On pourrait pour la première fois entendre M. Basile Atangana Kouna se défendre devant le Tribunal criminel spécial (TCS) le 19 avril 2021. Ce jour-là, le parquet va, en principe, présenter son réquisitoire intermédiaire dans le procès intenté à l’ancien ministre en compagnie du Belge Jacques Massart, promoteur de l’entreprise Aspac Cemac Sarl. Généralement au TCS, après le réquisitoire intermédiaire du ministère public, une phase de la procédure pénale qui intervient après l’audition des témoins de l’accusation, le tribunal estime toujours les éléments de preuves réunies invitant le mis en cause à présenter sa défense. Comme par anticipation, il a d’ailleurs programmé deux jours d’audience à cet effet, les 19 et 20 avril prochain.
Même si, l’année dernière, ces deux personnalités ont bénéficié, dans le même dossier, d’un arrêt des poursuites sur le chef d’accusation de la complicité du détournement de la somme de 1,7 milliard de francs après restitution intégrale dudit montant à l’Etat par le sujet belge considéré en fuite, les poursuites judiciaires engagées contre eux se poursuivent cette fois avec deux autres charges. Notamment les faits présumés de complicité de «violation du Code des marchés publics» et d’«intérêts dans un acte» pour l’ancien ministre. Des délits dont les peines oscillent entre un et cinq ans de prison. Le neveu de l’ancien ministre, M. Thomas Nama Aloa, M. Bello Oussoumana et Mme Yondo Kolko Vanessa complètent la liste des accusés.
Le tribunal avait entendu deux témoins de l’accusation le 3 mars dernier, notamment Jacques Aurélien Kwa Mbette, notaire à Yaoundé, et Mme Sian Arlette Lucie, secrétaire de bureau dans l’entreprise Aspac Cemac Sarl. En effet, les griefs retenus remontent en 2009. Cette année-là, le 21 novembre, la Camwater ayant à sa tête M. Atangana Kouna, comme directeur général (DG), avait attribué un marché au groupement d’entreprises belges Balteau S.A, représentée par Vincent Pissart et Aspac International représentée par Jacques Massart. Ce marché connaît la «réhabilitation, le renforcement et l’extension du système en eau potable de 52 centres au Cameroun» pour montant global de 39 milliards de francs.
Société écran
Le problème : on reproche à M. Massart d’avoir sous-traité l’exécution du marché évoqué à «une société écran», précisément l’entreprise Aspac Cemac Sarl, sans requérir l’autorisation préalable du maître d’ouvrage, la Camwater. L’accusation a donc considéré la somme de 1,7 milliard de francs perçue pour paiement comme un détournement de fonds publics. Concernant M. Atangana Kouna, on lui reproche d’avoir couvert la supposée fraude lorsqu’il trônait encore à la tête de l’entreprise publique. Mais aussi en sa qualité de DG de la Camwater d’avoir, le 29 juillet 2010, attribué à l’entreprise Trinity Sarl, «créé par ses soins et dont la gérance était confiée à son fils», un marché de location de véhicules d’un montant de 10 millions de francs, sans appel d’offres. D’où les faits présumés d’intérêts dans un acte.
Pendant son interrogatoire, Me Kwa Mbette a expliqué le processus de constitution d’Aspac Cemac Sarl. Il affirme qu’en 2010, il a reçu Mme Yondo Kolko en service au cabinet d’étude et de réalisation d’Afrique (Cera). La dame était porteuse d’une procuration signée par son cabinet. Le cabinet Cera prétend avoir reçu mandat pour agir en lieux et places d’Aspac Universal, ainsi que MM. Nama Aloa et Bello Oussoumana. Ces derniers avaient en effet créé Apac Cemac Sarl au capital de 1 millions de francs. MM. Nama Aloa possédait 25% des parts, M. Bello 15%, le reste des parts revenaient à Aspac Universal détenu par M. Massart. Mais les deux Camerounais avaient prétendument cédé leurs parts à Aspac Universal qui détenait désormais 100% du capital d’Aspac Cemac Sarl portée par M. Massart. Mme Yondo sollicitait du notaire d’authentifier les actes de cession de parts allégués. Ce que le témoin a fait. Or, il est interdit de créer au Cameroun une société à capital 100% étranger.
Lors du contre-interrogatoire du notaire, M. Nama Aloa lui a fait constater à travers ses questions qu’il ne sait rien d’Aspac Cemac. Documents à l’appui, il a contesté sa signature apposée sur la photocopie de sa carte nationale d’identité versée dans les actes constitutifs de cessions de parts qu’il a authentifié. «Maintenant que M. Nama Aloa conteste sa signature et en l’absence de Mme Yondo qu’en dites-vous ?», interroge Me Yossa, l’avocat de M. Nama. «La signature que je vois sur ce document est différente de celle qui est portée sur celle qui m’a été apportée pour authentification», avoue Me Kwa Mbette, précisant, de manière constante, qu’il s’est seulement fié à la procuration présentée par Mme Yondo Kolko.
Signatures différentes
Ces explications du notaire lui ont valu de vives critiques du tribunal qui a considéré à mots couverts qu’il avait agi avec légèreté. «On nous a produit les photocopies des cartes d’identité des deux personnes physiques. Les signatures sur les cartes sont différentes de celles sur les actes de cession sous-seing privé. Finalement vous avez un rôle passif ou actif ? Vous avez des actes à vérifier que dit la loi ?», demande un juge. «La personne qui nous dépose le document pour authentifier le fait avec reconnaissance d’écriture et de signature qui y sont apposées», répond le notaire. Avant de préciser : «On ne m’a pas présenté physiquement les actionnaires de la société. Nous avons juste reçu les pouvoirs donnés par eux. S’agissant de leur régularité, nous disons qu’ils nous ont été présentés comme tels et nous les avons reçus comme tels».
Le témoignage de Mme Sian n’a rien apporté de consistant aux débats. L’intéressée s’est bornée à dire qu’elle a reçu procuration de M. Massart lui permettant de faire des retraits dans les comptes bancaires d’Aspac Cemac Sarl et de les reverser dans la caisse de l’entreprise.
Rappelons que M. Atangana médite sur son sort à la prison centrale de Yaoundé depuis trois ans. Outre l’affaire avec M. Massart, il est aussi en jugement devant le TCS pour le supposé détournement de la somme de 1,2 milliard de francs en rapport avec sa gestion de la Camwater cette fois aux côtés de son successeur Jean William Sollo. L’ex-ministre a proposé de restituer le montant querellé mais le tribunal a décidé d’examiner son offre à la fin de son procès.