Le marché de la télécommunication est décidément l’affaire de grosses pointures au Cameroun. M. Pierre François Kamanou l’a découvert ainsi. Depuis 23 ans, son entreprise Global Telecom Service (GTS) Infotell Cameroon a du mal à se frayer une place au soleil, en dépit de multiples licences délivrées à son profit l’habilitant à exercer dans le sous-secteur des «télécommunications à valeur ajoutée». Il se heurte à l’hostilité des opérateurs concessionnaires, notamment Orange, MTN, Camtel et Nextell. Ces entreprises n’en feraient qu’à leur tête, sous le regard complaisant de l’Agence de régulation des télécommunications (ART).
Kemanou a exprimé son désarroi devant la barre du Tribunal administratif du Centre le 15 février 2021, où il sollicite la condamnation de l’ART à lui verser 6,7 milliards de francs de dommages et intérêt.
Dans les développements de sa plainte déroulé lors de cette audience, qu’il a est le pionnier du développement des services mobiles à valeur ajoutée au Cameroun. Il s’agit ici de deux types d’offres : le service audiotex (service vocal ou SMS à faible capacité d’appel simultanés) et le service d’interconnexion (message vocal ou SMS à forte capacité d’appels destinés au divertissement : jeux gagnant, dédicace vocale etc.). Deux services dont l’opérationnalité dépend en priorité de la possibilité d’accès à un réseau de communication dense, couvert jusqu’ici par les quatre compagnies de téléphonie mobile déjà citées. De ce fait, le lancement tout comme le déploiement de ses activités sont conditionnés par l’obtention préalable d’un accord de partenariat avec les différentes compagnies de téléphonie mobile.
Entre le 31 juillet 2002 au 29 novembre 2017, GTS Infotell a reçu trois licences d’opérateurs des services. Ces différentes licences lui ont été délivrées par le ministre des Postes et Télécommunications et l’ART. Mais muni de tous ces documents administratifs, la GTS Infotell n’a véritablement pas démarré ses activités. Son dirigeant s’est rapproché des quatre compagnies de téléphonie mobile afin d’établir des conventions d’interconnexion, «aucune de ces sociétés à l’exception de Camtel, n’y a fait droit», dit-il.
Silence coupable
Pourtant, l’article 42 de la loi régissant les communication électronique dispose que : «les opérateurs de réseau de communications électroniques ouverts au public, sont tenu de faire droit, dans les conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, aux demandes d’interconnexion et d’accès au réseau de tout opérateur de service de communications électronique ouvert au public, titulaire d’une concession, d’une licence, ou d’un récépissé de déclaration». L’article 43 de la même loi précise : «la demande d’interconnexion et d’accès au réseau ne peut être refusée si elle est justifié au regard, d’une part, des besoins du demandeur, et d’autre part, des capacités de l’opérateur à la satisfaire. Tout refus doit être motivé». Le décret du Premier ministre du 14 juin 2012 fixant les conditions d’interconnexion stipule en son article 15 alinéa 2 que «l’opérateur fournisseur de l’interconnexion dispose d’un délai maximum de soixante 60 jours à partir de la date attestée par un accusé de réception pour donner suite à la demande».
Face à l’attitude des opérateurs récalcitrants, il s’est chaque fois tourné vers le régulateur, mais «celle-ci est restée atone, n’adressant ni injonction, ni remontrance, ni mise en demeure aux opérateurs rebelles». Le plaignant assimile ce comportement à de la «défaillance». Car l’article 36 de la loi déjà cité habilite l’ART à «s’assurer que l’accès aux réseaux ouverts au public s’effectue dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires (…) de sanctionner les manquements des opérateurs à leurs obligations ainsi que les pratiques anticoncurrentielles (…)». Pour M. Kamanou, le refus d’inconnexion «n’a pu être assumé par les opérateurs concessionnaires qu’avec l’assentiment ou le silence coupable de l’ART qui n’a pas su faire montre d’autorité et de rigueur dans l’application de la loi». Il qualifie le silence de l’ART «d’excès de pouvoir».
Conciliation interminable
L’avocat de l’ART a de son côté expliqué que sa cliente a engagé des procédures de conciliation entre la GTS Infotell et ses adversaires pour aplanir les tensions. «Il y a une procédure de conciliation qui est en court avec Orange, MTN et Nextell. On leur a demandé de mettre en place un groupe de travail. Ça n’a jamais été fait. Mais en vous saisissant la GTS a renoncé à la conciliation». «Pourquoi vous ne dressez pas un procès-verbal de non conciliation ? 4 ans après ?», interroge le tribunal. «Nous pensions que ces sociétés allaient revenir à des meilleurs sentiment», répond l’avocat de l’ART. Avant d’ajouter : «C’est la faute des parties qui refusent de se conformer aux exigences du juge conciliateur».
Les débats ont ensuite achoppé sur la recevabilité ou non du recours de GTS Infotell. Cette dernière avait introduit son recours gracieux préalable auprès de l’ART l’invitant à régler sa situation le 12 avril 2018. Le régulateur disposait donc d’un délai de 90 jours pour réagir. Il est resté silencieux. GTS Infotell avait 60 jours à compter du lendemain pour saisir la justice. Mais son recours a été déposé le 12 juillet de la même année. Le ministère public comme l’avocat l’ont trouvé prématuré.
Dans une logue prise de parole, M. Kamanou a exprimé son «sentiment d’injustice très profond». Il indique son entreprise est au bord de la faillite. En dépit des difficultés que connaît son entreprise du fait du non démarrage effectif des activités, l’ART lui exige le paiement de 150 millions de francs pour sa licence. Les opérateurs dénoncés 300 millions. «Pourquoi nous avoir donné une licence et des numéros sachant que ça ne marche pas ?», s’est-il interrogé concluant lui-même à un « acharnement sur la société». Il devra attendre le 23 mars prochain pour voir de quel côté la balance de la justice va pencher.