Près de deux semaines après la nomination des 15 membres de la Commission nationale des Droits de l’Homme du Cameroun (Cdhc), personne ne sait encore quand ils entreront précisément en fonction. La loi de 2019 qui crée et organise la nouvelle institution stipule en effet «[qu’avant] leur prise de fonction, le président, le vice-président et les membres de la commission prêtent serment devant la Cour suprême siégeant en chambres réunies». Si les deux premiers sont en poste depuis la signature de leurs décrets de nomination, les 13 autres membres attendent pour leur part l’audience de la haute juridiction pour prononcer la formule du serment, avant de porter le bleu de chauffe. C’est une formalité qui pourrait compliquer la situation de certains élus du 19 février 2021, si la haute juridiction décide de regarder de près les conditions de leur nomination.
«L’audience des chambres réunies prévue par la loi n’est pas qu’une simple formalité protocolaire, puisqu’elle se déroule devant la haute juridiction qui veille au respect de la loi. Comme toute audience de ce type, elle donne lieu à des réquisitions du procureur général et à l’allocution du premier président de la Cour, puis à la lecture de la formule d’acceptation du serment», explique sous anonymat un magistrat de la Cour suprême. Qui précise que «les choses doivent être faites selon les règles de l’art», c’est-à-dire dans le respect aussi bien du fonctionnement de la Cour suprême que de la loi portant création, organisation et fonctionnement de la Cdhc. Il y a six ans, lors de l’entrée en fonction de la dernière cuvée des membres de la défunte commission, le chef de l’Etat avait dû prendre un nouveau décret, la Cour suprême ayant constaté «un problème de forme» dans la première version du texte présidentiel. Ce scénario n’est pas exclu aujourd’hui.
Depuis le 19 février 2021, en effet, une polémique est née au sujet des décrets présidentiels portant nomination des membres de la commission, précisément concernant la qualité de certains élus et le non-respect du quota «d’au moins 30% des femmes» dans le collège des commissaires, quota prévu par la loi de 2019. Ce quota est de 18,75% selon le pointage effectué à la suite des actes du 19 février. La semaine dernière, cette polémique s’est ravivée par les contestations élevées dans les milieux syndicaux concernant particulièrement «l’expert en questions syndicales désigné par les syndicats des travailleurs» récemment nommé.
Imposture…
Les syndicats déclarent que M. Djibomadom Mamene Dieudonné, puisqu’il s’agit de lui, n’a aucune qualité pour se trouver là où il a été placé. Ils remuent terre et ciel pour que cette «imposture» prenne fin. En fait, M. Djibomadom Mamene Dieudonné est un inspecteur du travail à la retraite ayant notamment assumé, pendant qu’il était en service dans l’administration, diverses fonctions dans les services déconcentrés du ministère du Travail et de la sécurité sociale.
Premier président de la Cdhc, M. James Mouangue Kobila s’est invité dans la polémique en déclarant dans une radio urbaine de Yaoundé, concernant le cas de «l’expert en questions syndicales» qu’il y a «confusion». Pour lui, les syndicats n’ont pas bien lu la loi de 2019, qui parle d’un «expert des questions syndicales» à la différence de l’ancienne loi ou «deux représentants des syndicats» étaient prévus parmi les membres de la commission. L’agrégé de droit déclare par ailleurs que la commission avait la chance d’avoir en M. Djibomadom Mamene «non seulement un expert en question syndicale, mais, [également, un] syndicaliste affirmé depuis plus de 5 ans», en brandissant comme preuve un «PV de réunion élargi du bureau de l’Union départemental des syndicats du Lom et Djerem à Bertoua, la Cstc, du 13 juin 2015».
Réaction immédiate des syndicats par la voix de Mme Ekoan née Mebiane Tangono Antoinette, la présidente de la Confédération camerounaise du Travail (CCT) : «Nous avons des preuves que la confédération citée (la Cstc) ne se reconnait pas» dans les déclarations du président de la Cdhc. «Où est le procès-verbal de la consultation des syndicats ?», interroge Mme Ekoan. «Pour être désigné, il faut que le président de la confédération donne son quitus et suggère son candidat aux 12 confédérations […]. Que le président lise le Code de travail : les fonctionnaires ne peuvent pas être responsables syndicaux surtout un administrateur du travail qui a été un représentant de l’Etat», poursuit-elle.
Grégoire Owona
Hormis M. Mouangue Kobila, aucun autre officiel ne s’est exprimé par rapport à la polémique qui se poursuit, même pas le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, dont les sources dignes de foi indiquent qu’il avait été consulté par la présidence de la République pour la désignation du représentant des milieux syndicaux à la commission. «Comme tu le sais, explique une source officielle, le ministre du Travail et de la Sécurité sociale ne nomme pas les membres de la Cdhc. Il a été consulté mais ses suggestions ne s’imposent pas à l’autorité qui nomme les membres». Il ajoute que «les propositions du [ministre Owona] intégraient effectivement des profils femmes et hommes». Rien ne dit cependant que c’est la proposition du ministre du Travail qui a été prise en compte…
En attendant ce que décidera la Cour suprême au moment de la prestation de serment des nouveaux membres de la commission récemment nommés, rappelons que la réforme de l’institution nationale des Droits de l’Homme, qui a été couronnée par la promulgation de la loi de 2019, était partie des reproches faits à l’ancienne commission de n’être pas suffisamment indépendante, parce que composée en très grande proportion par des membres issus de l’administration et des formations politiques. Le gouvernement s’était résolu en 2010 à rectifier le tir en modifiant la loi de 2004 portant notamment création de la Cndhl. Cet amendement de la loi de 2004 reléguait les membres issus des administrations publiques à une participation consultative. Mais ce changement était jugé insuffisant.
Le processus d’une réforme plus profonde était alors engagé, sur la base d’un draft de la nouvelle loi proposé par l’ancienne commission et discuté avec le ministère de la Justice. L’avant avant-projet de loi issu des travaux conjoints de la Cndhl et du ministère de la Justice avait prévu que les membres de la nouvelle commission soient sélectionnés par un comité présidé par le président de la Cour suprême ou un magistrat désigné par lui, par appel à candidatures. La présidence de la République n’a jamais voulu d’un tel dispositif qui aurait conduit à une commission plus forte, avec des experts choisis par rapport à leurs qualités intrinsèques. D’où le choix de la formule des consultations qui est source de polémique aujourd’hui, certains acteurs ayant manifestement choisi de mettre en avant d’autres objectifs. Qui semblent installer durablement la commission dans la cacophonie…