Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
Un nouveau front de combat vient de naître dans le cadre du vaste contentieux judiciaire qui oppose depuis plus de deux ans déjà, le Port autonome de Douala (PAD) au consortium APM (Maersk) /Bolloré, les actionnaires de référence de Douala International Terminal (DIT). C’est cette société qui exploitait le Terminal à conteneurs (TAC) du Port de Douala depuis le 1er janvier 2005, avant d’en être évincée le 31 décembre 2019. Le 10 novembre 2020, la cour internationale d’arbitrage de la Chambre de Commerce internationale (CCI) de Paris avait en effet ordonné au PAD de relancer un nouvel appel d’offres pour recruter la société chargée d’exploiter le TAC tout en condamnant l’entreprise publique camerounaise à payer des dommages-intérêts à DIT de l’ordre de 3,9 millions d’euros annuels (un peu plus de 2,6 milliards de francs), montant pouvant monter jusqu’à 58 millions d’euros (39 milliards de francs) sur les quinze prochaines années si le processus n’est pas repris.
18 mois après son éviction du TAC, cette plateforme logistique étant exploitée depuis le 1er janvier 2020 par une entité interne du PAD dénommée Régie du Terminal à Conteneurs (RTC), DIT a engagé une procédure de recouvrement forcée pour se faire payer les 2,6 milliards de francs de sa période d’inactivité, en tirant profit de la sentence du 10 novembre 2020. C’est le processus judiciaire emprunté par le consortium APM/Bolloré qui est contesté par le PAD. L’entreprise publique accuse ses partenaires d’hier d’avoir fait recours à la fraude pour attenter à sa fortune. Se prévalant d’une immunité légale qui protègerait ses avoirs d’une atteinte par des tiers (lire encadré), le PAD vient à son tour de saisir le juge du contentieux de l’exécution du TPI de Douala-Bonanjo pour stopper le recouvrement engagé par DIT.
Feuilleton judiciaire
Le conflit entre ces deux parties est né comme on sait de la gestion d’un appel public à manifestation d’intérêt lancé le 18 janvier 2018 pour la concession des activités de rénovation, de modernisation et d’exploitation du TAC. Candidats à la reconquête de la gestion de cet espace portuaire à travers un nouveau consortium, les principaux actionnaires de DIT étaient surpris d’être écartés de la compétition le 8 janvier 2019 par une décision du DG du PAD arrêtant la liste de cinq candidats sélectionnés pour la suite du processus. Convaincu d’être au moins à la hauteur des concurrents retenus, ce consortium contestait les résultats publiés en demandant que le détail des notations soit rendu public. Devant la résistance des dirigeants portuaires, les promoteurs de DIT saisissaient la justice pour les contraindre à jouer le jeu de la transparence. C’était le début du feuilleton qui se poursuit.
Il y a eu entre-temps plusieurs procédures judiciaires, dont une devant le centre d’arbitrage de la Chambre de Commerce internationale (CCI) de Paris en application de la convention de concession de 2004, qui liait le PAD et les actionnaires de référence de DIT pour leurs 15 premières années d’exploitation du TAC. En désaccord avec le PAD sur le partage des frais de stationnement des marchandises sur la plateforme logistique depuis le début de la concession et sur la disqualification de son consortium dans la course à la reconquête de la gestion du TAC à travers l’appel d’offres lancé en janvier 2018, les actionnaires de Dit avaient saisi le centre d’arbitrage de la CCI. Et c’est ainsi que la sentence dont se prévaut aujourd’hui DIT a été rendue après un âpre combat. En substance, concernant la gestion du TAC, comme déjà indiqué, le PAD a été sommé de relancer l’appel d’offres de désignation du concessionnaire, avec cette pénalité de 2,6 milliards de francs à payer à DIT tant que le recrutement du concessionnaire n’a pas abouti.
Il se trouve que le 16 juin 2021, DIT a obtenu auprès du président du Tribunal de première Instance (TPI) de Douala-Bonanjo une ordonnance d’exéquatur de la sentence rendue à Paris le 10 novembre 2020. Il s’agit de l’onction judiciaire donnée à la sentence arbitrale en question pour qu’elle puisse produire ses effets sur le territoire du Cameroun. Muni de son exéquatur, DIT a servi un commandement au PAD en date du 6 juillet 2021. Il s’agit d’une requête invitant l’entreprise publique camerounaise à se libérer de la somme de 2,6 milliards de francs au profit de Bolloré et de son partenaire. Ce commandement était assorti d’un délai de 8 jours pour que le Pad réagisse. Passé ce délai, DIT est passé à la vitesse supérieure en engageant, via des exploits d’huissier de justice, la saisie des comptes du PAD afin de récupérer l’argent dont il attend le paiement. C’est alors que le PAD a décidé de contester la démarche de DIT, en l’assignant, le 15 juillet 2021, devant le juge du contentieux de l’exécution du TPI de Douala-Bonanjo en vue d’obtenir la rétraction de l’ordonnance «obtenue frauduleusement».
Rétractation de l’exéquatur
En gros, le PAD estime que ses comptes ne sont pas saisissables. Ses avocats évoquent pour cela l’article 30 de l’acte Uniforme Ohada relatif aux «procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution», qui accorderait aux entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission, le bénéfice du principe général de l’immunité accordée aux personnes de droit public. Mais, dans le détail, le PAD estime que DIT a agi avec fraude. D’abord, en prétendant que la sentence arbitrale de Paris était définitive, alors qu’elle fait l’objet d’un recours devant la Cour d’appel de Paris et parce qu’il y a une «assignation en annulation de la formule exécutoire et en rétractation de l’ordonnance d’exéquatur». Ensuite, en se prévalant d’un titre exécutoire «attaqué en nullité». Enfin, «en faisant croire que le procureur général près la Cour d’appel du Littoral a vérifié la conformité à l’ordre public» avant l’exécution de la sentence arbitrale, «alors qu’il n’en est rien».
En attendant l’issue des procédures engagées par le PAD, les responsables de DIT disent ne pas vouloir faire de vagues. Ils se contentent de rappeler que «DIT, qui est affilié à deux groupes internationaux (Bolloré et Maersk) défend énergiquement la primauté de l’Etat de droit, le respect des lois camerounaises et internationales et la stricte application des décisions de justice et sentences arbitrales». Rappelons que depuis le début de la discorde entre les partenaires d’hier, qui est née des instructions attribuées au président de la République au sujet de la conduite de l’appel d’offres de janvier 2018, le PAD n’a subi jusqu’ici que des revers devant DIT dans toutes les juridictions où les deux entités se sont affrontées, notamment le tribunal administratif, la chambre administrative de la Cour suprême, la Cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan, sans oublier le centre d’arbitrage de la CCI à Paris. Et, pour l’instant, rien n’indique que l’affrontement est en voie de prendre fin.
A propos de l’article 30 de l’acte Uniforme Ohada relatif aux «procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution»
«L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution.
Toutefois, les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, qu’elles qu’en soient la forme et la mission, donnent lieu à une compensation avec des dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles, sous réserve de réciprocité.
Les dettes des personnes et entreprises visées à l’alinéa précédent ne peuvent être considérées comme certaines au sens des dispositions du présent article que si elles résultent d’une reconnaissance par elles de ces dettes ou d’un tire ayant un caractère exécutoire sur le territoire de l’Etat où se situent lesdites personnes et entreprises».