«Du haut de son 12e étage, M. Elogo avait une vue panoramique du terrain qu’il convoitait. Il a tout fait pour l’avoir». C’est ainsi que Me Atangana Ayissi, avocat, résume la genèse de l’affaire opposant son client, Vincent Mekongo Balla, à Salomon Elogo, ancien directeur général de la Caisse national de Prévoyance sociale (Cnps). Une hypothèse cohérente pour l’avocat qui s’est attelé à déconstruire les arguments soulevés par le ministère des Finances, défendeur dans cette affaire avec M. Elogo, pour enfin obtenir l’annulation des arrêtés ministériels du 30 janvier 1976 et du 22 janvier 1979, enlevant à Nicodème Mekongo Balla, le père du plaignant, tout droit sur son terrain situé à quelques encablures de l’immeuble siège de la Cnps.
En 1961, lorsque Nicodème Mekongo Balla acquiert son terrain de 1962 mètres carré en plein cœur de Yaoundé, il est loin de se douter de la valeur que pourrait prendre cet investissement immobilier dans le temps. Une parcelle qu’il avait obtenue grâce à une concession auprès du ministère de l’Economie nationale (aujourd’hui ministère des Finances) pour environ 500 mille francs. Le père de famille nourrit des projets pour cet espace qu’il trouve bien situé, assez proche du centre administratif. Il engage ainsi des travaux pour mettre en valeur son site. L’ironie du sort voudra qu’il soit fauché par une maladie qui stoppe ses activités. Il rendra l’âme quelques années plus tard, en 1977 précisément. Une situation de vide s’installe sur son chantier, qui a fait germer dans la tête de l’un de ses voisins des envies de subtiliser son terrain, selon Me Atangana Ayissi.
Compensation jamais reversée
Alors même qu’il est encore entre la vie et la mort, sa parcelle est attribuée à une autre personne. Dans une procédure de gré à gré, le ministère de l’Economie nationale cède le site à une entreprise dénommée Zénith pour la somme de 5,5 millions de francs. La valeur aurait été fixée en considération des travaux de construction débutés, renseigne l’avocat. L’arrêté de 1976 venait ainsi matérialiser cette vente. Par une négociation bien huilée, le terrain cédé à Zénith se retrouve entre les mains de Salomon Elogo. L’homme prendra les devants et c’est lui qui se propose même de régler la facture de l’entreprise afin de désintéresser rapidement les Mekongo. C’est pour lui transférer le patrimoine familial que le vice-ministre des Finances signera un autre arrêté, celui de 1979.
Les textes d’attribution de la parcelle querellée sont entachés de plusieurs irrégularités selon Me Atangana Ayissi. Selon l’avocat, il n’a été présenté aucun référentiel pour fixer la valeur de l’investissement réalisé sur le site par le père de son client. Le montant évoqué ne serait que fantaisiste, pense-t-il. Une somme qui n’a d’ailleurs jamais été versée à la famille, précise l’avocat. Ensuite, l’arrêté de 1979 attribuant le terrain à M. Elogo n’est pas cohérent, selon lui, puisque le nom du précédent propriétaire, Zénith, n’est plus mentionné nulle part. Tout cela ne serait orchestré que par l’ancien directeur de la Cnps, pour faire main basse sur la parcelle.
Pour le ministère des Finances (Minfi), c’est l’insuffisance des mises en valeur de Nicodème Mekongo qui lui a valu la déchéance du terrain transféré à Zénith. L’attribution en 1961 était subordonnée au respect de certaines clauses non respectées par M. Mekongo. Parmi les éléments énumérés dans les écritures du Minfi, apparait le non-respect du type de construction à ériger dans la zone, qui aurait entrainé une violation du cahier de charges fourni au moment de la concession, et l’insuffisance des mises en valeur. Les fonctionnaires du Minfi expliquent aussi que l’arrêt des travaux de construction sur le terrain jusqu’à ce jour exprime un manque de moyens financiers pour réaliser une bâtisse conforme aux constructions de la zone occupée. Un cahier de charges aurait été remis à M. Mekongo lors de la concession en son nom. Un document que la famille n’aurait pas produit au dossier de leur requête de peur d’être démasquée.
Des actes jamais notifiés
Enfin, une clause de la concession est invoquée pour contester les droits de la succession Mekongo sur le terrain. Une inscription expliquant que « la concession prend fin (…) cas de non-respect des obligations imposées au concessionnaire, par suite de décès du bénéficiaire, si l’héritier ne demande pas le transfert des droits dans un délai d’un an à compter de la date de décès». Toute cette artillerie pour contester les supposés droits que pouvait encore espérer la faille du défunt sur la parcelle. En outre, le Minfi estime que le fait pour la famille Mekongo de chercher à annuler des textes signés depuis plus d’une quarantaine d’années sont d’office sous le coup du retard par rapport au délai prescrit par la loi.
En effet, c’est en 2018 que Vincent Mekongo Balla a introduit sa requête au Tribunal administratif du Centre. La démarche est tout à fait justifiée, selon Me Atangana Ayissi, qui révèle l’absence de notification des arrêtés du ministère de l’Economie nationale aux ayants droits Mekongo. Cette anomalie leur permet ainsi de pouvoir toujours contester les textes aujourd’hui puisque le cadre légal en matière de droit administratif précise que les délais pour un éventuel contentieux sont amorcés dès le moment où le plaignant a été notifié de l’acte contesté.
Le parquet général, dans ses observations, n’a pas manqué d’évoquer des vices de formes des arrêtés incriminés. Pour le magistrat, celui de 1976 ne contient pas de référence à un constat de déchéance avant l’attribution du terrain de Mekongo à l’entreprise Zénith. L’arrêté d’attribution et le cahier de charges, qui devraient être pris comme fondement de l’acte, n’ont pas également été régulièrement cités. «L’arrêté n’était pas suffisamment motivé», pense le représentant du ministère public. Quant à l’évaluation des travaux effectués pour fixer le prix de l’attribution de gré à gré, il n’y également a pas de référence à l’application de la loi régissant le régime domanial de cette époque. «L’arrêté de l’administration est irrégulier», conclut le procureur en s’alignant sur une décision antérieure du tribunal qui avait jugé les réclamations de Vincent Mekongo Balla et ses frères fondées. Considérant toutes les anomalies aux usages relevées par le procureur, le tribunal va annuler les arrêtés du 30 janvier 1976 et du 22 janvier 1979 ayant servi à déposséder la famille Mekongo de ses terres.