Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
Me Beaoh née Diboundje Louise, avocate, s’est-elle rendue coupable d’escroquerie aggravée, en déterminant M. Tsimi Roger à lui verser 3 millions de francs sans lui rendre le service que ce dernier attendait-elle ? L’avocate a-t-elle simplement failli dans l’exécution d’un contrat, ce qui ne constitue pas une faute pénale comme le suggèrent ses propres conseils ? Le 22 septembre prochain, le collège des juges du Tribunal de grande instance (TGI) du Mfoundi en charge de ce dossier fixera les parties sur le sort qu’il leur réserve dans ce procès, après les débats qui se sont déroulés le 26 août 2023 en l’absence du plaignant, M. Tsimi. Pour sa part, en prenant ses réquisitions, le procureur de la République a demandé aux juges de prononcer la condamnation de l’accusée.
Les faits dans cette procédure remontent à l’année 2018. M. Tsimi Roger avait découvert une villa dans la zone dite Nouvelle Route Bastos à Yaoundé, qu’il souhaitait prendre en location. Ayant pris des renseignements pour entrer en contact avec le propriétaire de la demeure, il va se retrouver face à Mme Diboundje Louise épouse Beaoh. La villa appartient à son défunt père, M. Moukouri, et est de ce fait la propriété de sa succession. L’avocate, membre de ladite succession, s’occupe du «volet juridique» de l’exploitation de ce bien, notamment de la rédaction et de la signature du contrat de location. La succession fixe le montant du loyer mensuel à 400 mille francs, mais, après discussion, les parties s’entendent pour un montant de 300 mille francs. Il est exigé à M. Tsimi Roger une avance d’un an de loyer en plus d’une caution qui équivaut au coût d’un loyer mensuel. En deux temps, il va verser entre les mains de l’avocate une somme globale de 3 millions de francs. Tout cela se passe en mars 2018.
Sanitaires piteux
Il se trouve qu’au moment où s’effectue cette transaction financière, la villa, construite plus de 40 ans plus tôt, n’est pas en état d’être habitée. L’avance de loyers exigée devrait servir à y faire quelques travaux de réfection. Sauf que, lorsque, selon l’accusation, les clés sont remises au locataire pour que commence l’occupation par lui de la demeure, ce dernier constate que lesdits travaux n’ont pas été effectués. M. Tsimi dit avoir subi les menaces de Me Beaoh née Diboundje Louise lorsqu’il fait part de son mécontentement. Cette dernière se prévaudrait pour cela de sa qualité d’avocate. De toutes les façons, le locataire va faire établir par un huissier de justice un constat de l’état des lieux duquel il apparaît que les sanitaires sont dans un état piteux. Et les murs de la salle de séjour et de la cuisine sont couverts d’humidité… Faute pour les parties de s’entendre sur la qualité des travaux effectués, M. Tsimi va renoncer au bail et restituer les clés. Il entend se faire rembourser la somme de 3 millions de francs qu’il a versée «pour les travaux de réfection». En vain jusqu’ici.
Au cours des débats, la mise en cause explique que les travaux réalisés pour la mise en état de la villa lui ont finalement coûté 6 millions de francs en tout. Que c’est deux semaines après la remise des clés à un certain M. Obama, représentant de M. Tsimi, que ce dernier a contesté la qualité des travaux alors même qu’il était attendu pour payer le reliquat de l’avance exigée, soit 600 mille francs, mais aussi la caution, et devrait signer le contrat de bail déjà apprêté. Que le locataire lui aurait dit qu’il n’a plus envie de prendre la villa en location et qu’elle trouve un autre locataire pour lui rembourser. «Je devrais voyager entre-temps pour accompagner mon mari malade, explique Me Beaoh. Je le lui ai dit en indiquant que si, entre-temps, on trouve un nouveau locataire, je vais lui rembourser son argent. Après un mois et demi, j’étais de retour. Nous avons eu un locataire cinq mois après. J’ai dit que j’étais prête à rembourser l’argent mais on devrait tenir compte des cinq mois. Il n’a rien dit à propos. Et j’ai été informé que je devais me présenter chez le juge d’instruction».
Au moment de prendre ses réquisitions, le représentant du ministère public a rappelé, après avoir cité les déclarations de l’accusée devant le juge d’instruction, que les 3 millions de francs perçus «devraient servir à faire les travaux». Selon le parquet, les travaux n’ayant pas été effectués. «L’accusée qui s’est engagée à les faire n’a pas honoré cet engagement malgré l’argent pris. C’était des manœuvres pour extorquer de l’argent à M. Tsimi… N’ayant pas effectué les travaux, l’accusée s’est rendue coupable d’escroquerie aggravée. Qu’elle en soit déclarée coupable», a requis le représentant du parquet. Le premier avocat de Mme Beaoh s’est étonné que le parquet prenne pour «manœuvres», le fait pour l’accusée de n’avoir pas «honoré un contrat». «Vous êtes en présence d’une affaire civile !», a-t-il dit aux juges.
CAN reportée
Me Bell Hagbe, puisqu’il s’agit de lui, a rappelé dans sa plaidoirie ce qui, selon lui, était le contexte des faits pour que les juges comprennent. Les transactions se seraient déroulées à la veille de la Coupe d’Afrique des Nations, qui a été reportée. M. Tsimi, qui espérait faire des affaires avec la villa pendant cette compétition, aurait été contrarié par ce report. Ce serait la vraie raison de l’abandon du bail… Puis, il a estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour que l’infraction d’escroquerie soit aggravée au sujet de sa cliente, si, par extraordinaire, le téléphone devrait la condamner. Bien que avocate, Me Beaoh n’exerçait pas comme tel dans le cas d’espèce. L’infraction ne doit être aggravée que lorsque les faits reprochés à l’avocat sont commis dans l’exercice de son métier, a soutenu Me Bell Hagbe.
Pour Me Elame Bonny, l’autre conseil de l’accusée, la thèse soutenue par le ministère public ne peut tenir. «Quand bien même Me Beaoh n’aurait pas effectué les travaux, les sommes en causes viendraient en déduction des loyers», a-t-il soutenu. Et de poursuivre : «Est-ce que les travaux ont été bien faits ou mal faits ? On est là dans l’exécution d’un contrat. Notre cliente doit être déclarée non-coupable». L’accusée qui a été sollicitée pour son dernier mot après les plaidoiries de ses conseils n’a pas souhaité en rajouter. Elle sera fixée sur son sort le 22 septembre 2023.
Point de droit
Articles 318 du Code pénal : Vol, abus de confiance, escroquerie
«(1) Est puni d’un emprisonnement de cinq (5) à dix (10) ans et d’une amende de cent mille (100.000) à un million (1.000.0000) de francs celui qui porte atteinte à la fortune d’autrui :
- par vol, c’est-à-dire en soustrayant la chose d’autrui ;
- par abus de confiance, c’est-à-dire en détournant ou détruisant ou dissipant tout bien susceptible d’être soustrait et qu’il a reçu, à charge de le conserver, de le rendre, de le représenter ou d’en faire un usage déterminé ;
Toutefois, le présent paragraphe ne s’applique ni au prêt d’argent, ni au prêt de consommation.
- Par escroquerie, c’est-à-dire en déterminant fallacieusement la victime, soit par des manœuvres, soit en affirmant ou dissimulant un fait.
(2) La juridiction peut, en outre, prononcer les déchéances de l’article 30 du présent code.
Articles 321 (d) du Code pénal : abus de confiance et escroquerie aggravés
«Les peines de l’article 318 ci-dessus sont doublées si l’abus de confiance ou l’escroquerie ont été commis soit :
- par un avocat, notaire, commissaire-priseur, huissier, agent d’exécution, ou par un agent d’affaires.
- par un employé au préjudice de son employeur ou réciproquement ;
- par une personne faisant appel ou ayant fait appel au public.»