Décidément, François Onguene est présent dans tous les procès intentés contre Jean William Sollo devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Ancien chef comptable à la Cameroon Water Utilities Corporation (Camwater), le concerné a de nouveau été entendu devant la juridiction d’exception le 7 juillet dernier comme témoin de l’accusation dans l’affaire du détournement présumé de 130 millions de francs imputée à l’ex-directeur général (DG) de la Camwater avec Christelle Apollin Sidoine Ngambi, promotrice de plusieurs entreprises, déclarée en fuite.
La Camwater, alors dirigée par Basile Atangana Kouna, avait acquis auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé un terrain en vue de la construction de son immeuble siège. Terrain situé en face du Palais des Sports et du chantier de construction du futur siège de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot).
Sous l’ère Sollo à la tête de la Camwater, Mme Ngambi avait en effet reçu de l’ex-DG un «mandat spécial» en 2013, le chargeant de rechercher des financements pour la réalisation du projet de construction de l’immeuble siège de la Camwater. La dame avait bénéficié d’une série de paiements relatifs à différentes prestations se rapportant aux différentes démarches. Des paiements autorisés par M. Sollo et que l’accusation qualifie d’indus parce qu’adossés sur des travaux qualifiés de fictifs.
En effet, on fait le reproche à M. Sollo d’avoir fait payer 12 millions de francs d’honoraires à sa coaccusée et 28,7 millions de francs pour l’hébergement des experts que cette dernière a fait venir de l’étranger en vue de procéder aux études géotechniques et géophysiques sur le terrain querellé. Lesdits experts résidaient dans une villa se trouvant au quartier Bastos à Yaoundé appartenant à Joseph Antoine Bell, l’ex-Lion Indomptable. De plus, la société de gardiennage de Mme Ngambi avait reçu une enveloppe de 32,4 millions de francs pour la sécurisation du même terrain. L’accusation estime que ce paiement est indu parce qu’il n’y avait aucun matériel entreposé sur le terrain susceptible d’être vandalisé ou volé. La dame avait aussi perçu 42,2 millions de francs sur un marché de fourniture des tuyaux à la Camwater alors qu’il n’existe pas de procès-verbal de réception.
Chose curieuse : les marchés querellés ont tous fait l’objet de réception à la Camwater à l’exception de celui portant sur le gardiennage. Mais l’accusation estime que les contrats desdits marchés sont introuvables. D’où la fictivité alléguée.
D’entrée de jeu, M. Onguene a indiqué que sous l’administration Sollo, il était un «chef comptable sans portefeuille» parce qu’il n’avait pas de pouvoir, l’ex-DG lui ayant d’autorité retiré toutes les tâches. Lorsqu’une facture lui était transmise par le sous-directeur de la comptabilité, l’unique rôle qu’il jouait se limitait à apposer sur la pièce un cachet comportant les imputations comptables : montant hors taxe et montant TTC, date, etc., suivie de sa signature. Son cachet n’était qu’une simple formalité, dit-il. Le dossier était ensuite transmis au comptable qui procédait à la vérification et la saisie informatique des données et le paiement de la facture. Une manière de dire à mots couverts que les paiements sous Sollo ne suivaient pas le circuit normal. Le témoin a évoqué une précédente affaire dans laquelle M. Sollo avait donné des instructions au directeur des affaires administratives et financières l’intimant de payer directement la facture d’un prestataire de service.
«Est-ce que le fait d’enregistrer une facture signifie que la prestation ainsi payée est effectivement réalisée ?», interroge le ministère public. «Oui, pour les avances de démarrage, non pour les factures définitives», répond le témoin.
Pendant le contre-interrogatoire, les avocats de M. Sollo ont fait constater à M. Onguene que trois marchés litigieux ont été réceptionnés par une commission afférente, à l’exception de celui portant sur le gardiennage. Toutes ces opérations sont inscrites dans les livres comptables de la Camwater. Le témoin a confirmé les allégations des avocats précisant, qu’à la Camwater, il n’existe pas de contrat pour le gardiennage des sites de l’entreprise. Or, le procès-verbal de réception est adossé sur une lettre commande. La défense va rappeler au témoin certaines de ses déclarations faites lors des enquêtes dans lesquelles il indiquait que les marchés litigieux ne souffrent d’aucune irrégularité. Et que l’absence des pièces en rapport avec les opérations litigieuses est apparu après le passage du Contrôle supérieur de l’Etat à la Camwater à cause du chamboulement des archives. Avant de susciter sa réaction. Le témoin est resté silencieux.
«Vous avez eu à participer à la confection du bilan des exercices 2012 à 2015. Pourquoi vous n’avez pas relevé l’absence de procès-verbal de réception puisque le paiement est inscrit dans le livre journal à livraison des tuyaux ?», interroge M. Sollo. «Cette pas une question à mon niveau», a répondu le témoin.
En détention depuis 2018, M. Sollo passe en jugement devant le TCS dans trois procédures distinctes pour de prétendues irrégularités en rapport avec son séjour à la tête de la Camwater.
Le témoin Onguene est lui-même traduit devant le Tribunal de première instance de Douala-Bonanjo pour les supposés faits de «faux témoignage» en rapport avec l’une des affaires Sollo, notamment l’affaire dite LMS. Procédure dans laquelle M. Onguene était l’unique témoin de l’accusation. Dans ce dossier, l’ex-DG a été acquitté d’un détournement de 145 millions de francs. Son coaccusé Eugène Abossolo s’est retourné contre le témoin à charge.