vous avec la justice. Ses avocats en ont informé le TCS, regrettant à l’époque que l’ADD rendu par M. Ndjere et ses collègues quelques mois plus tôt ait été paralysé.
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En principe, le décès de l’ancien PCA de la Sonara vidait le pourvoi du ministère public de tout intérêt, les poursuites judiciaires devant être stoppées à son égard (article 62 du code de procédure pénale). Le TCS décide d’attendre l’acte de décès du concerné pour faire le constat judiciaire de sa disparition. La famille de M. Ebong Ngolè n’a aucune raison de se presser pour obtenir le précieux document et le mettre à disposition. La section spécialisée de la Cour suprême, qui avait reçu de toutes les parties leurs arguments écrits (mémoires) depuis novembre 2020, ne se presse pas non plus pour se prononcer. Le parquet général près la haute juridiction, qui a fait lui-même des mains et des pieds pour obtenir récemment par ses propres démarches l’acte de décès de M. Gervais Mendo Ze (ancien DG de la Crtv mort alors que son pourvoi était en examen) pour en finir avec son dossier, ne pense pas encore procéder de la même façon avec M. Ebong Ngolè…
Essimi Menye…
Le parquet général près le TCS lui-même, qui n’a jamais cherché à obtenir l’acte de décès de M. François Tchakui, mort le 28 janvier 2019, pour poursuivre le procès par coutumace de l’ancien ministre des Finances, M. Essimi Menye, n’entend pas procéder de la même façon. A l’époque, une simple descente d’un représentant du ministère public à l’Hôpital central de Yaoundé en vue de constater cette disparition avait ouvert la voie aux multiples condamnations à mort prononcées à l’encontre de l’ancien ministre… Les avocats des accusés ont beau crier à la violation des droits de leurs clients à être jugés dans un délai raisonnable, ils ont beau rappelé l’article 10 nouveau (alinéa 6) de la loi qui organise le TCS, pour dire que la durée maximale du procès (9 mois) est largement dépassée, rien n’y fait. M. Metouck et M. Edinguele Edinguele, (ancien responsable juridique de la Sonara), qui sont les seuls accusés en détention de cette procédure restent en otage. Pour combien de temps encore ?
Rappelons que cette procédure judiciaire avait démarré le 28 octobre 2015, il y a bientôt 6 ans, par le réquisitoire introductif d’instance du parquet sur la base du rapport préliminaire d’une mission du Contrôle supérieur de l’Etat effectuée en 2010 sur la gestion de la Sonara entre 2007 et 2010. M. Metouck, accusé principal de ce dossier, est poursuivi en compagnie de cinq autres personnes dont le PCA décédé. Il répond d’une quarantaine de chefs d’accusation dont 16, tout seul, pour près de 39,5 milliards de francs de détournement présumés de deniers publics et notamment 12 autres en coaction avec M. Edinguele Edinguele pour 8,5 milliards de francs. En 2013, lors de son départ, l’Etat devait à la Sonara plus de 347 milliards de francs dont 167 milliards de francs de titres non échus. La raffinerie, hissée sous M. Metouck au 1er rang des entreprises performantes en Afrique francophone, n’est plus fonctionnelle aujourd’hui et une bonne partie de ses avoirs financiers a fondu comme neige au soleil.
Le TCS sur les traces de la Cour d’appel de Buéa
Le 24 avril 2013, un peu plus d’un mois après le limogeage de M. Metouck de la direction générale de la Sonara, le Tribunal de grande instance (TGI) du Fako à Limbe le condamnait à 9 ans et 8 mois de prison ferme et au paiement d’une amende de 2 millions de francs en compagnie de son ancien collaborateur, M. Edinguele Ediguele. En fait, le tribunal les avait reconnus coupables de destruction des documents. L’ancien DG s’était retrouvé au sein de la Raffinerie au lendemain de la désignation d’un nouveau DG avec l’accord de ce dernier et du président du conseil d’administration dans le but d’assurer la continuité harmonieuse de service à la tête de la raffinerie. En dépit du témoignage de son successeur et du mythe entretenu jusqu’ici sur les documents prétendument détournés, le juge avait été sans pitié. Mais les deux condamnés, dont le chef de département juridique de la Sonara à l’époque des faits, décidaient immédiatement de relever appel.
Plus de 8 ans plus tard, ce recours n’a jamais été examiné. En conséquence des procédures dilatoires engagées par Maître Francis Sama, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Cameroun de regretté mémoire, constitué par le ministère de la Justice pour défendre les intérêts de la Sonara à la Cour d’appel du Sud-Ouest, le dossier avait été transféré à la Cour suprême. Expulsé de la procédure judiciaire par la Cour d’appel parce que ses mandataires n’étaient pas partie au procès en instance, le chargé de mission de la Chancellerie avait fait pourvoi de l’arrêt rendu par le juge d’appel. Bien que la Cour suprême ait rejeté le pourvoi de l’ancien bâtonnier, ce recours attend toujours d’être examiné.
Chose curieuse, selon des informations puisées à bonne source, le dossier de procédure est déclaré invisible au greffe de la Cour d’appel de Buéa, bien que le greffe de la Cour suprême déclare que ledit dossier était régulièrement parti de la Cour suprême… Bien que l’ancien DG de la Sonara a pris la peine de relancer par écrit le président de la Cour d’appel du Sud-Ouest, en mai 2021, pour que son recours soit enfin examiné, il attend toujours la réponse du haut magistrat.
C’est pourtant loin d’être l’unique injustice pour l’ancien DG et son compagnon d’infortune, M. Edinguele Edinguele, qui croupissent déjà pour une première condamnation prononcée le 21 octobre 2015. Alors que la somme au centre du procès avait été restituée et que le ministre de la Justice avait ordonné l’arrêt des poursuites pour l’un de leurs coaccusés, l’ancien DG avait écopé de 15 ans de prison et son jeune compagnon d’infortune à 12 ans de réclusion. En confirmant ces sanctions au cours d’une audience rocambolesque après laquelle certains des juges de la Cour suprême s’étaient eux-mêmes indignés de la décision lue par leur chef de file, M. Mvondo Evezo’o (aujourd’hui à la retraite), la Cour suprême avait estimé que les accusés n’avaient pas introduit une demande d’arrêt des poursuites.
N.B. : Ce texte avait déjà été publié dans sa première version dans l’édition 347 de Kalara parue le 13 juillet 2020 avec le titre suivant : «La Cour d’appel de Buéa refuse aussi de juger Metouck»