Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Le siège de maire de la commune de Yokadouma est-il éjectable ? En tout cas, après l’affaire Paulin Abono Moampamb, ancien occupant dudit siège, au milieu des années 2000, l’un de ses successeurs, Richard Gaston Sassabeno Metindi est lui aussi englué dans le filet judiciaire. Il passe en jugement devant le Tribunal criminel spécial (TCS) pour répondre d’un détournement présumé de 87 millions de francs réalisé entre 2013 à 2020. C’est la période pendant laquelle il assurait les fonctions de maire de la commune déjà mentionnée. L’accusation a retenu contre sa personne trois chefs d’accusation, notamment des paiements qualifiés d’irréguliers des marchés de fourniture de divers matériels (24,4 millions de francs), des carburants et lubrifiants (38,6 millions de francs) et réhabilitation des locaux de la mairie (21 millions de francs). Tous les paiements incriminés ont été enregistrés en 2016.
Le 24 janvier dernier, le ministère public a fait entendre deux témoins pour soutenir l’accusation. D’abord, M. Momiet Mouampang, premier adjoint au maire de Yokadouma. Mais l’intéressé était le deuxième adjoint de l’accusé au moment des faits. C’est sa dénonciation qui a déclenché la procédure judiciaire. Il affirme que l’accusé avait attribué une série de 8 marchés aux Etablissements (Ets) La Colombe, portant sur la livraison de divers effets (outils informatiques, agronomes, etc.) d’un montant global de 27,4 millions de francs, alors qu’au même moment deux autres prestataires de services fournissaient à la mairie le même matériel.
Laissez ça…
Pour contourner la commission de passation de marché, le témoin indique que l’accusé a «émietté» les commandes pour qu’aucune n’excède 5 millions de francs. La question avait été posée au maire lors de la session du conseil municipal de novembre 2016, mais M. Sassabeno Metindi s’est lancé des «jonglages en disant : ‘laissez ça !’», a déclaré le témoin-dénonciateur. C’est cette attitude qui a déclenché l’affaire, a-t-il ajouté. Il soutient que la vérification par le conseil municipal des documents comptables et financiers tenus par le receveur municipal a permis de mettre en évidence des «anomalies».
Bien que le comptable-matières de la mairie, Magloire Mballa, ait signé les bordereaux de livraison des commandes évoquées, le témoin a dit douter de l’effectivité de la réception des matériels. Son incrédulité part de ce qu’il était l’adjoint au maire le plus régulier au travail, mais aussi la fenêtre de son bureau donnait sur la porte du comptable-matières, de telle sorte qu’il voyait tout ce qui s’y passait, selon ses explications. «Chez-nous, dit-il, les gens ont pris la sale habitude de signer des papiers pour satisfaire leur hiérarchie et non pour faire le travail qu’ils sont appelés à faire». Le témoin a qualifié le receveur municipal et le comptable-matières de miraculés, parce que ignorés par la procédure judiciaire en cours.
M. Zuessa Fonga Didier est le deuxième témoin entendu. Il est le gérant de la station-service Total de Yokadouma. Son témoignage a porté sur le chef d’accusation de détournement de 38,6 millions de francs. Ce volet du dossier concerne les supposées irrégularités dans la livraison des carburants et lubrifiants à la mairie. «Comment se passait la consommation et le paiement du carburant par la mairie ?», interroge le ministère public. Le témoin raconte que le maire déposait un bon de commande administratif dans sa station-service, puis le personnel de la mairie consommait du carburant au fur et à mesure à hauteur des quantités définies dans le bon de commande. Lorsque ces quantités étaient épuisées, il servait la note à la mairie pour paiement. Un nouveau bon de commande était aussitôt introduit.
Des bouts de papier
Le témoin déclare qu’il ne tenait pas à son niveau un registre de suivi des stocks retraçant la consommation de la mairie, il se contentait des «bouts de papiers» qu’établissait M. Sassabeno Metindi, datés et portant les mentions «veuillez servir telle quantité à tel véhicule». Et c’est sur la base de ces bouts de papiers qu’il faisait le point lorsque le bon de commande était épuisé. «Connaissez-vous les véhicules et les chauffeurs de la mairie ?», demande le procureur. «Certains, pas tous», répond M. Zuessa Fonga. «Est-ce qu’il vous est arrivé de servir le carburant à une personne ne travaillant pas à la mairie à la demande du maire ?», poursuit le procureur. Le témoin répond par l’affirmative, indiquant que l’accusé lui donnait l’ordre de servir soit à travers un «bout de papier», soit par un coup de fil. Pour la seule année 2016, la mairie de Yokadouma avait consommé du carburant pour un montant de 38,6 millions de francs, une facture entièrement payée à la station Total.
Le tribunal a d’autorité reporté le contre-interrogatoire de M. Zuessa Fonga parce que tous les juges devaient assister à une «réunion administrative». L’affaire est renvoyée au 28 mars prochain. L’ancien maire Sassabeno Metindi est écroué à la prison de Kondengui depuis mars 2021. Il risque jusqu’à la prison à vie.