Il n’est pas exagéré de dire que l’instruction de certaines affaires renvoyées devant le Tribunal criminel spécial (TCS) manque parfois de sérieux. Ce constat est tiré de deux dossiers qui ont connu leur épilogue devant cette juridiction ces derniers jours. Les montants supposés détournés par les accusés ont été considérablement revus à la baisse. Le premier cas concerne l’affaire de vol de salaires dans laquelle le montant du détournement présumé de la somme de 70 millions de francs a été ramenée à 13 millions de francs après l’examen du dossier par le collège des juges. Le second cas dont le verdict est tombé le 28 juin 2021, est relatif au trafic dans la région de l’Adamaoua des motos en provenance du Nigéria voisin. Dans la décision du tribunal, le chiffre du supposé détournement de deniers publics est passé de 132, 5 millions de francs à 1, 5 million de francs. Finalement, on se rend compte que des dossiers presque bidons renvoyés devant le TCS encombrent inutilement cette juridiction qu’ils auraient pu être examinés par les tribaux d’instance.
Détenus à la prison centrale de Yaoundé Kondengui depuis 2017, M. Hamidou, commerçant basé à Ngaoundéré à l’époque des faits, et son petit frère M. Abdouraman Goni impliqués dans une affaire de faux dédouanements des motos, sont fixés sur leur sort. Le 28 juin dernier, le Tribunal criminel spécial a déclaré non coupable M. Abdouraman Goni, du crime de complicité de détournement des fonds publics imputé à M. Hamidou. Les juges en charge du dossier estiment que les faits reprochés M. Goni ne sont pas établis. Ils ont décidé de l’acquittement de ce dernier et de sa libération immédiate sauf s’il est retenu en prison pour une autre affaire.
En revanche, l’accusé principal M. Hamidou a été plutôt reconnu coupable du détournement de la somme de 1, 5 million de francs, contrairement au montant de 132, 5 millions de francs qui lui était initialement reproché. Le tribunal qui lui a accordé des circonstances atténuantes pour sa bonne tenue devant la barre, l’a condamné à 10 ans d’emprisonnement ferme et prononcé une déchéance de 10 ans à son encontre. Le condamné doit verser la somme de 11,5 millions de francs de dommages intérêts à l’Etat du Cameroun, partie civile dans le procès. Le représentant de l’Etat avait sollicité une réparation évaluée à 22, 8 millions de francs mais le tribunal a estimé que cette demande était exagérée. M. Hamidou doit également s’acquitter des frais de justice de l’ordre de 881 mille francs.
Emprisonnement à vie
Avant de rendre sa décision finale, le tribunal a, au préalable, donné les motivations de cette décision. D’abord, il a ramené à 1,5 million de francs le montant du détournement initialement arrêté à 132, 5 millions de francs. Ensuite les juges estiment que l’accusation n’a pas apporté une quelconque preuve qui démontre effectivement la participation de M. Abdouraman Goni dans la fabrication des fausses dont deux ont été retrouvées dans le sac de son frère aîné qu’il détenait. Les juges soutiennent que seule une étude graphologique, qui manque dans cette procédure, aurait établie la responsabilité de cet accusé. C’est la raison pour laquelle, le tribunal a décidé de son acquittement pure et simple.
S’agissant de M. Hamidou, le collège des juges pense qu’il n’est pas responsable des actes posés par les autres membres du réseau écartés de la procédure et qu’il serait injuste de lui attribuer la responsabilité de tous les actes querellés. Par contre, le tribunal a retenu contre sa personne, le détournement de 1, 5 million de francs représentant les frais de douanes de 25 motos de contrebande dont il a favorisé l’introduction dans le territoire camerounais en contournant l’administration douanière. En vendant les motos non dédouanées, le tribunal précise que cet accusé a retenu des fonds qui devaient être reversés dans le trésor public.
Par ailleurs, il est reproché à M. Hamidou d’avoir détenu une fausse attestation de douanes établie à son nom le 25 février 2015. Le tribunal estime que cette pièce est un élément de preuve que ce dernier, qui était spécialisé dans la vente des motos de contrebande, appartient au vaste réseau de fabrication de fausses attestations et quittances de douanes. Les juges soutiennent également que M. Hamidou est condamné sur la base du principe selon lequel ‘’celui qui peut le moins peut le plus’’. Une manière subtile pour les juges d’éviter de se déclarer incompétents dans une affaire dont le montant du détournement est largement inférieur à la somme de 50 millions de francs requis pour qu’un accusé soit renvoyé devant le TCS. Le représentant du parquet a, pour sa part, demandé au tribunal d’infliger au mis en cause l’emprisonnement à vie. L’avocat de la défense a plaidé pour de larges circonstances atténuantes de son client. Lors de sa dernière déclaration M. Hamidou a dit qu’il n’a jamais touché aux fonds de l’Etat et qu’il ne fera jamais avant d’implorer la clémence du tribunal.
Rappelons que le ministère des Finances (Minfi) imputait à M. Hamidou et son petit frère M. Abdouraman Goni, un prétendu détournement de la somme totale de 132 millions de francs. Un forfait qu’ils auraient réalisé en mettant en circulation de milliers de fausses attestations de dédouanement de motocyclettes dans la région de l’Adamaoua entre 2016 et 2018. Des faits que les mis en cause avaient toujours rejeté en bloc devant le Tribunal criminel spécial où ils répondaient des faits de faux en écritures publiques et authentiques et de détournement de deniers publics.