«Le Minas tente de présenter le Cameroun comme un Etat voyou : celui qui prend des engagements et refuse de les respecter». C’est l’avocate du Centre d’Etudes et de Recherches juridiques qui fait ce coup de gueule devant le Tribunal administratif de Yaoundé le 22 juin dernier. Elle s’indigne de l’attitude du ministère des Affaires Sociales (Minas) avec lequel son client est en bisbille depuis cinq ans. Les parties entretiennent en fait un dialogue de sourds autour du paiement d’une facture de 70 millions de francs.
Le centre d’Etude a porté l’affaire devant la Justice pour solliciter la condamnation de l’Etat du Cameroun à lui payer le montant déjà évoqué. Le ministère assimile le paiement réclamé à un enrichissement sans cause, ou un pillage en bande. Le verdict du tribunal dans cette bataille judiciaire est attendu le 13 juillet prochain.
Pendant l’examen public du dossier la semaine passée, chaque camp a défendu sa position devant les juges. Le Centre d’Etudes et de recherches juridiques explique en effet qu’en 2015 son représentant Dr Nchankou Njindam avait signé avec le ministère des Affaires sociales un contrat relatif à la confection de 118 TDR entendus «termes de référence». Les fameux TDR allaient servir de base lors des travaux du colloque portant sur «l’appui institutionnel pour la gouvernance» tenu en août 2015, et qui visait la formation des responsables du ministère impliqué dans l’élaboration du budget programme.
C’est un certain Pascal Boniface Mbeng Enama qui avait cosigné le contrat querellé pour le compte du ministère des Affaires sociales. Ce dernier était, à l’époque des faits, cadre d’appui dans ledit ministère en charge du «Programme 550 qui s’occupe du suivi et de la formation permanente du personnel.
Délégation de signature
Au moment des faits, c’est Catherine Bakang Mbock qui trônait à la tête du Minas. Outre la désignation de M. Mbeng Enama comme le chef du Programme 550, l’ex-ministre avait signé un arrêté le 17 juin 2015 accordant à l’intéressé «une délégation permanente de signature».
De manière précise, le contrat querellé était une prestation intellectuelle. Le montant d’un TDR était fixé à 600 mille francs. S’agissant du paiement de la prestation, les parties avaient convenues de ce que le règlement de la note allait s’effectuer dans la ligne des frais consacrés aux «primes pour travaux spéciaux» du Minas.
Le centre d’étude indique avoir reçu du Minas un ordre de service, document administratif qui formalise le besoin d’une administration publique. Et la rédaction des TDR querellés a nécessité la mobilisation de 6 experts. La commande a été entièrement livrée. Une livraison constatée par la délivrance d’une «attestation du service fait». Mais depuis, le Minas refuse de régler la facture. «La procédure de paiement a été brutalement interrompue sans raison», s’est offusquée l’avocate du centre d’étude.
La réplique des quatre représentants du Minas devant la barre a pris l’allure d’un réquisitoire contre l’ex-ministre Bakang Mbock et M. Mbeng Enama. Selon eux, la signature du contrat litigieux est entachée de «beaucoup d’irrégularités» aussi bien sur la forme que sur le fond.
S’agissant des irrégularités sur la forme, les représentants de l’Etat indiquent que M. Mbeng Enama n’était qu’«un simple cadre d’appui» qui n’avait passé que trois mois au ministère lorsqu’il a été désigné comme le chef du Programme 550. Or en temps normal ce type de programme n’est géré que par le secrétaire général, et dans une moindre mesure un directeur de l’administration centrale. De plus, la décision de l’ex-ministre Bakang Mbock accordant une délégation de signature permanente au concerné a violé la réglementation en vigueur, précisément le décret du 22 août 1972 relatif aux conditions dans lesquels les ministres […] peuvent déléguer leur signature. Selon ce texte, le ministre ne peut déléguer sa signature qu’à un agent public ayant au moins le rang de chef de service.
Pauline Irene Nguene
C’est la raison pour laquelle, une semaine après sa nomination le 2 octobre 2015 comme ministre des Affaires sociales, Pauline Irene Nguene a retiré l’arrêté portant délégation permanente de signature critiquée. Par conséquent, tous les actes signés par M. Mbeng Enama n’ont aucun fondement juridique, disent-ils. Ils ont estimé que le pouvoir conférer à M. Mbeng Enama ne visait qu’à «battre monnaie sur le dos de l’Etat». Avant de signaler que «M. Mbeng Enama n’était qu’un imposteur. Il a été condamné la semaine dernière pour faux et escroquerie.»
Concernant le fond du contrat, les représentants de l’Etat ont soutenu que le ministère n’avait pas besoin de «tiers» pour rédiger des TDR, car ce sont les responsables des directions qui sont habilités à le faire. De plus, le marché a été passé sans appel d’offre alors qu’aucune ligne de crédit n’était prévu à cet effet. «On ne peut pas payer un marché avec les accessoires de salaires», ont-ils claironné. «Que dites-vous de l’ordre de service et de l’attestation du service fait ?», interroge le tribunal. «C’est sans doute M. Mbeng Enama qui les a fabriqué», répond un représentant du Minas.
Le parquet a de son côté estimé que tous les griefs soulevés par les représentants de l’Etat ne relèvent que de la «cuisine interne». «Le dysfonctionnement ou le mal fonctionnement du ministère des Affaires sociales ne doit pas préjudicier aux intérêts des tiers». Pour lui, «Il y a un contrat établi. La prestation a été livrée. Tout cela montre que la créance est certaine. Le recours est fondé». Les parties n’attendent plus que la sentence du tribunal qui tombe le 13 juillet prochain.