Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Depuis trois ans, exactement en septembre 2018, le Port Autonome de Douala (PAD) court derrière un amas de ferraille déclaré «dérobé» sur la place portuaire de Bonaberi dans la ville de Douala. Il s’agit précisément de 18 tubes d’aciers de carbones à «haute adhérence pour armature» entreposés sur la bande bord du quai 51 situé à Bonaberi.
Les tubes d’aciers en question avaient 850 millimètres de diamètre et 20 millimètres d’épaisseur et appartenaient en toute propriété à l’entreprise portuaire publique, le PAD. Cette entreprise, selon l’accusation, les avait achetés en octobre 2014 à l’étranger au montant cumulé de 416 millions de francs, reparti de la manière suivante : 333,5 millions de francs pour le montant d’acquisition, 18,2 millions de francs pour les droits et taxes d’entrée au Cameroun et 64,2 millions de francs pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Ce matériel avait été acquis pour la réalisation des travaux de reconstruction du quai 51 à la faveur du démontage du poste d’accostage provisoire des navires gaziers.
La disparition du matériel en cause est imputée à deux personnes, notamment Aurélien Kotto Essissing, marin pompier au PAD, et M. Doucoure Ibrahim, commerçant de nationalité malienne. Ces derniers sont traduits devant le Tribunal criminel spécial (TCS) pour la supposée coaction de détournement de biens publics d’un montant de 107,2 millions de francs en rapport avec les 18 tubes d’aciers emportés à Bonaberi.
Le 20 décembre dernier, M. Kotto Essissing et son compagnon d’infortune ont plaidé non coupable du forfait déploré. Le rapport dressé par le juge d’instruction au terme de l’information judiciaire (ordonnance de renvoi) que Kalara a consulté renseigne sur les faits au centre du procès. En août 2018, le Port Autonome de Douala avait entrepris des travaux d’aménagement du site portuaire de Bonaberi en prélude à la visite des garde-côtes américains, dont le passage visait à certifier le PAD à la norme ISO 9000.
Ces travaux portaient sur l’alimentation électrique du terminal à conteneurs, de la capitainerie (commandement), des quais 51 et 52 d’une part, le revêtement en pavés autobloquants d’autre part, mais aussi l’enlèvement des épaves et gros objets dans le domaine portuaire. Singulièrement, le marché (bon de commande) relatif à l’enlèvement des épaves avait été attribué à la société Boki Réseaux et Telecom. Ce document portait les signatures de deux autorités du PAD, notamment celle de Théodore Guillaume Toko Dikongue, le directeur de l’aménagement portuaire, et celle de Franck Alexis Eshon, le chef du département construction, réhabilitation.
Ferraille découpée
Le problème, M. Kotto Essissing était le responsable de la capitainerie, autrement dit, il travaillait à la guérite du Port Autonome de Douala. Poste à partir duquel il était censé contrôler les entrées et sorties dans la place portuaire. On lui fait le reproche d’avoir laissé les camions affrétés par M. Doucoure quitter le quai 51 remplis des tubes d’aciers querellés, ceci sur la base de la photocopie d’un document intitulé : «bon commande en cours» autorisant la société Boki de sortir les tubes en cause. Pour l’accusation, ce document était un faux.
Pour sa défense, M. Kotto Essissing a nié les faits pendant l’information judiciaire en donnant des versions contradictoires. D’abord, il explique qu’après les travaux au quai 51, il y a eu des déchets de ferraille, qu’il a pris soin de rassembler avant de les proposer à Prometal, entreprise libanaise spécialisée dans la vente des produits ferreux. Cette entreprise avait missionné, dit-il, M. Doucoure auprès de lui pour «régler le problème de transport» de la marchandise proposée. Dans une toute autre version des faits, M. Kotto Essissing soutient cette fois-là que c’est M. Eshon qui l’a rassuré à travers un appel téléphonique de la régularité du bon d’enlèvement présenté à sa guérite et l’a instruit de laisser sortir les camions. Il avoue avoir perçu la somme de 4,7 millions de francs de cette transaction. Argent qu’il dit avoir remis à M. Eshon, le chef du département construction, réhabilitation.
M. Doucoure a également nié les faits. Il déclare qu’il entretient avec Prometal une relation de partenariat consistant, pour lui, à collecter et à fournir de la ferraille à ladite entreprise à travers divers pourvoyeurs qu’il se charge de mettre en contact moyennant une rémunération. C’est de cette façon qu’il est intervenu dans la transaction critiquée. Il déclare que c’est son coaccusé qui a mobilisé les chaudronniers pour découper les tubes aciers litigieux qu’il s’est seulement chargé d’acheminer à Prometal entre le 13 et 15 septembre 2018, dans trois cargaisons d’un poids total de 48 400 kg. Le kilo était vendu d’après lui 135 francs. Les accusés sont en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé où ils attendent s’expliquer devant la Justice.
Inculpés pour complicité du supposé forfait, M. Eshon a finalement été élargi (non-lieu) au terme de l’information judiciaire. Pareil pour le libanais Mourtada Mohamed Hassanein, l’employé de Prometal qui a effectué l’achat des 18 tubes d’aciers.